- Acteurs : David Thewlis, Olivia Colman, Kate O’Flynn
Macabre et romantique, cette minisérie tirée d’un fait réel sordide séduit par son récit à tiroirs et son ambition formelle. Olivia Colman et David Thewlis fascinent dans la peau de meurtriers captifs des fictions qu’ils s’inventent.
Susan et Christopher Edwards, deux expatriés britanniques installés en France, forment un couple aussi uni qu’étrange. Il y a dix ans, ces deux êtres marginaux et fantasques ont brusquement quitté leur domicile dans des circonstances nébuleuses. À court d’argent et bientôt accusés d’avoir enterré les parents de Susan dans leur jardin et d’avoir vidé leurs comptes en banque avant de s’enfuir, ils regagnent à présent Londres à reculons…
Adapté d’un inquiétant fait divers ayant remué l’Angleterre en 2012, "Landscapers" ne se contente pas des performances de deux grands acteurs émérites. Certes, la minisérie permet à Olivia Colman, épouse à la ville du créateur de la série Ed Sinclair, et à son partenaire David Thewlis de s’adonner à quelques morceaux de bravoure de premier ordre. Pour autant, l’attrait de "Landscapers" ne repose pas exclusivement sur l’accomplissement et la finesse indéniable de leur jeu, en perpétuelle métamorphose. D’une part, le scénario d’Ed Sinclair fourmille d’ambiguïtés dépassant largement le fait divers initial dont il tire sa trame. D’autre part, la mise en scène de Will Sharpe, réalisateur virtuose déjà croisé aux manettes de la série "Flowers" - petit chef d’œuvre d’humour noir, d’inventivité et de poésie -, impressionne par ses talents d’illusionniste et ses innombrables trouvailles formelles.
Évacuant toute tentation de sensationnel et de sordide, "Landscapers" entrecroise au gré de son récit de nombreux regards – ceux des protagonistes, ceux plus inconscients liés à leurs fantasmes et rêves, ou encore le point de vue zéro de la narration – pour livrer une œuvre assez stupéfiante et polymorphe. Il y a bien sûr en amorce une authentique enquête policière, bancale et équivoque car parasitée entre autres par les égos et opportunismes des différents policiers et services – Ed Sinclair semble remettre en question le procédé des enquêteurs. Une structure à laquelle s’accole parfois un thriller ironique, farcesque, pas si loin de l’humour caustico-lugubre d’un film comme "The Voices" (Marjane Satrapi, 2015). Mais au-delà de l’investigation et du suspense – si tant est qu’une surprise puisse perdurer dans la mesure où "Landscapers" ne fait jamais aucun mystère sur la condamnation à venir de Susan et Christopher Edwards pour le double meurtre –, c’est une romance épique et singulière qui régit la série.
Loin du simple « true crime » ou de la reconstitution voyeuriste, la série de Sinclair et Sharpe nous immerge ainsi au cœur d’un maelstrom sentimental d’une densité unique en son genre, entre fantasmagories et souvenirs macabres enténébrés. Invoquant la cinéphilie de Susan et Edwards – tous les deux inconditionnels notamment d’un film tel que "Le train sifflera trois fois" (Fred Zinnemann, 1952) –, "Landscapers" n’hésite pas à plonger ses personnages centraux au beau milieu d’un film dont ils seraient les héros. Dès lors, le décor change d’une séquence à l’autre et redéfinit les codes à l’aune de l’œuvre qu’il convoque.
Puisque le réel ne peut dorénavant plus offrir à ce couple de grands enfants déconnectés de la réalité ce à quoi il aspire – une vie en harmonie, pleine de gaité et d’amour –, c’est donc à travers les chimères du film à travers lequel ils se projettent mentalement que Susan et Edwards retrouvent un semblant de leur liberté perdue ou rêvée. Sans jamais chercher à dénouer ou expliquer quoi que ce soit de cette sombre affaire – sinon qu’une réelle empathie pour les deux criminels surnagent délibérément -, "Landscapers" réserve une expérience aussi angoissante qu’émouvante.
Certains y retrouveront à certains égards la veine expérimentale et pour le moins bariolée d’une œuvre comme "Legion" (FX, 2017-2019) – une comparaison des plus élogieuses au regard de l’imaginaire sans borne de la série. Mention spéciale enfin pour quelques moments d’anthologie où par un tour de passe-passe cérébral, les personnages vivants et morts, éloignés les uns des autres ou emprisonnés, se retrouvent réunis le temps d’une reconstitution du crime délirante. Coulisses, rêves… tout se télescope pour célébrer la créativité du duo Sinclair-Sharpe, et les talents démesurés d’Olivia Colman et David Thewlis.
Tirée d’une histoire réelle, "Landscapers" (Les Paysagistes – on laisse le spectateur découvrir le pourquoi du jeu de mots) par HBO et est disponible en France sur Canal +.