Le showrunner Mike White ausculte l’ambivalence mortifère des rapports de classe dans une minisérie noire aussi drôle que féroce. Satire sociale HBO à binge-watcher sans hésiter.
Au "White Lotus", resort hawaïen de rêve réservé à quelques rares privilégiés, les vacances se sont achevées pour certains sur une note plus qu’inhabituelle. Une personne a perdu la vie dans des circonstances mystérieuses, mais laquelle ? Un flashback de six épisodes déroule peu à peu l’écheveau, le temps d’un règlement de compte où le doux clapotis des vagues s’efface au profit de la lutte des classes et de l’impérialisme.
Bienvenue à "White Lotus", opulent resort hawaïen strictement dédié aux clients fortunés et dont les suites fastueuses, piscines et autres plages de sable fin tiennent du paradis. En ce havre de paix, la splendeur et l’apaisement font office de programme immuable et rien, absolument rien, ne doit venir entacher cette Olympe, pour le plus grand plaisir de ses hôtes. C’est en tout cas le souhait du directeur de White Lotus, l’obséquieux Armond (excellent Murray Bartlett, totalement déjanté), qui impose à chacun des membres de son équipe d’adopter un masque de respectabilité et de complaisance à toute épreuve. Entendre : ne jamais cesser de sourire et de feindre la bienveillance quoi qu’il advienne, et ce jusqu’au point de rupture.
Problème : le personnel de l’hôtel – et son directeur avec – exténué par cet incessant jeu de domination qui ne dit jamais son nom, se trouve au bord du burn-out. Si bien que dès le premier jour des nouveaux arrivants, les apparences idylliques laissent entrevoir la réalité : un enfer inextricable qui se trame par-dessous les mises impeccables de la clientèle. Derrière le simulacre de l’Éden et les faux-semblants, persistent en creux les inégalités, l’asservissement, les fantômes du colonialisme ou encore du racisme. À tel point que le cadre de l’hôtel se fait le miroir d’une société malade, gangrénée par l’indifférence, le mensonge et l’adversité. La richissime famille Mossbacher, unie en apparence mais comme nécrosée de l’intérieur, illustre bien le phénomène. Célèbre nabab de la presse, la mère Mossbacher ne s’intéresse que médiocrement à son mari hypocondriaque en crise, à sa fille insoumise et à son fils aussi hyperconnecté qu’asocial.
Dans ce microcosme aseptisé, on s’entredéchire en silence et avec élégance, tout en écrasant les personnes extérieures avec dédain et nonchalance. Cette aversion est inconsciente et totalement intériorisée, presque automatique. Et ce mélange d’arrogance et de supériorité – typique par exemple du jeune premier incarné par Shane – touche presque tous les clients, même ceux feignant la sympathie pour mieux arriver à leur fin – à l’instar de l’instable et endeuillée Tanya. Alors le spectateur finit par s’identifier aux protagonistes victimes de cette tyrannie latente : le directeur Armond, la « femme trophée » Rachel, Paula l’amie enchaînée aux Mossbacher, ou encore la gestionnaire du spa Belinda – tous pris au piège d’un insidieux jeu de domination où les puissants triomphent toujours des laissés pour compte. Seulement, comme semble le souligner Mike White le créateur de White Lotus, l’oppression et l’hostilité finissent par contaminer jusqu’aux protagonistes les plus purs, eux aussi en définitive corrompus malgré eux. Comme si l’innocence ne pouvait qu’être emportée par le vice en ce monde de luxe et de sujétion, à l’image de la trajectoire de Kai.
Pareille déconstruction du tourisme, si ce n’était l’humour omniprésent et le ton faussement mélodramatique, rappelle la causticité du dernier film de Shyamalan, "Old". Mais la série "The White Lotus" se rapproche surtout en filigrane du film "Parasite", la Palme d’or 2019 de Bong Joon-ho.
En empruntant l’univers du film noir et celui du drame social, la série cherche avant tout à faire s’entrechoquer les classes sociales dans le quasi huis-clos, archi schématique et crépusculaire, d’un hôtel perdu au beau milieu du Pacifique. La musique mordante à souhait signée Cristobal Tapia de Veer, qui accompagne de son rythme métronomique chaque revirement, rend chaque situation plus sarcastique. Même si l’on a connu production HBO plus corrosive – la série aurait d’ailleurs gagné d’aller plus loin encore dans la satire et dans le mauvais goût –, difficile de résister à l’écriture, au suspense et au tempo de "The White Lotus". À l’image des flots et vagues dont la caméra ne cesse de submerger le spectateur, l’agitation générale, épisode après épisode, engloutit toujours un peu plus les protagonistes. Un tableau aussi jouissif qu’alarmant.