Parfois injustement considéré comme un Hitchcock mineur, « Cinquième Colonne » rassemble pourtant tous les ingrédients essentiels du cinéma du britannique. Course-poursuite, humour noir… pour une promenade aux États-Unis sous acide.
Le pitch
Barry Kane, un employé de l’aéronautique, se retrouve accusé à tort d’avoir incendié l’atelier d’usine d’armement où il travaillait. Il est en réalité le seul à connaître l’identité du vrai coupable : Frank Fry. Afin de prouver son innocence, Barry prend la fuite à travers tout le pays, sur les traces du saboteur. Il rencontre sur sa route une femme désirant d’abord le livrer à la police, mais qui finit par lui venir en aide…
Pourquoi c’est un incontournable
À première vue, le synopsis de « Cinquième Colonne » s’apparente à la plupart des films de poursuite d’Hitchcock (« Les 39 Marches » ; « Correspondant 17 » ; « La Mort aux trousses » ; etc.). Pourtant, un ingrédient culte en fait une œuvre tout à fait singulière et primordiale : sa séquence finale se déroulant tout en haut de la statue de la Liberté.
D’autre part, notons la présence d’un méchant retentissant (connu aussi pour sa présence mémorable en 1952 dans « Les Feux de la Rampe », de Charles Chaplin) : Norman Lloyd, à savoir le fameux Frank Fry tant recherché par le héros.
Incontournable, « Cinquième Colonne » l’est aussi pour sa scène hilarante où les deux héros en fuite se réfugient dans une caravane. C’est là où ils font la rencontre d’une troupe de cirque ambulant composée d’un nain ou encore d’une femme à barbe.
Soulignons par ailleurs le superbe gros plan sur la manche du costume de l’antagoniste se décousant peu à peu au-dessus du vide. Rarement le cinéma n’aura donné à ressentir aussi littéralement la vie ne tenant plus qu’à un fil.
La Hitchcock touch’
L’on dit souvent qu’un cinéaste – aussi génial, prolixe et inventif soit-il – ne fait en définitive au long de sa carrière que reproduire le même motif et les mêmes obsessions sans relâche (le plus souvent inconsciemment). Il ne fait aucun doute qu’Hitchcock rentre bien dans cette catégorie. D’ailleurs, ses œuvres s’avèrent immédiatement reconnaissables entre toutes. Il n’empêche qu’avec « Cinquième Colonne », cette tendance à la variation sur un même thème produit étrangement quelque chose de neuf.
Il y a certes toujours le MacGuffin (le fameux faux prétexte de l’intrigue, vite oublié par le spectateur), le scénario articulé autour d’un voyage, ou encore les menottes. Mais la nouveauté se situe dans le casting, qui rompt avec la classe habituelle tant recherchée par Hitchcock. Ainsi, Robert Cummings, qui interprète le héros, dispose d’un visage un peu cocasse et sans nuances. À tel point qu’on ne ressent pas toujours les difficultés auxquelles il se voit confronté – en tout cas pas comme chez un Cary Grant. De même que Priscilla Lane, laquelle fut exigée sans discussion possible par le producteur David O. Selznick, apparaît bien loin de la subtilité des vraies blondes hitchcockiennes. Mais ce qui aurait pu se révéler un écueil produit finalement un décalage assez unique dans la filmographie d’Hitchcock. Un pas de côté qui octroie même une tonalité plus tranchée et quelque part divertissante.
À noter que le caméo intervient à la 64e minute : Hitchcock est visible au moment où la voiture des antagonistes stationne à proximité d’un kiosque à journaux.
L’analyse
Sans jamais tout à fait viser l’once d’un récit cérébral, psychanalytique ou allégorique, Hitchcock préfère ici s’amuser que réfléchir. Et pour cause : dans le sillage des « 39 Marches », qui s’apparentait en quelque sorte à une carte postale du Royaume-Uni entre l’Angleterre et l’Écosse, « Cinquième Colonne » propose une traversée de l’Amérique, avec en prime une visite gratuite de la Statue de la Liberté. Un schéma qu’il réitèrera presque dans un geste de remake dans « La Mort aux trousses », avec cette fois en point d’orgue une excursion au mont Rushmore.
Néanmoins, et c’est là tout le sel de l’œuvre d’Hitchcock, il faut également voir en « Cinquième Colonne » la synthèse de la carrière américaine du réalisateur, au même titre que « Les 39 Marches » résumait pour sa part sa carrière anglaise. Autrement dit, « Cinquième Colonne » intègre à peu près tous les éléments caractéristiques du cinéma d’Hitchcock. À tel point que ce déluge en devient peut-être au fond quelque peu glissant, comme si le film ployait sous un trop-plein d’idées.
Pour le reste, « Cinquième Colonne » a le mérite d’appuyer une conception présente depuis toujours chez Hitchcock : l’idée qu’un héros n’est finalement jamais plus seul qu’au centre d’une d’une foule. Même en plein milieu d’une salle de bal bondée, le personnage est au comble de l’isolement et ne parvient pas à obtenir d’aide. Dans « La Mort aux trousses », c’est un temps le désert, paradoxalement, qui apporte à ce titre à Cary Grant du réconfort. Un calme bienvenu, avant la tempête.
La genèse
Initié par le producteur David O. Selznick, « Cinquième Colonne » a été tourné à Hollywood et à New York en 1942. Le film, également connu en France sous le nom de « Saboteur » ne doit pas être confondu avec un autre film d’Hitchcock sorti en 1936 : « Sabotage ».
En 1941 aux États-Unis, existaient des sociétés pro-allemandes, soit en quelque sorte des entreprises pilotées par des fascistes américains. Or, c’est précisément les malversations de ce genre d’entreprises diaboliques qu’Hitchcock a souhaité mettre en scène dans « Cinquième Colonne ».
Pour son caméo, Hitchcock avait au départ tourné une scène où il incarne un sourd et muet exprimant en langue des signes une proposition obscène à son épouse. Mais les producteurs préférèrent s’en passer, de peur de donner une image trop incorrecte des handicapés.