- Réalisateur : Adrian Lyne
- Acteurs : Ben Affleck , Ana de Armas, Tracy Letts, Rachel Blanchard
Nostalgique des thrillers pseudo sulfureux des années 90, Adrian Lyne tente de raviver le cocktail érotico-chic dont il avait jadis le secret. Le résultat frôle le carnage, et pourtant : Ben Affleck tout comme Ana de Armas survivent cahin-caha au massacre…
Depuis l’âge d’or des thrillers érotiques dans les années 70, 80 et 90 (souvent signés par des réalisateurs tels qu’Atom Egoyan, Paul Verhoeven, Phillip Noyce, David Cronenberg, David Lynch, Paul Schrader, Brian De Palma ou encore Adrian Lyne), ce sous-genre est plus ou moins tombé en désuétude. Quelques résurgences subsistent de temps en temps, pour le pire (The Voyeurs, de Michael Mohan, 2021) comme pour le meilleur (The Neon Demon, Nicolas Winding Refn, 2016 ; Twin Peaks, saison 3, 2017). Il faut pourtant remonter au film Sueurs froides d’Alfred Hitchcock (1958), à savoir aux origines de cet univers mêlant crime et désir, pour en comprendre la logique. Un pré-requis qui ne semble pas concerné Adrian Lyne, de retour après 20 ans d’absence avec le paresseux Eaux Profondes.
Adapté du roman éponyme de Patricia Highsmith, Eaux Profondes suit, comme mille autres films avant lui, le quotidien d’un couple richissime pris dans la tourmente du doute et de l’adversité. Ingénieur de génie à l’origine d’un algorithme ayant permis la mise en œuvre des drones modernes - on passe sur la question de la moralité -, Victor “Vic” Van Allen (à ne pas confondre le guitar hero Van Halen) possède une fortune titanesque. Son épouse, et par le passé assistante - irrésistible Melinda Van Allen - multiplie les conquêtes au nez et à la barbe de son mari, dont l’apparent flegme cache une détresse palpable. La beauté de Melinda n’a ainsi d’égal que sa fougue. Celle-ci trompe ouvertement Victor et s’adonne à un jeu malsain. Chose étrange, certains des amants de la jeune femme n’ont plus donné signe de vie depuis fort longtemps…
On n’avait pas croisé Ben Affleck dans un thriller depuis l’immense Gone Girl (David Fincher, 2014), si ce n’est à la marge dans son film de gangsters mollasson Live By Night (2017) et dans le suspense Netflix à gros bras Triple Frontière (JC Chandor, 2019). À dire vrai, la carrière de l’acteur a pris une tournure assez versatile ces dernières années, pour ne pas dire alarmante. Hormis quelques blockbusters peu glorieux (Batman V Superman, Justice League) ou quelques rôles de seconds plans (Le Dernier Duel, Ridley Scott, 2021), peu de choses s’avèrent consistantes dernièrement. Et ce n’est malheureusement pas ce retour par la petite porte chez Prime Video aux côtés du vieillissant Adrian Lyne (81 ans) qui va lui permettre de remonter la pente. Car tout ou presque dans Eaux Profondes sent le réchauffé et le déjà-vu. Comme si le réalisateur de Liaison fatale (1987) et 9 semaines ½ (1986) tentaient vainement et avec nostalgie de remettre le stupre érotico-chic des années 80-90 au goût du jour.
L’unique lot de consolation du film Eaux Profondes - et celui-là n’est quand même pas des moindres - repose sur le parallèle entre la vie d’Affleck et le protagoniste qu’il incarne. Bouffi et placide, vraisemblablement engourdi par ses années d’alcoolisme, l’acteur apporte malgré lui une crédibilité évidente au Victor Van Allen du film. Si le personnage n’apparaît jamais dans le scénario comme un alcoolique notoire, cette pesanteur prodigieuse que Ben Affleck propage à ses dépens (ou pas) dessine avec brio toute l’ambiguïté et l’ambivalence du protagoniste. En dépit du fait qu’Eaux Profondes n’arrive jamais ni à surprendre ni à passionner (absolument tout est prévisible ici), le spectateur poursuit donc la vision du film au moins pour deux raisons. D’une part, parce que cette sensation de pulsion sans objet (ou presque) qui hante ostensiblement Vic possède quelque chose de fascinant et de magnétique - pas un hasard si Fincher s’est amouraché de l’acteur pour Gone Girl. D’autre part, parce qu’Arma de Armas (Melinda Van Allen) - aussi pénible soit son personnage - distille admirablement son venin, jusqu’à l’ensorcellement. Dès lors, Eaux Profondes peut accumuler tous les défauts du monde (un caractère sulfureux totalement dépassé, toc et risible, une réalisation bâclée, une musique lamentable, un scénario adapté pitoyable...), son naufrage contient malgré tout quelque chose d’addictif . Comme si les débâcles de Vic, celle d’Affleck et celle d’Adrian Lyne ne faisaient soudainement plus qu’une.
À la limite du nanar absolu, Eaux Profondes se présente ainsi comme un objet étrange qu’on continue de visionner malgré soi. Comme un concentré de toutes les erreurs et maladresses possibles du cinéma, le tout doublé d’un côté exhibitionniste et people assumé. Reste que Ben Affleck mérite bien mieux, même broyé par des années de dépression. Quant à l’actrice Ana de Armas, son jeu horripilant et hypnotisant - son charme en début et fin de film dessine d’ailleurs une sorte de palindrome bienvenu - donne probablement un aperçu d’un authentique film sulfureux attendu pour 2022 : le fameux Blonde d’Andrew Dominik, biopic sur Marilyn Monroe déjà précédé par le scandale.
À noter que le livre Eaux Profondes de Patricia Highsmith avait déjà fait l’objet d’une adaptation par Michel Deville en 1981. Dérangeant et glauque, ce polar sur le mode du huis-clos, avec notamment Jean-Louis Trintignant en époux trompé et Isabelle Huppert en femme nymphomane, apparaissait autrement plus fascinant et équivoque.
Eaux Profondes est disponible sur Prime Video.