- R�alisateur : Alfred Hitchcock
Il suffit parfois d’une rencontre avec un inconnu...
Méfiez-vous du destin, car il suffit parfois d’une rencontre avec un inconnu dans un train pour se retrouver pris au piège d’une histoire d’assassinat…
Le pitch
Guy Haines, un joueur de tennis professionnel, est abordé dans un train par un voyageur se présentant comme l’un de ses supporters. Cet inconnu, nommé Bruno Antony, lui propose un marché : il assassinera sa femme infidèle, Miriam Haines, en échange du meurtre de son père. Soit selon lui la mise en œuvre de deux crimes parfaits car dépourvus de mobiles identifiables. Guy prend congé de son interlocuteur en préférant n’y voir qu’un plaisantin au mauvais goût, mais il apprend bientôt la mort de son épouse…
Pourquoi c’est un incontournable
« L’inconnu du Nord Express » s’impose ne serait-ce que pour ses premiers plans restés célèbres dans l’histoire du cinéma : les travellings sur les pas des passants, les voies de chemin de fer et la rencontre entre deux paires de pieds qui s’entrechoquent.
Sans besoin de recourir aux mots ou à une description plus détaillée, le drame se noue en quelques secondes. Comme si les fils du destin (les Parques) – dès la rencontre – se refermaient inexorablement sur le protagoniste central, Guy Haines.
Le film vaut également pour l’étrange ressemblance des trois principales femmes du film (Miriam, Anne et Barbara Morton), qui rajoute à l’ensemble une inquiétante étrangeté. Bizarre aussi, la sorte de prescience du caractère maléfique de Bruno que Barbara Morton (jouée par Patricia Hitchcock, la fille du maître) paraît détenir dès qu’elle le croise pour la première fois. C’est un peu comme si même après sa mort, Miriam revivait à travers Barbara pour en découdre avec son meurtrier.
Parmi les scènes cultes de « L’inconnu du Nord-Express », gardons en outre en mémoire le montage parallèle avec d’un côté le match de tennis de Guy, de l’autre Bruno cherchant sans relâche à rattraper le briquet tombé dans une bouche d’égout. Mais aussi : le plan sur le visage de Bruno (le seul de tout le stade à ne pas se tourner pour suivre la balle des yeux) dans la tribune pendant un match de Guy.
Enfin : la silhouette du molosse dans l’escalier de la demeure des Antony – vision d’horreur sidérante – et bien sûr la scène finale à la fête foraine, dispositif catastrophe presque expérimental avec ses effets spéciaux toujours saisissants de nos jours, aussi furieux qu’un « Destination Finale ».
La Hitchcock touch’
Voir Farley Granger, l’un des acteurs principaux de « La Corde », demeurer une nouvelle fois après « La Corde » au premier plan dans « L’inconnu du Nord Express » n’a rien du hasard. Lorsqu’il opte pour cet interprète, Hitchcock sait que les spectateurs assidus continuent de voir en celui-ci le séduisant meurtrier homosexuel qu’il incarnait dans « La Corde ». De quoi accentuer le caractère instable du personnage.
Le caméo d’Hitchcock intervient à la dixième minute. Il s’agit d’un voyageur montant dans le train en gare de Metcalf muni d’une contrebasse.
L’analyse
Il serait tentant de voir en Bruno Antony, inconnu névrosé rencontré dans le train, la matérialisation du désir de mort inassouvi de Guy Haines. Selon cet axe, Bruno Antony devient donc une projection mentale d’un désir de mort refoulé : bien comprendre que Guy aimerait ainsi au fond se débarrasser de sa femme encombrante pour épouser la belle Anne Morton. Hitchcock s’amuse aussi à ce titre avec la morale du spectateur, plus que précaire lorsqu’elle plaide malgré elle pour la réussite de ce crime par omission.
Aussi, Guy Haines et Bruno Antony fonctionnent comme deux facettes possibles d’une même pièce : le thème du double, très cher à Hitchcock (mais aussi à Dostoïevski, dont le réalisateur semble s’inspirer très largement à travers tout son cinéma), apparaît ici essentiel. À noter que différents attributs se répondent en miroir de part et d’autre chez les deux protagonistes : l’homosexualité latente, l’apparence générale, sans compter une même vision du monde. Dès lors, les apparitions de Bruno (immobile épiant Guy depuis la tribune ; silhouette noire ponctuant la blancheur du Jefferson Memorial… ) laissent entrevoir le véritable Guy.
La genèse
Le scénario de « L’inconnu du Nord-Express » découle du roman éponyme de Patricia Highsmith, sorti en 1950. Si Hitchcock considérait le livre comme un très bon matériel pour l’écriture du film, sa collaboration avec l’écrivain Raymond Chandler fut difficile – pour beaucoup à cause d’une histoire d’égo (Chandler ne supportait pas qu’Hitchcock puisse avoir des suggestions à donner). Heureusement, Czenzi Ormonde (une assistante de Ben Hecht) a terminé le travail avec brio. Même si quoi qu’il en soit, c’est bien la mise en scène qui a permis au scénario de sortir véritablement de ses gonds.
Notons que si le recours à l’acteur Farley Granger constitue une bonne idée prise dans le sillage de « La Corde », Hitchcock aurait préféré voir le comédien William Holden à sa place.