- R�alisateurs : Park Chan-wook - Dominik Moll - Tobias Lindholm - Patricia Mazuy - Rodrigo Sorogoyen
Les fêtes approchent. Voici venu le temps de retracer l’année polar/thriller à la lumière des meilleurs films et séries sortis en 2022. Parmi eux, figurent notamment "Bowling Saturne", "La Nuit du 12" et l’ultime saison de "Better Call Saul".
En matière de polar, de suspense ou d’intrigue sous tension, 2022 a souvent flirté avec l’excès ou la surabondance, qu’il soit question de cinéma ou de série. Au détour de cette offre pantagruélique, nombreux furent les élèves médiocres, à l’instar du nanar érotico-chic "Eaux profondes" d’Adrian Lyne, du calamiteux "Overdose" d’Olivier Marchal, de l’inconséquent "Sans répit" de Régis Blondeau, ou encore de la décevante série "Les Papillons Noirs" d’Olivier Abbou et Bruno Merle. On ne compte pas non plus les séries approximatives et dispensables, syndrome auquel même un brillant stakhanoviste comme Ryan Murphy a fini par succomber – en témoignent la très maladroite série "Dahmer" et sa petite sœur la lacunaire "The Watcher". Mais les bons élèves, parfois excellents, ont eux aussi fort heureusement proliféré cette année. La preuve par dix avec notre top 10 des meilleurs films et séries à suspense de 2022.
Nos cinq coups de cœur ciné
As Bestas, de Rodrigo Sorogoyen
Ce thriller rural présenté à Cannes fut l’un des plus grands moments de terreur psychologique au cinéma durant l’été 2022. On aura beau pointer du doigt son dispositif un peu schématique et sa cruauté vétilleuse à la Haneke, le film de Rodrigo Sorogoyen parvient quoi qu’il en soit à revisiter avec un certain brio des incontournables tels que les "Les Chiens de paille" (Peckinpah) et "Délivrance" (Boorman). Performance qui se double d’une écriture sensible glissant vers le drame social. Mention bien pour Sorogoyen.
Meurtres sans ordonnance, de Tobias Lindholm
Sous ses dehors classiques, ce thriller mâtiné de critique sociale signé du danois Tobias Lindholm foisonne de maîtrise. On pourra lui reprocher sa mise en scène en retrait, elle n’en demeure pas moins très habile et subtile sans jamais prêcher la virtuosité. Lindholm télescope d’un coup de baguette magique son pamphlet contre le système de santé états-unien avec le thriller psychologique et paranoïaque. Résultat, "Meurtres sans ordonnance" fonctionne à merveille, le tout rehaussé par les interprétations magnétiques de Jessica Chastain et Eddie Redmayne.
Notre critique de Meurtres sur ordonnance
Bowling Saturne, de Patricia Mazuy
Génialement dissonant et dérangeant, "Bowling Saturne" renforce un peu plus encore la posture de franc-tireuse de Patricia Mazuy dans le paysage du cinéma français. Portrait multiple et étrange de la masculinité toxique, ce film noir ébène se réapproprie tous les codes du polar pour mieux les transcender au fil d’une poésie rouge sang tour à tour troublante et macabre. Ses interprètes, en premier lieu Achille Reggiani et Y Lan Lucas, laissent pantois. Mention très bien pour cet exercice expressionniste fascinant de Mazuy.
Notre critique de Bowling Saturne
La Nuit du 12, de Dominik Moll
Tout comme Patricia Mazuy, le cinéaste Dominik Moll s’empare davantage du récit policier en tant que moyen de déconstruire les affres de la masculinité qu’en guise de fin. Ce qui n’empêche pas "La Nuit du 12", filmé avec une acuité et une adresse métronomiques, d’incarner un mirifique et remarquable cold case. Dans ce labyrinthe tortueux, véritable patchwork de fausses pistes et de portraits acides du masculin, trônent notamment deux acteurs d’exception pour dire toute l’ambiguïté des flics hantés par l’inachevé : Bouli Lanners et Bastien Bouillon.
Decision to Leave, de Park Chan Wook
Relecture de génie des cultissimes "Vertigo" (Hitchcock) et "Basic Instinct" (Verhoeven), "Devision to Leave" signe le retour en force d’un virtuose d’entre les virtuoses – parfois pour le pire, ici pour le meilleur : Park Chan Wook. Prestidigitateur de tous les instants, le réalisateur sud-coréen compose une mise en scène aussi retorse que ludique, dont chaque maillon constitue l’étoffe d’une sorte de tapisserie pointilliste et mouvante. Entre l’enquête et la romance, "Decision to Leave" ne choisit pas et c’est ce qui constitue sa singularité tout comme sa maestria. Comme si rien ne pouvait distinguer l’amour fou énigmatique de l’écheveau du crime. C’est grandiose. Mention très bien pour ce long-métrage au firmament des œuvres de 2022.
Mais aussi…
"Nobody", d’Ilya Naishuller, pour ses scènes de baston grandiloquentes et guignolesques.
