- Réalisateur : Julia Hart
- Acteurs : Marsha Stephanie Blake, Arinzé Kene, Rachel Brosnahan
- Date de sortie : 0000
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Thriller féministe élégant et envoûtant, "I’m your Woman" consacre l’éclatante Rachel Brosnahan. Voici trois raisons de succomber à ce film noir planant, accessible sur Prime Video.
Et voilà un film noir qui, chose rare, redonne aux femmes une place dans un genre qui les délaisse trop souvent. C’est beau, tout en gradation, et qui plus est élégamment mis en scène par la prometteuse Julia Hart.
Le pitch apparaît comme un mélange du "Gloria" de Cassavetes (1980) et de tout un pan du film de gangsters, de Coppola à JC Chandor en passant par Lumet, Pollack et James Gray. On y suit Jean, une femme au foyer vivant bon gré mal gré aux côtés d’un époux malfaiteur absent, dans une morne banlieue bourgeoise. Zombifiée, elle est spectatrice de sa propre existence, enchaînée à un quotidien qui la dépasse. Un jour, son mari lui rapporte un bébé – de qui, d’où ? on ne sait –, comme s’il s’agissait d’un bouquet de fleurs. Comme Jean, le spectateur se trouve prisonnier du point de vue de la jeune femme, sans cesse abandonnée derrière une porte quand son mari reçoit ses associés douteux. Mais tout à coup, le conjoint disparaît après avoir tenu tête à un baron de la pègre et Jean doit s’enfuir pour survivre. Tout est déréglé, pour son malheur et même sa liberté. Mais pourquoi "I’m your Woman" est incontournable ?
Pour son rythme hypnotique et stylé
Au gré d’un superbe décor seventies nanti d’une atmosphère des plus soignées, le film scotche, avec sa bande originale mâtinée de soul et de jazz, sans compter son immersion stylisée. Couleurs, plans, rigueur du cadrage… on se croirait dans un authentique thriller-polar seventies mais dont la spécificité serait de mettre en pièce le patriarcat, le racisme (un peu) et le sexisme, et ce tout en laissant en général hors-champ la brutalité inhérente aux règlements de compte entre gangsters. En parvenant à ne focaliser son intrigue touffue qu’autour des choix de Jean, la réalisatrice Julia Hart réalise un tour de force. Sous cet angle, il suffit de quelques plans vaporeux et autres travellings en apesanteur pour délivrer un sentiment d’angoisse et de psychose. Brillant.
Parce que Rachel Brosnahan
Outre ses apparitions dans des séries comme "Les Experts : Miami" ou "Orange Is The New Black", c’est son rôle de call girl piégée par un sombre écheveau politique, dans les trois premières saisons d’"House of Cards" (2013-2015), qui la fait sortir du lot. Depuis, la jeune actrice amorce une progression fulgurante. Sous ses airs de desperate housewive (dans "The Good Wife", "The Marvelous Mrs. Maisel"…), Rachel Brosnahan cache un impressionnant double jeu. Exit la tchatche explosive de reine du stand-up de "The Marvelous Mrs. Maisel" : avec "I’m your Woman", toute sa force suinte à travers son mutisme et ses actions. À mesure que son personnage sort de l’ennui et de la léthargie, retrouve goût en l’existence, le thriller noir propage peu à peu la tension. Particularité qui induit un jeu d’autant plus étonnant, elle interprète la moitié des scènes avec un bébé dans les bras. En découle un admirable portrait de femme débordée par l’imprévu, et qui reprend en cela le contrôle de son destin, parfois en faisant parler la poudre.
Parce que le titre « (You Make Me Feel Like) A Natural Woman » d’Aretha Franklin a rarement été si bien utilisé dans un film
Le titre du film, "I’m your Woman", n’est pas à prendre au pied de la lettre. Au contraire, Jean finit par ne plus être assujettie à quiconque : elle n’est au final plus la femme de quelqu’un. D’ailleurs, il s’agit plus d’un hommage et d’une boutade car cette sentence réductrice est tirée d’un dialogue du film culte "Le Solitaire" de Michael Mann (1981), comme si la cinéaste Julia Hart cherchait à prendre le contrepied du réalisateur de "Heat", en plaçant cette fois la femme au premier plan. Qui plus est, on entend dans "I’m your Woman" à plusieurs reprises le titre « (You Make Me Feel Like) A Natural Woman » d’Aretha Franklin, et ce, au fur et à mesure de la transformation intérieure de Jean, tandis qu’elle gagne sa liberté. Il s’agit même de la chanson dont elle se sert pour endormir son bébé. Encore un peu, on entendrait presque résonner la chanson « Respect » d’Aretha en lieu et place. La métaphore se suffit à elle-même pour sourdre l’émancipation.