"Le monde est toujours faux par nature"
- Auteur : François Médéline
S’inspirant de l’affaire Cahuzac, François Médéline imagine avec La Résistance des matériaux un polar très politique, dans lequel le réel et la fiction se rejoigne dans un portrait au vitriol du pouvoir et de nos élites. Passionnant !
Bepolar : Comment est née l’idée de ce nouveau roman, à l’intrigue très politique ?
François Médéline : L’idée est née dans les jours qui ont suivi les premières révélations de Mediapart sur le compte en Suisse de Jérôme Cahuzac. Je m’en souviens parfaitement car La politique du tumulte, mon premier roman, lui-même très politique, venait de sortir. Je travaillais alors dans un cabinet politique et j’ai entendu cette phrase qui a eu l’air de surprendre personne dans la pièce dans laquelle je me trouvais : « c’est le compte de Michel Rocard. » J’ai ainsi suivi les 121 jours de l’affaire Cahuzac, jusqu’aux aveux de ce dernier, avec la conviction qu’il y avait très certainement un compte. Ces 121 jours de mensonge m’ont fasciné. Le fonctionnement du système médiatique et politique m’a laissé pantois. J’observais ce réseau d’interactions complexes, qu’on pourrait nommer l’oligarchie, composée de personnes aux idéologies supposément divergentes mais aux intérêts objectivement convergents, dont Cahuzac faisait partie et dont il s’est servi pour rester au pouvoir, avec une résistance à la pression totalement inhumaine, dans tous les sens du terme. J’ai réentendu la phrase « c’est le compte de Michel Rocard » lors du procès, puis du procès en appel, de la bouche de Jérôme Cahuzac lui-même.
Bepolar : Pourquoi avoir situé l’action sous François Hollande ? Pour avoir de distance avec les personnages réels que vous mettez en scène ?
François Médéline : Parce qu’il ne fait aucun doute que La Résistance des matériaux est d’un décalque de l’affaire Cahuzac. Je ne voulais pas faire un roman à clef, jouer avec le lecteur. J’ai seulement fait un pas de côté vers la fiction pour mieux cerner mon objet. J’en ai eu besoin pour créer. Ce roman n’est ni un brûlot politique, ni la retranscription d’évènements que tout le monde connait, sur le mode journalistique de la non-fiction. Créer un personnage fictif, ministre de l’Intérieur, ayant un compte au Luxembourg et ancien maire de Lyon, m’a permis d’établir une distance avec le réel afin de le triturer. Je sortais de l’objet pour ne pas m’y noyer, je prenais mes libertés. D’autant que, dans la vie quotidienne, le réel me pèse. Pour se faire, j’ai simplement dû remplacer la commune de Villeneuve-sur-Lot par Lyon et supprimer Manuel Valls et Gérard Collomb. Chemin faisant, la fiction et ses personnages inventés ont fini par se fondre dans le réel et réciproquement, tant et si bien qu’à la fin de l’écriture, les éléments de réel me semblaient totalement fictif. A posteriori, nous le savons, Cahuzac a raconté des balivernes avec l’aide de communicant qui ont produit un narratif, c’est-à-dire une fiction qui a été servie tout le temps, partout. Sans la ténacité de Mediapart, ils auraient pu gagner. Ces 121 jours sont une fiction en soi. Le monde est toujours faux par nature, il n’y aucune vérité dans l’instant, dans nos vies. Certains moments nous le prouvent et cette affaire peut-être mieux que d’autres.
J’ai l’impression de désacraliser les hommes et les femmes de pouvoir avec des armes de chez moi et qui me ressemblent. Je leur fais la peau avec des cure-dents
Bepolar : Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce dossier au point de vouloir y consacrer un roman ?
François Médéline : Déjà, cette affaire est symptomatique des effets du pouvoir sur le matériau humain, de l’ivresse qu’il génère. Ivresse, au sens strict. A un certain niveau de pouvoir, les individus sont totalement ivres, comme s’ils avaient bu, comme Marine Le Pen face à Macron, lors du débat télévisé de la présidentielle, comme Sarkozy lors d’une conférence de presse aux côtés de Vladimir Poutine. Surtout, l’affaire Cahuzac signait la fin du socialisme à la française. Ce modèle politique arrivé au pouvoir en 1981 était quasiment mort en 1983 et il agonisait depuis 30 ans. Cahuzac a symbolisé ce que beaucoup pensaient tout haut depuis longtemps : les socialistes étaient devenus des bourgeois, ils ne s’occupaient plus des pauvres, ils aimaient l’argent et même « leur » argent. Les strauss-kahnien, dont Cahuzac était, sont la quintessence de cette dégénérescence d’un mouvement politique.
Ensuite, traiter cette affaire au moyen d’un roman permet de combler les vides laissés par la très bonne enquête journalistique de Fabrice Arfi, de faire dire à des personnages fictifs se nommant François Hollande, Nicolas Sarkozy, Pierre Moscovici ou Stéphane Le Foll, ce que les personnages réels se sont peut-être dit l’époque. C’est la force de la littérature. On a les pleins pouvoirs. Et c’est aussi enivrant ! On raconte une histoire à partir d’une extrapolation du réel, avec sa propre écriture. La mienne est heurtée, crue. La langue est sous pression, progressivement elle frôle l’explosion, comme les femmes et les hommes qui font ce roman. Les questions de forme sont toujours plus importantes que les questions de fond quand j’écris. Le polar est un genre mineur parce qu’il est populaire. J’essaie de faire donc des trucs beaux avec du matériau vil, avec des expressions comme « la tête du chat qui chie » ou « la putain de sa race. » C’est un peu rendre la monnaie de leur pièce aux puissants qui manipulent principalement le parler bourgeois, des Insoumis jusqu’au Rassemblement national. J’ai l’impression de désacraliser les hommes et les femmes de pouvoir avec des armes de chez moi et qui me ressemblent. Je leur fais la peau avec des cure-dents.
