- Réalisateurs : Bruno Merle - Olivier Abbou
- Acteurs : Nicolas Duvauchelle, Niels Arestrup, Alice Belaïdi, Axel Granberger, Alyzée Costes
Cette mini-série Arte placée sous le signe du thriller psychologique présente plus d’un argument pour séduire, à commencer par Nicolas Duvauchelle ou encore Niels Arestrup, le tout au gré d’une histoire de serial-killer. Mais est-ce bien suffisant ?
Cette mini-série Arte placée sous le signe du thriller psychologique présente plus d’un argument pour séduire, à commencer par Nicolas Duvauchelle ou encore Niels Arestrup, le tout au gré d’une histoire de serial-killer. Mais est-ce bien suffisant ?
À 40 ans, Adrien est un romancier ombrageux et angoissé par un passé traumatique qui remonte épisodiquement à la surface. En attendant de retrouver l’inspiration, ce dernier prend la plume pour raconter la vie d’illustres inconnus. Contraint de gagner ainsi sa vie, il accepte l’offre d’un vieil homme sensible à son premier roman. La mission consiste à coucher sur papier sa plus grande histoire d’amour et le récit de sa vie, au centre duquel évolue Solange. Mais la narration du vieil homme comporte des détails inattendus qui remettent en jeu l’existence-même d’Adrien…
Lancée en grandes pompes par Arte, placée sous l’estampille notamment de France Inter, "Les Papillons noirs" semble sur le papier disposer de sérieux atouts. Outre son pitch engageant et emprunt de suspense, avec d’un côté un écrivain maudit et de l’autre un serial killer sur le retour lui redonnant paradoxalement goût en l’existence, cette mini-série bénéficie d’un casting de premier ordre. Dans la peau du romancier torturé en mal d’inspiration et en pleine crise existentielle, Nicolas Duvauchelle apparaît quelquefois indéniablement plus vrai que nature. Quant à Niels Arestrup, sa présence magnétique justifie sans doute à elle seule la vision de la série "Les Papillons noirs". Pourtant, quelque chose cloche et ne permet presque jamais au programme d’atteindre ses objectifs ou de se démarquer. Sans doute, attendions-nous trop de ce voyage en enfer. Quoi qu’il en soit, ce dernier échoue à trancher ou à convaincre pleinement, que cela soit sur le terrain du divertissement tout comme celui des prétentions plus auteurisantes.
Une écriture qui manque de relief
Qu’il soit féru de thriller ou simple amateur du genre, le spectateur risque de rester sur sa faim avec "Les Papillons noirs". Certes, la trame générale – sans aucune originalité et en choisissant délibérément les sentiers les plus balisés – reste intéressante et plutôt prenante voire addictive. Mais gare à ne pas trop gratter à la surface. Car ici, aucun des protagonistes ne bénéficie réellement d’un traitement en profondeur. On ne s’en tient même en définitive qu’à quelques stéréotypes. Les caractères apparaissent ainsi grossièrement dessinés, ne s’appuyant qu’exclusivement sur le talent – indiscutable, lui - des acteurs et actrices. Traumatismes au cours de l’enfance, parents démissionnaires, famille richissime au passé mystérieux, pulsions de mort en guise d’échappatoire à un malaise social… les pistes permettant d’expliciter le devenir des personnages ne font vraiment pas dans la dentelle. Les psychologies des uns et des autres, tout juste esquissées, enlisent elles aussi la série. Si bien que tout paraît pratiquement joué d’avance au bout d’un ou deux épisodes.
Une mise en scène maladroite
Du côté de la réalisation et de la mise en scène, cette dimension privilégiant la séduction sur la réflexivité se confirme. Le style d’Olivier Abbou et de son équipe, pas si loin du film "Furie" (Olivier Abbou, 2019), adopte en effet l’emphase plutôt que la simplicité ou la sincérité. Dès qu’il est question de romancer ou d’intensifier l’action, à des fins de tension ou plus simplement d’immersion, les mouvements de caméra pullulent – rarement hélas les plus élégants. Cette exigence d’opulence de la série "Les Papillons noirs" fait pourtant souvent toc, ou tombe un peu trop régulièrement à plat.
On pourrait toutefois en y réfléchissant justifier cette tendance à la grandiloquence par un détail peu anodin : le recours à l’affectation ou au maniérisme transparaît dans la plupart des cas lorsqu’il est question d’un flashback (les amorces des épisodes) ou surtout quand le tueur en série Albert Desiderio relate son passé à Adrien. Or, la volonté d’Albert d’amplifier son récit et en un sens de le poétiser, doublée par le désir d’Adrien d’en faire un chef d’œuvre littéraire, se retrouve en écho à travers la mise en scène. Sous cet angle, la réalisation outrancière serait donc une façon d’allégoriser les aspirations de triomphe des deux protagonistes. Mais tout cela est-il seulement délibéré et pensé ? Pas si sûr, car cette dimension déclamatoire persiste également, dans une moindre mesure certes, dans le présent de l’intrigue. En témoigne la scène liminaire au cours de laquelle Adrien aperçoit son reflet déformé dans une armoire d’Albert, présumant ainsi hâtivement son caractère double.
L’épouvante chic en guise de prétexte
On notera que parmi les scènes de narration d’Albert Desiderio, le genre du giallo émerge avec évidence. Dans la séquence sur la côte d’Azur, le bar porte d’ailleurs le nom de « giallo ». Ce dernier prélude à de nombreuses scènes de souvenirs typiquement filmées dans le style érotico-sanglant de Dario Argento et autre Mario Bava. L’objet inconscient des deux jeunes amants assassins ne repose-t-il pas de toute façon sur un Eros enchâssé dans le Thanatos, et vice versa ? Du reste, lorsque le récit du serial killer énumère les meurtres commis sur un laps de temps court, les tueries se télescopent au fil d’un jeu sur les couleurs en tous points analogue aux obsessions de Dario Argento. De même, les armes blanches – ici une paire de ciseau – font florès. Une certaine efficacité en découle. On flirte avec l’humour et le grand guignol mais cependant de façon clinquante et sans raffinement.
Une finesse en berne et un suspense discutable
Ces écueils et autres paresses s’avèrent d’autant plus frustrants que "Les Papillons noirs" bénéficie d’une production suffisamment luxueuse pour donner lieu à matière plus noble. Pas désagréable sinon plaisante, la série demeure éminemment prévisible. La faute notamment à l’ouverture des épisodes qui, pensant saupoudrer progressivement l’intrigue, donne trop d’indices. Si bien que les twists font souvent plouf. Ce manque de surprise tient certainement pour beaucoup à l’écriture. Trop sommairement sculptés, les personnages ne disposent en général que de quelques facettes, sur lesquelles se réfléchissent très vite toutes les vérités indicibles ou cachées - dommage. De plus, le scénario fait étrangement l’impasse sur toute la question morale sous-jacente. Malgré l’écrasante domination des films et séries de seconde zone, dont les cahiers des charges prévalent souvent sur la réception du public et sur la qualité globale, les spectateurs contemporains sont désormais de grands habitués des histoires de tueurs, passés maîtres question rebondissements et faux semblant. Et force est de constater que "Les Papillons noirs" risque à ce niveau de peiner à les étonner ou à les passionner outre mesure.
"Les Papillons noirs" est une mini-série en six épisodes disponible sur Arte depuis le 22 septembre 2022.