Un voyage en famille à Marrakech terni par un meurtre et un enlèvement, puis très vite le destin de l’Angleterre tout entier qui ne tient plus qu’à un coup de cymbales… Hitchcock télescope l’intime et le politique en prodige. Culte.
Le pitch
Le docteur Benjamin McKenna, son épouse Jo/Dorothée (dit Dot) et leur fils Hank sont à Marrakech pour des vacances en famille. Ils font la rencontre de Louis Bernard, un homme officiant pour le renseignement français. Or, ce dernier finit assassiné devant leurs yeux quelques jours après, révélant juste avant sa mort au docteur qu’un attentat contre un chef d’état étranger se prépare à Londres. Peu après, le petit Hank est mystérieusement enlevé, comme si l’on cherchait à réduire Benjamin et Jo au silence. Le couple débute bientôt son enquête afin d’y voir plus clair…
Pourquoi c’est un incontournable ?
D’abord parce que « L’Homme qui en savait trop » met en scène – chose très rare – le compositeur Bernard Herrmann dans son propre rôle. À la tête de l’Orchestre Symphonique de Londres, le maestro figure dans l’une des scènes les plus iconiques du film. C’est lorsque le tireur s’apprête à abattre l’homme politique, à savoir précisément au moment où doit retentir le coup des cymbales.
D’ailleurs, cette séquence du Royal Albert Hall (près de neuf minutes de pur suspense) figure parmi les plus mythiques du cinéma d’Hitchcock – à tel point qu’on en vient ensuite à ne plus jamais regarder des cymbales de la même façon. Notons que les scénaristes de « Mission Impossible : Rogue Nation » (2015) n’ont pas oublié l’importance de l’héritage hitchcockien, puisqu’une scène analogue apparaît au début du film, dans la séquence au théâtre d’État de Vienne lors de la représentation de l’opéra Turandot.
Il faut savoir que Doris Day, l’interprète de Jo l’épouse de McKenna, chante en personne la chanson « Que Sera, Sera » (ingrédient imposé par les studios, mais pas inutile). Une pratique suffisamment peu commune à Hollywood pour être soulignée. À noter que ce motif musical occupe une place centrale dans « L’Homme qui en savait trop », car il permettra en filigrane à la famille désunie de retrouver l’osmose perdue (avec plus tard le sifflement de l’enfant).
La Hitchcock touch’
Illusionniste de génie dès lors qu’il s’agit de tromper les apparences, Hitchcock dissimule dans un premier temps le drame à suspense dans un enrobage des plus exotiques : des vacances en famille au Maroc sous un soleil apaisant. Puis passées les premières scènes, entrent d’office en jeu le meurtre et le kidnapping au coin de la rue, le tout sur fond de préparation d’un attentat.
On sent dans le cheminement du film entre Marrakech et Londres la résolution d’Hitchcock de retrouver quelque chose de l’Angleterre et de son cinéma d’origine – une forme de retour symbolique aux sources.
Comme Hitchcock a très régulièrement filmé James Stewart et Cary Grant, il peut arriver que l’on finisse par confondre les deux acteurs. Pourtant, à y regarder de plus près, il n’y a rien chez eux hormis un petit quelque chose dans leurs physionomies respectives, permettant de les rendre interchangeables. Et pour cause : avec Stewart, prévaut toujours l’émotion, tandis que l’humour déborde avec Grant. Or, « L’Homme qui en savait trop » éclaire cette distinction : nul autre que Stewart et sa franchise impassible n’aurait pu ici porter le personnage du docteur McKenna. Pas une raison cependant pour que l’humour n’échappe malgré lui au personnage.
Le caméo d’Hitchcock se glisse à la vingt-quatrième minute du film : le cinéaste apparaît en train d’observer des acrobates sur la place Jamâa El Fna à Marrakech.
L’analyse
Au sujet de la pierre angulaire du film (soit la séquence du concert au Royal Albert Hall), il faut souligner que l’assassin n’y est finalement pas celui qu’on croît. Car le véritable exécutant de la mort – peut-être le plus impassible de toute l’histoire du cinéma –, c’est sans conteste le joueur de cymbales. Or, son côté placide découle justement du fait qu’il ignore totalement jusqu’à la possibilité qu’il puisse incarner un tel rôle tragique. De fait, Hitchcock prend bien le temps de filmer son visage et sa posture flegmatiques. Ce couperet insensible, diablement cynique, est une idée magistrale.
De même, si la musique tient donc lieu de médium transitoire pour la mise à mort, elle incarne aussi le remède à la séparation de la famille : la mélodie « Que Sera, Sera » joue en tout cas ce rôle pour recoudre les fils unissant les McKenna.
La genèse
Avant cette version américaine de « L’Homme qui en savait trop », Alfred Hitchcock avait déjà réalisé une première mouture britannique : « L’Homme qui en savait trop », en 1934. Ce dernier débutait quant à lui à Saint-Moritz (Suisse) pour se terminer à Londres.
Notons qu’Alfred Hitchcock a pris soin en matière de scénario de ne se compromettre avec aucun pays, autrement dit de ne pas commettre d’impair en matière de diplomatie. Tout ce qui émerge dans « L’Homme qui en savait trop », c’est juste la volonté d’espions d’assassiner un ambassadeur anglais pour mettre la Grande-Bretagne en mauvaise posture.