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Disclaimer : une série haletante qui ausculte nos failles

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Avec "Disclaimer", Alfonso Cuarón orchestre un thriller à la fois sensoriel et introspectif, brillant par son casting et la photographie minutieuse d’Emmanuel Lubezki. Et même si la série frise en fin de parcours un certain manque de liant dans son raccommodage de tonalités, sa mise en scène de génie l’emporte.

Dans ce thriller psychologique, Catherine Ravenscroft (Cate Blanchett), journaliste d’investigation de renom, voit son existence basculer lorsqu’elle découvre un livre relatant certains aspects enfouis de son passé. Ce récit mystérieux l’oblige à fouiller des souvenirs refoulés et confronte le spectateur à ses propres certitudes.

Adaptation réussie et suspense maîtrisé

"Disclaimer" est l’adaptation de "The Hypnotist’s Love Story", un roman de l’écrivaine américaine Liane Moriarty, déjà à l’origine de l’œuvre "Big Little Lies". Cuarón, fidèle à sa méthode, s’approprie ce matériau pour en faire une plongée sensorielle dans la psyché des personnages, où chaque scène fait écho à la tension croissante de l’intrigue.

Une lente immersion dans la complexité humaine

Dès les premières scènes de "Disclaimer", Cuarón instaure une atmosphère dense, saturée de tensions retenues. La trame, resserrée autour de quelques personnages, ménage les informations en dévoilant au compte-gouttes un passé que chacun préfère ignorer. En naviguant entre passé et présent, souvent sans distinction nette, la série met en place un suspense feutré où chaque fragment de mémoire revêt un caractère subjectif. Ce traitement installe une dynamique presque hypnotique : à l’image de Catherine, le spectateur avance à tâtons, emporté dans une enquête psychologique qui lui échappe.

Cuarón pousse plus loin encore cette idée d’opacité temporelle, jouant sur la confusion et le flou des repères pour suggérer que chaque souvenir est avant tout une projection déformée de l’esprit. Un procédé qui rappelle l’approche d’Ingmar Bergman dans "Les Fraises sauvages" (1957), où le passé ne réapparaît jamais intact mais transfiguré, tissé de regrets et de blessures invisibles. Dans "Disclaimer", les époques s’entrecroisent comme des strates d’une conscience traumatisée, un puzzle incomplet qui s’assemble peu à peu, jusqu’à cette confrontation finale où tout se cristallise.

Les failles de la masculinité

Cette approche, tout en finesse, interroge également les constructions de la masculinité. À travers des personnages comme Stephen (Kevin Kline) et Robert le mécène arriviste joué par Sacha Baron Cohen, Cuarón explore les différentes facettes d’une masculinité fragile et toxique. Leur incapacité à gérer la vulnérabilité et leur propension à la domination mentale ou physique font écho à un questionnement plus large : ces hommes, tout comme Catherine, s’avèrent prisonniers de leurs propres illusions, emportés dans un cycle destructeur où l’émotion se voit refoulée au profit du contrôle.

Ce contraste saisissant entre domination et fragilité souligne la complexité de la figure masculine dans "Disclaimer", et incite à une réflexion sur l’héritage de ce modèle.

La mise en scène de Cuarón : réalisme et onirisme entremêlés

Le duo Cuarón-Lubezki pousse ici l’art du détail et de la profondeur de champ dans ses retranchements. Si la collaboration entre les deux hommes avait pu par le passé en devenir presque programmatique tant leurs habitudes et marottes revenaient irrémédiablement, les mimiques habituelles (longue focale, éclairage naturelle...) renforcent subtilement la dramaturgie. Chaque décor semble plus vrai que nature, chaque scène enrichie d’éléments furtifs — un ballon échoué sur un toit, un passant qui traverse l’écran, un vélo abandonné… Ces fragments de réel, presque anodins, ajoutent au réalisme immersif de la série tout en rappelant "Roma" (Alfonso Cuarón, 2018) - qui s’était fait sans Lubezki -, où chaque plan regorgeait de vie, de souvenirs inscrits dans les murs et à travers les rues.