Bepolar : Vous nous emmener dans un jeu politique très difficile, justement. Il y a un scandale et tout le monde cherche à se défausser. Peut-on y voir aussi une critique féroce de cet univers ?
François Médéline : Critique, je ne sais pas. Sûrement. Celles et ceux qui connaissent ce monde de l’intérieur sont moins choqués que les autres, des retours qu’ils m’en font. Mais globalement, oui, les lectrices et les lecteurs le prennent ainsi, une critique très virulente de l’exercice du pouvoir. Pour ma part, je suis comme Churchill, je crois que la démocratie représentative est le pire des régimes à l’exception de tous les autres. Et puis, de toute façon, la démocratie représentative est en train de sombrer, non pas à cause des comportements individuels de nos représentants, qui sont ce qu’ils sont depuis tout temps, mais à cause de la révolution numérique. Chacun peut exprimer son avis sur tout et n’importe quoi à chaque seconde sur un réseau social. Comment croire que les citoyens continuent à s’exprimer tous les cinq ans en glissant un bout de papier dans un boîte en Plexiglas ? Tout ça finira. Les systèmes politiques naissent et, puis un jour, ils meurent.
Bepolar : Comment composez-vous votre roman ? On parle beaucoup de personnes qui existent et qui ont exercées des responsabilités. Vous retranscrivez des conversation entre François Hollande et Stéphane Le Foll, ou Edwy Plenel et Fabrice Arfi. Comment les mélangez-vous à de la fiction ?
François Médéline : J’ai tout inventé parce qu’écrire est un mensonge, noble, certes, parce qu’esthétique, mais un mensonge quand même. Voilà, la vérité s’invente. J’ai effectivement passé des briques de réel au mixeur de la fiction. J’ai salé, poivré, ajouté pas mal de piment. Et à la fin, j’espère que cette fiction paraît assez réaliste. Parce que j’écris des romans noirs, du thriller politique, des polars. C’est de la littérature dite réaliste. Les lecteurs et les lectrices attendent une littérature en prise, d’une façon ou d’une autre, avec le réel. C’est le deal. Il me convient bien. Ce pacte avec le lecteur me permet de sonder les rapports finalement assez mimétiques entre la fiction et notre monde, tel qu’il s’écoule et s’écroule, à perpétuité.
On m’interroge beaucoup sur l’affaire Cahuzac mais j’espère que ce roman est d’abord de la littérature.
Bepolar : L’une des personnages principales est Djamila Garrand-Boushaki, députée suppléante de Serge Ruggieri, le ministre mis en cause par le scandale, et épouse de son chef de cabinet. Qui est-elle ? Comment vous nous la décririez ?
François Médéline : Comme une femme de combat qui a parfaitement conscience d’être circonscrite par 99% de ses interlocuteurs à la nationalité de ses deux parents algériens, c’est-à-dire, comme une Arabe. Une jeune femme française qui vit dans un pays structurellement et profondément raciste. Une jeune femme lyonnaise rongée par l’ambition, qui veut devenir présidente de la République quitte à renier tout ce qui lui est cher. Une femme pressée qu’on surnomme DGB. Une jeune femme, orpheline de sa mère, qui essaie de ne pas aimer mais qui est rattrapée par la petite Mila. Elle me plaît beaucoup. Par son tempérament, ses hésitations, sa détermination. C’est un verre en Crystal. Je suis tombé amoureux d’elle.
Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez que vos lecteurs et lectrices gardent de votre roman une fois terminé ?
François Médéline : Un rythme, un « flow » diraient les rappeurs. J’ai essayé de l’écrire pour ça. C’était ma principale préoccupation à l’écriture. J’ai tenté d’agencer mon matériau en trouvant un rythme agressif et en le tenant sur 500 pages. On m’interroge beaucoup sur l’affaire Cahuzac mais j’espère que ce roman est d’abord de la littérature.
Bepolar : Quels sont vos projets ?
François Médéline : Un polar historique, à la suite de La Sacrifiée du Vercors et des Larmes du Reich. Quand j’en parle, je l’appelle « le projet Anderson. » Toujours sous les cendres de la seconde guerre mondiale et dans la critique du grand récit national. Le thème principal est le viol de Françaises par les soldats alliés après le débarquement.
Bepolar : Et dernière question, qu’est-ce qu’un bon polar ?
François Médéline : Je ne sais pas. Je crois que chaque personne a des attentes différentes. Je cherche une voix. Je me focalise sur l’écriture plus que sur les scénarios et les personnages. C’est peut-être une déformation professionnelle. Je peux lire un mauvais scénario et je n’ai pas besoin de personnages forts pour accrocher à un livre. Un ton, du style. C’est l’écriture qui fait les livres que j’aime, polar ou pas.