- Réalisateur : Ilya Naishuller
- Acteur : Bob Odenkirk
- Distributeur : Universal Pictures International France
Aussi ridicule que jouissif, "Nobody" est de ces comédies d’action qui ne marqueront probablement pas le cinéma, et pourtant ! La présence décalée de Bob Odenkirk en rôle-titre donne souvent lieu à de très sympathiques trouvailles…
Depuis "L’Ombre d’un doute" (Hitchcock, 1943), le cinéma - et plus tard les séries - n’ont cessé de reproduire un même schéma devenu référence : montrer comment le mal se dissémine jusque dans les foyers les plus innocents et jusque dans les contrées les plus tranquilles. De "Blue Velvet" (Lynch, 1986) à "A History of Violence" (Cronenberg, 2005) en passant par "Desperate Housewives" (Marc Cherry, 2004-2012), la liste des œuvres reprenant ce modèle serait longue à égrainer. À l’instar de Tom Stall dans "A History of Violence", Hutch Mansell dans "Nobody" est donc un père de famille à la vie paisiblement tranquille, pour ne pas dire monotone et aliénante. Mais la violence que le protagoniste dissimule par-dessous les apparences et sa frustration finit un jour par remonter brusquement à la surface, à la suite notamment d’un cambriolage à son domicile. Exit le loser fini, sa vie de famille insipide et son job monocorde, Hutch Mansell se révèle bientôt au grand jour. Car dans une autre vie, ce dernier n’était rien de moins qu’une sorte d’effaceur, mercenaire indestructible…
Deux questions viennent à l’esprit au premier abord avec "Nobody". La première : que diable vient fabriquer Bob Odenkirk, l’interprète culte (notamment) de "Breaking Bad" et "Better Call Saul", dans cette histoire de gros bras que l’on pressent dans le sillage décérébré de "Taken" ? La seconde : est-ce que "Nobody" s’apparente réellement au revenge movie bas du front qu’il prétend être ? Il suffit d’une première baston (d’anthologie) dans un bus pour dissiper le flou : ce deuxième long-métrage signé Ilya Naishuller relève de la parodie et ne se prend pas du tout au sérieux (ou alors très peu). Cela tombe bien : fidèle à lui-même, l’acteur Bob Odenkirk excelle toujours autant en matière de dérision, et réserve ici un festival de colère rentrée jubilatoire. De fait, les affrontements flirtent même avec la veine délirante d’un "Kingsman : Services Secrets". Le pitch rejoue la carte des faux-semblant : un homme a priori totalement raté s’avère disposer de compétences létales aussi insoupçonnées que redoutables.
Sans jamais jouer la psychologie ou rechercher une quelconque finesse, "Nobody" fait siens tous les stéréotypes imaginables pour mieux les déconstruire par le rire et l’excès. L’humour est en cela toujours plus gras que noir, même si le long-métrage se veut aussi en filigrane, malgré lui peut-être, une sorte d’éloge de la virilité retrouvée. Car c’est bien de cela dont il est question en creux dans "Nobody" : prouver aux siens et au monde qu’un super-héros sommeille secrètement par-dessous la médiocrité et n’attend qu’un signal pour sortir de sa retraite. Sur ce créneau, le film ne fait clairement pas dans la dentelle ni dans la subtilité. Son apologie de l’auto-justice et sa brutalité risquent d’ailleurs même également de faire grincer des dents ou d’agacer certains spectateurs sourcilleux, ou au contraire de rallier les aficionados de Chuck Norris.
Mais une fois ces quelques limites énoncées, "Nobody" réserve un festival de crétinerie et de bourre-pif assez réjouissant, servi par une mise en scène plutôt réussie, sinon maîtrisée et par des chorégraphies souvent ébouriffantes. Régressif voire hilarant, le spectacle allie une violence assumée, sous le signe de la sulfateuse, à une assurance désopilante. On songe souvent à la recette d’un "John Wick" mais avec une roublardise plus décomplexée. Si le film ne va certainement pas marquer l’histoire du septième art, sa frénésie communicative, dantesque par exemple dans la séquence finale aux côtés de Christopher Lloyd et même RZA (le papa du Wu-Tang Clan), il visse un large sourire sur le visage du spectateur. Et s’il s’en fallait de peu pour qu’Ilya Naishuller, jusqu’alors metteur en scène d’un film de SF en vue subjective un peu trop teinté jeu vidéo ("Hardcore Henry", 2016), ne se transforme en authentique cinéaste ?
"Nobody" est disponible sur Canal + en SVOD.