Ce traitement visuel renforce le poids des émotions et confère aux paysages une dimension quasi expressionniste. En capturant des extérieurs qui semblent aspirer les personnages, Cuarón rappelle leur petitesse face à leurs propres dilemmes, face au temps qui les poursuit. Cette esthétique, mariant réalisme et impression d’étouffement, amplifie l’atmosphère oppressante du récit.

L’acide portrait d’une société… et du spectateur lui-même

Au-delà de son indéniable caractère de thriller, "Disclaimer" s’impose aussi comme une satire sociale. Dans le viseur de Cuarón, les élites intellectuelles, les bourgeois engoncés dans leurs certitudes et, plus encore, les conformistes en quête d’une cause à embrasser sans jamais la questionner. Si ce portrait d’une société figée dans ses préjugés demeure acerbe, Cuarón y ajoute une dimension piquante et troublante : cette critique vise aussi le spectateur, que la série prend plaisir à piéger dans son propre conformisme.

À travers Catherine, et par extension à travers l’objectif omniscient qui scrute tout et tout le monde, "Disclaimer" interroge notre capacité à juger. Avons-nous, nous aussi, tendance à reproduire ces travers, cette manie de penser selon des schémas tout tracés ? Ce miroir tendu, qui ne nous épargne aucun reproche, brouille notre confort. Ce sentiment de mise en accusation — discret, mais omniprésent — se fond subtilement dans la causticité sociale, instillant une gêne que chaque spectateur emporte avec lui.

Un casting magistral et une alchimie rare

Outre sa réalisation audacieuse, "Disclaimer" s’appuie sur un casting en état de grâce. Cate Blanchett incarne avec intensité une journaliste hantée par son passé, ajoutant des nuances à chaque dilemme, chaque fêlure de son personnage. Sacha Baron Cohen, quant à lui, surprend par une prestation tout en sournoiserie inconsciente, incarnant la duplicité de ceux qui n’osent remettre en question leur propre confort intellectuel. Enfin, Kevin Kline brille dans le rôle du veuf éploré et tourmenté, dont l’humour caustique cache une lente dérive vers la monstruosité. Ce trio, entouré de personnages secondaires tous criants de vérité, ancre la série dans une épaisseur humaine captivante.

Sound design et immersion totale : une expérience sensorielle aboutie

La force d’immersion de "Disclaimer" doit également beaucoup à son sound design méticuleux. En reprenant certains procédés de "Roma" (Alfonso Cuarón, 2018), Cuarón compose ici une bulle sonore où chaque bruit et chaque silence participent du récit. Que ce soit une porte qui grince, une conversation à peine audible, ou le son étouffé d’une respiration, chaque élément sonore enveloppe le spectateur dans un univers tangible, à la limite du sensoriel. Cette approche renforce le réalisme quasi documentaire de la série, contribuant à créer une expérience de visionnage unique et immersive.

Une transition finale en décalage

En dépit de ses qualités, "Disclaimer" fléchit toutefois dans sa conclusion. Les deux derniers épisodes, chargés de révéler les clés du mystère, amorcent un virage vers le mélodrame qui, en soi, s’avère bien maîtrisé et bouleversant – l’écriture ne manque jamais d’aplomb ni de pertinence. Le passage de la comédie noire à un thriller plus grave est très réussi, mais l’articulation avec cette fin à fleur de peau paraît heurtée. Ce passage, s’il avait bénéficié d’une transition plus fluide et naturelle, aurait achevé l’œuvre avec une véritable cohérence. En l’état, ce basculement de registre opère par à-coups, laissant une impression de discontinuité dans l’édifice général de la série.

Malgré cette dissonance, "Disclaimer" persiste à hanter bien après le générique final, confrontant chacun à sa part d’ombre et à l’ambiguïté de ses propres souvenirs.

"Disclaimer" est diffusée sur la plateforme Apple TV depuis le 11 octobre 2024.

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