"Maigret", de Patrice Leconte, pour son sublime désenchantement et l’interprétation vibrante à contre-emploi de Gérard Depardieu.
Nos cinq coups de cœur séries
Better Call Saul, saison 6 (Netflix)
Que dire, sinon que cette dernière saison de "Better Call Saul" parachève avec maestria l’une des plus grandes séries de la dernière décennie ? Pas un seul plan, pas une seule ligne de dialogue ne dépare dans ce tableau sensationnel de la mauvaise foi, de la famille dysfonctionnelle et de l’amour malade. C’est simple : "Breaking Bad" ne constituait en comparaison qu’une sorte de joli brouillon. La trajectoire de Saul Goodman se termine comme elle a commencé : au gré d’un humour et d’une absurdité délirante, au croisement de la perfidie et de la tendresse – en tout cas toujours avec cette intelligence diabolique qu’on lui connaît. Un dernier tour de piste qui laisse déjà nostalgique. Une chose est sûre : les futures œuvres se réclamant de cette filiation auront du pain sur la planche pour se hisser à la hauteur de leur modèle…
Notre critique de Better Call Saul saison 6
Vigil (Arte)
Difficile de ne pas succomber au charme vénéneux de la série "Vigil" et à son enquête haletante. À la fois huis-clos, thriller paranoïaque, whodunit… ce joyau anglais s’approprie toutes les conventions des séries policières pour les sublimer une à une avec une aisance ahurissante et désarmante. Vous aimez l’espionnage, le polar, les sous-marins, les mélodrames, voire l’épouvante ? "Vigil“ accomplit l’exploit de flamboyer à tous les niveaux. Chapeau.
We Own this City (HBO)
Même sans effleurer les fulgurances de son ainé "The Wire", la série "We Own this City" brille par sa finesse et sa lucidité. En découle une admirable plongée à travers les arcanes souvent révoltants des systèmes économique, judiciaire et politique de l’Amérique d’aujourd’hui. La seule faille de ce retour en grâce du génial showrunner David Simon tient à son format en six épisodes – bien trop court pour prétendre reproduire l’élégance littéraire de "The Wire" et ranimer ses protagonistes inoubliables. Et pourtant, elle demeure sans doute possible une incontournable de 2022.
Notre critique de We Own this City
1899 (Netflix)
Aux frontières du réel et de la fantaisie, "1899" déroule un huis-clos anxiogène à bord d’un paquebot transatlantique enjoint de secourir un bâtiment jusqu’alors porté disparu. Alors que les personnages dissimulent leur vraie nature derrière les apparences, tout se dérègle et chacun finit par apparaître sous son véritable jour. Tourmentée, l’ambiance frôle l’épouvante et on ne s’étonne pas en découvrant que les créateurs de la série "Dark" Baran bo Odar et Jantje Friese figurent derrière tout ça. "1899" saupoudre certes un peu trop lentement les indices permettant d’éclaircir son intrigue. Il n’empêche que l’expérience ne manque pas de mordant.
Tokyo Vice (HBO)
Cette série estampillée Michael Mann souffre du fait qu’un seul de ses huit épisodes a bel et bien été réalisé par le maestro. Et pour cause, le reste – beaucoup trop standardisé – ne soutient vraiment pas la comparaison avec le pilote, sorte de chef d’œuvre au même titre que le diptyque liminaire de la série "House of Cards" (signé David Fincher). Pour autant, la série "Tokyo Vice" permet de mesurer plus que tout autre le souci de la minutie et le style si singulier du réalisateur Michael Mann. Son sens du montage au rythme acéré, sa direction d’acteurs, sa mise en scène… le cinéaste semble en pleine possession de ses moyens. Ne serait-ce que pour ça, "Tokyo Vice" fait donc figure d’indispensable.
Mais aussi…
Severance (Disney +) – cette série créée par Dan Erickson lorgne certes du côté de la science-fiction, mais n’en reste pas moins à 100 % une œuvre à suspense. Avec son histoire de mémoires dissociées, sa mise en scène extrêmement travaillée signée Ben Stiller, son atmosphère anxiogène et son casting de rêve (John Turturro, Adam Scott, Cristpher Walken, Patricia Arquette...), aucun doute n’est permis : il s’agit d’une pépite à consommer sans modération.
Evil, saison 2 (Salto) – placée sous le signe de Michelle et Robert King ("The Good Wife", "The Good Fight"…), cette série entremêle l’horreur, l’humour et la politique pour délivrer un divertissement d’excellente tenue. Les protagonistes s’avèrent passionnants, l’histoire extrêmement profonde. Rarement dans l’histoire sérielle l’hémoglobine n’aura bénéficié d’une écriture et d’une perspicacité aussi fourmillantes.
Landscapers (Canal +) – aussi sépulcrale que romantique, voilà une série ambitieuse tant formellement que scénaristiquement. Mention spéciale pour ses projections mentales permettant de dessiner un récit à tiroirs d’une rare densité.