- Acteurs : Kate Winslet, Guy Pearce, Jean Smart, David Denman
10 ans après "Mildred Pierce", Kate Winslet retrouve le petit écran avec une mini-série diffusée par OCS, un voyage aussi poisseux que touchant dans une bourgade de Pennsylvanie cernée par le désespoir.
À Easttown, petite ville de Pennsylvanie, une enquêtrice de la police du nom de Mare continue d’investiguer autour d’une ancienne affaire de disparition insoluble. Submergée par un drame familial et par un quotidien harassant, elle se lance dans une nouvelle enquête suite au meurtre d’une adolescente.
Si Kate Winslet avait déjà su au cours de sa carrière briser en partie son image glamour, notamment dans "Eternal of the Spotless Mind" (Gondry, 2004), "The Reader" (Stephen Daldry, 2009) et "Steve Jobs" (Danny Boyle, 2015), il aura sans doute fallu attendre "Mare of Easttown", série à suspense made in HBO, pour assister à son authentique métamorphose. D’année en année, le visage de l’actrice se patine peu à peu et lui permet d’échapper enfin au déterminisme de séduction que lui imposait jusqu’alors sa franche beauté. Aussi, la nature de son personnage, policière pugnace, empathique et intraitable, qui se double d’un rôle de mère divorcé en pleine crise existentielle, participe de son apparence cette fois nettement moins apprêtée qu’à l’accoutumée. Et si son charme demeure intact tout comme son éclat, il est appréciable de suivre son personnage pour autre chose que son élégance. D’entrée de jeu, celle qu’elle incarne – la « Mare » du titre "Mare of Easttown" – redouble d’ailleurs de profondeur malgré son indolence. On l’apprécie instantanément pour sa détermination et pour sa capacité absolue à s’identifier à autrui dans le cadre de son activité, sans jamais glisser vers la fermeté ou la violence, sinon à travers les mots.
Ebréchée par une enquête autour d’une disparition qui n’en finit plus, fatiguée d’une existence tragique, Mare continue d’avancer sans relâche et avec une certaine gaieté emprunte de fatalisme. D’un tempérament serein derrière sa combativité, elle ressemble beaucoup à la ville cabossée dans laquelle elle vit et travaille, Easttown – le fait d’accoler son prénom à la cité dans le titre n’est pas un hasard, l’un servant à allégoriser l’autre. À travers les rues d’Easttown, toutes semblables et qu’elle semble connaître par cœur, Mare se fond et s’incorpore. Il faudrait un événement déclencheur pour mettre un terme à cette fusion pernicieuse qui la rapproche de la mort. Et c’est précisément ce qui se produit lorsqu’intervient le meurtre d’une adolescente, écho funeste qui n’en finit pas de rappeler l’affaire de disparition qu’elle peine à clore depuis un an. Très vite, tandis que tout se délite dans sa vie personnelle, Mare s’engouffre dans une enquête jusqu’à y perdre tout sens moral, quitte à remettre en question jusqu’aux plus intimes de son cercle familial. Difficile d’envisager une rédemption pour la protagoniste dans cet écheveau de ténèbres enchevêtré sous le ciel gris de Pennsylvanie.
Sans jamais jouer la carte de la virtuosité, et ce tout en affichant une certaine élégance dans sa mise en scène, la mini-série "Mare of Easttown" coche toutes les cases du polar mâtiné de drame. Avec son décor mélancolique peuplé d’innombrables écorchés, le récit dévoile peu à peu ce qui se trame derrière les apparences fallacieuses. Pris entre l’envie irrépressible d’identifier le criminel et de voir Mare retrouver la voie du salut, le spectateur navigue entre deux eaux : celles du suspense et de la tragédie. Deux tonalités qui rappellent notamment la série "Top of the Lake" de Jane Campion, portraits déchirants de femmes sur fond de thriller inextricable.
Quelques subtilités typiques des séries HBO sont à noter dans "Mare of Easttown", à commencer par une écriture minutieuse, réaliste et une passion immodérée pour les détails. Qualités qu’on observe par exemple lorsque Mare s’engage dans une course-poursuite après avoir bondi de son véhicule. Tandis que le fugitif se tranche la main sur une barrière banale, la policière se foule la cheville en enjambant cette dernière. Puis peu après, un jeune policier présent sur place manque de perdre connaissance devant la main sanguinolente du fuyard. Il pourrait s’agir d’un ressort comique mais pas du tout : "Mare of Easttown" fonctionne précisément grâce à son souci insatiable de réalisme. Ainsi, le ridicule coudoie souvent la peur et la témérité, ingrédients qui fondent d’ailleurs les chefs d’œuvre à la "Memories of Murder" (Bong Joon-ho, 2003) – comparaison qui ne manque pas d’éloge. Tout le casting s’avère du reste assez exceptionnel. Reste maintenant à savoir si "Mare of Easttown" réussira à captiver et étonner jusqu’au bout le spectateur averti.