- Réalisateurs : David Simon - George Pelecanos
- Acteurs : Jon Bernthal, Wunmi Mosaku, Jamie Hector
- Auteur : Justin Fenton
- Editeur : Sonatine
20 ans après “The Wire”, le showrunner David Simon retourne à Baltimore avec “We Own This City”. Sans atteindre les sommets stratosphériques de son aîné, cette minisérie HBO en six épisodes apparaît des plus essentielles et incontournables.
Avec “We Own This City”, le scénariste David Simon retrouve enfin Baltimore, 20 ans après sa série mythique “The Wire” (2002). Le showrunner renoue ainsi avec l’une de ses obsessions : pointer les carences de la société américaine à travers une ville symptôme, qui fait office de cas d’école (malversations, corruption, absurdités kafkaïennes…). De quoi lui permettre de nouveau une exploration minutieuse et scrupuleuse des systèmes économique, judiciaire et politique de la l’Amérique contemporaine. Jadis journaliste d’investigation au Baltimore Sun, David Simon n’a rien perdu de son mordant, même si “We Own This City” se montre clairement plus tourné vers l’action que “The Wire”. Très documenté, le scénario s’appuie sur une enquête menée par Justin Fenton, journaliste au Sun. Celle-ci passe au crible l’histoire d’une unité spéciale de la police de Baltimore, la Gun Trace Task Force (GTTF). Longtemps considérée comme une référence absolue en matière de désarmement des criminels, l’unité a vu en 2017 sept de ses officiers arrêtés pour corruption, trafic de drogue et racket en bande organisée. Le temps de six épisodes, la minisérie “We Own This City” passe donc en revue la trajectoire délirante de cette bande de ripoux, et plus spécifiquement celle du sergent Wayne Jenkins et des personnes ayant mis en lumière ses méfaits.
“We Own This City” s’articule autour de nombreuses temporalités, lesquelles scrutent le parcours tumultueux du sergent Wayne Jenkins et de ses acolytes - petite mafia en puissance. Les nombreux flashbacks, récits égrainés au fil des auditions dans le cadre de l’enquête sur les agissements de la Gun Trace Task Force, mettent souvent en scène des arrestations arbitraires sinon racistes ou des perquisitions illégales. D’un côté, évolue le légendaire et redoutable Wayne Jenkins, incarné avec un cabotinage dantesque par Jon Bernthal de la série “The Walking Dead”, de l’autre les enquêteurs progressent laborieusement. Comme souvent, David Simon excelle à mettre en évidence l’asymétrie abyssale entre les moyens dérisoires de la justice (avocats idéalistes…) et les failles systémiques permettant à toute une équipe prestigieuse de la police de s’adonner à une corruption méticuleuse et digne du grand banditisme. Un simple contrôle de routine mené par la GTTF s’avère ainsi prétexte aux vols et extorsions les plus scandaleux. Bien consciente de tels crimes au sein de son unité d’élite, la hiérarchie préfère fermer les yeux pour mieux afficher des statistiques truquées mais élogieuses et électoralistes. De fait, rien n’a changé ou presque à Baltimore en 20 ans. Même si des mouvements comme Black Lives Matter sont passés par là, la réalité distille toujours la même iniquité et injustice.
Main basse sur la ville
Tout cet imbroglio se révèle avec une régularité et un sens du détail inouï. Bien sûr, le style diffère nettement de “The Wire” car le format n’est pas le même - on ne construit pas une tour de Babel en seulement six épisodes. La narration ne prend pas le temps de décortiquer les personnages ou la construction de la ville. Moins littéraire et plus musclé, “We Own This City” n’en demeure pas moins un objet d’une densité et d’une finesse rares. Très rythmée et syncopée, la mise en scène de cette minisérie découpe chaque contrôle ou perquisition de Wayne Jenkins avec soin. Toutes les subtilités de la partialité et du forfait sautent aux yeux avec clarté, quelque part dans la veine de “Les Flics ne dorment pas la nuit” (Richard Fleischer, 1972) et “Serpico” (Sidney Lumet, 1973). Le rapprochement avec le réalisateur d’”Un après-midi de chien” (1975) ne s’arrête d’ailleurs pas là : on croise par exemple ici l’acteur Treat Williams du film “Le Prince de New York” (1981), dont “We Own This City” pourrait constituer une sorte de vision contemporaine.
La principale faille de “We Own This City” concerne toutefois sa lisibilité. Car alourdie par d’innombrables sauts temporels, elle frise parfois le trop-plein. De même, quelques protagonistes clés de l’intrigue se retrouvent placés au second plan après quelques épisodes. Les nombreuses ellipses parlent d’elles-mêmes : claquemurée entre six épisodes, la minisérie déborde souvent. On sent bien que David Simon, Ed Burns et George Pelecanos se sont arrachés les cheveux pour tout faire tenir en seulement quelques épisodes. Dotée d’un casting parfait, cette minisérie HBO aurait pour cela largement gagné à être délayée. “We Own This City” n’en reste pas moins incontournable, ne serait-ce que pour sa propension à s’interroger aussi radicalement sur le concept de police, sur sa légitimité et son sens dans un monde aussi sclérosée.
Le récit de “We Own This City” est tiré de faits réels, notamment d’une enquête du Sun du journaliste Justin Fenton. Disponible en français aux éditions Sonatine, cette dernière s’intitule “La Ville nous appartient”.