- Réalisateur : Tobias Lindholm
- Acteurs : Noah Emmerich, Jessica Chastain, Kim Dickens, Eddie Redmayne
- Auteur : Charles Graeber
Très classique dans sa forme, ce thriller écartelé entre aridité et intimité impressionne par sa hauteur de vue. De quoi continuer à faire de Tobias Lindholm l’un des cinéastes danois les plus en vogue ?
Amy, infirmière et mère célibataire, souffre d’une grave pathologie cardiaque mais doit poursuivre ses gardes nocturnes éreintantes pour espérer toucher l’assurance qui paiera son opération. Elle trouve réconfort et soutien auprès d’un nouveau collègue bienveillant et attentif, Charlie. Au fil des longues nuits de travail à l’hôpital, les deux soignants se lient d’une solide amitié. Si bien qu’Amy regarde à nouveau l’horizon avec optimisme. Mais très vite, une série étrange de décès de patients déclenche une enquête dans l’établissement hospitalier…
Passé par le film de prison claustro ("R", 2014), le huis-clos étouffant ("Hijacking", 2012), ou encore le film de guerre à suspense ("A War", 2016), le réalisateur danois Tobias Lindholm – à ses heures scénariste de Thomas Vinterberg –, ne gravite jamais bien loin du thriller. Sans céder à l’effroi stérile, son obsession repose sur une mise à distance aride, presque impersonnelle, flirtant à première vue avec le classicisme. Idée fixe qui se double d’un regard acéré, d’une tension et d’une posture morale ambiguë - et en cela justement passionnante. "Meurtres sans ordonnance" répond en tout point à ce même dispositif, s’en emparant à travers un scénario habile et sur-mesure : d’un côté un drame social auscultant les rouages iniques du système de santé aux États-Unis, de l’autre un suspense absolu tour à tour ouaté et terrifiant. Derrière le mélodrame, se cache notamment une enquête de police stupéfiante.
C’est son intelligence et sa manière : "Meurtres sans ordonnance" brouille résolument les pistes, entre docu-fiction et cinéma de genre. Le long-métrage apparaît d’abord comme une semonce implacable contre la privatisation du système de santé américain. Son héroïne elle-même, l’infirmière et mère célibataire Amy Loughren jouée par Jessica Chastain – brillante –, reflète l’antinomie. Personnification des soins, sa vie ne tient littéralement plus qu’à un fil. Avant de pouvoir bénéficier de l’assurance qui paiera son indispensable opération du cœur, la protagoniste très récemment engagée doit encore travailler une année. Durée qui s’avère incompatible avec la sévère cardiomyopathie qu’elle présente. Dès lors, la tension affleure. Ou comment mettre en exergue avec une facilité stupéfiante l’absurdité de tout un système. Puis "Meurtres sans ordonnance" glisse vers le thriller policier, cette fois à l’aune de la flexibilité des ressources humaines des hôpitaux, perméables aux erreurs et crimes les plus impardonnables.
N’en déplaise à sa sécheresse opiniâtre (photographie, sentiments, péripéties…) "Meurtres sans ordonnance" ne néglige pas ses personnages, leur offrant une grande profondeur. Bien qu’esquissés à distance en amorce, Amy et son collègue a priori attentionné Charles, finissent par émerger plein cadre. L’atmosphère aseptisée mute alors pour devenir un cocon plus intimiste et propice à l’équivoque. Tout ou partie du mécanisme de l’intrigue du film repose dans un premier temps sur l’attachement qui unit Amy et Charles, avant de chanceler pour devenir une sorte de face-à-face. Dans la peau de Charles Cullen, Eddie Redmayne, hypnotique et sensationnel, redouble d’ambivalence. La douceur mâtinée de folie, tout comme l’androgynie et le visage émacié de l’acteur, y participent amplement. C’est cette délicatesse irrésistible au-dessus de tout soupçon, son empathie illusoirement désintéressée, qui permet au personnage de se rapprocher d’Amy, tout aussi pugnace que vulnérable.
Sans jamais se complaire dans la simple reconstitution – la fin de parcours de l’impénétrable Charles Cullen –, "Meurtres sans ordonnance" utilise en définitive les motifs du « crime movie » et du tueur en série en guise de McGuffin. Il s’agit en effet clairement pour le metteur en scène Tobias Lindholm de tirer à boulets rouges sur le système de santé des Etats-Unis, plutôt que de jouer avec détermination la fameuse carte de l’angoisse si souvent de mise lorsqu’il est question d’un tueur en série. Les spectateurs inconditionnels des thrillers putrides et glauques resteront peut-être à cet égard sur leur faim. Car "Meurtres sans ordonnance", par sa froideur et son cadrage d’une grande austérité, ne cède jamais à la haute tension. Préférant sonder les regards et les silences, le film s’en tient à l’épure. Ce qui n’en reste pas moins, au travers du scénario intraitable de Krysty Wilson-Cairns, tourmentant. Retors, bien vu tout en manquant quelquefois d’agréments, "Meurtres sans ordonnance" donne envie de continuer à suivre le parcours de Tobias Lindholm.
Adaptation du roman "The Good Nurse" (Charlie Graeber, 2013), surnom de Charles Cullen dont nous n’aurions probablement pas su apprécier la référence, "Meurtres sans ordonnance" est disponible sur Netflix.