- Auteur : François Médéline
- Editeur : La manufacture de livres
François Médéline vient de nous offrir l’Ange Rouge, qui nous plonge dans le Lyon des années 80 alors que rode un tueur terrifiant...
Bepolar : Comment est née l’idée de ce roman ?
François Médéline : D’une double envie : d’abord revenir à mes premiers amours en écrivant un vrai polar avec une enquête et des flics ; ensuite jouer avec le genre « thriller ».
J’avais le crime initial en tête depuis de nombreuses années, du temps où j’habitais en bord Saône, près de l’École Nationale des Beaux Arts de Lyon et que pendaient à mes murs des orchidées en gros plan. Et sans rien révéler de l’intrigue, elle est liée à une œuvre d’art réalisée par un ami, une grande croix à l’horizontal, vernis rouge.
J’avais donc un meurtre barbare, le milieu de l’art, la couleur rouge, celle du sang, et cette rivière, la Saône, sombre, considérée comme le deuxième fleuve de la ville qui en compte trois avec le Rhône et le Beaujolais. Et puis, j’avais Lyon. J’ai toujours Lyon en moi. C’est ma ville, là où je me sens chez moi, même si je n’y habite plus physiquement.
En résumé, je voulais écrire un polar qui plonge ses racines dans mon Lyon mythologique, parce que j’aime les polars, j’aime le roman noir américain, c’est ma filiation, et j’aime Lyon.
Bepolar : Quels sont les liens de ce roman avec James Ellroy dont vous
revendiquez l’influence ? Qu’est-ce qu’il lui doit ?
François Médéline : Je pense que tous mes romans doivent beaucoup à Ellroy, ce grand chien fou américain que je considère comme mon maître.
A partir de 15 ans, j’ai écrit des nouvelles policières parce que la bibliothèque de ma mère, qui est désormais une fan inconditionnelle d’Anne Perry, était remplie de romans policiers à l’anglaise, avec des énigmes type Agatha Christie. Mon père lisait plutôt des Série Noire, les incontournables que sont Hammettet Chandler même s’il préfère, je crois Ross McDonald, et Bill Pronzini. Mais je vivais chez ma mère et c’est elle que j’essayais d’épater.
A 19 ans, j’ai lu Le Grand Nulle Part de James Ellroy et j’ai eu honte de ma production. Depuis ce jour, tous mes textes ont été produits à l’aune de cette expérience fondatrice. Je suis un fétichiste de James Ellroy, j’ai même un billet de 20$ lui ayant appartenu. Il a quitté un soir sa main pour la mienne et a atterri sous la couverture de La Politique du tumulte, mon premier roman. Il est toujours dans ma bibliothèque mais désormais dans L’Ange rouge.
Certaines expériences de vie, qui font régulièrement vaciller mon identité, ont trouvé une résonance particulière dans ses textes et son histoire. Je me sens responsable, depuis mes cinq ans et demi, de la mort d’un être cher, comme si je l’avais pariée avec Dieu. Ma Part d’Ombre, roman d’Ellroy qui traduit les fondements de la paranoïa, m’a donc beaucoup secoué. Il y a aussi des choses encore plus personnelles que je mobiliserai dans mes prochains romans. Et puis, nous avons quelques thèmes communs. Ils dépendent d’ailleurs plus de mon histoire personnelle que de la lecture de son oeuvre.
Concernant L’Ange rouge, il est peut-être moins « ellroyen » que mes trois précédents romans qui travaillaient en profondeur la fiction du réel. Ou alors, plus près de la trilogie Loyd Hopkins. En tout cas, si j’ai un style, alors il ne peut venir que de James Ellroy. J’aime le jab littéraire, les informations hachées et saturées qui cognent le lecteur en cadence.
Bepolar : Ça se déroule à Lyon. Pourquoi avoir choisi cette ville ?
François Médéline : Paris est mythologique à l’échelle de la planète et Marseille l’est à l’échelle du crime et du roman noir français.
Or, si Lyon accueille l’une des plus grandes manifestations mondiales dédiées à la littérature policière (Quais du Polar), je pense qu’il ne s’agit pas d’un hasard. C’est une ville noire, contrairement à l’image d’Épinal qui en fait une cité secrète et bourgeoise. C’est une ville contre-révolutionnaire et rebelle, qui est aussi une ville traditionaliste, le primat des Gaules. Une ville où l’extrême-droite à des assises solides, où la petite fille de Jean-Marie Le Pen a installé son centre de formation des cadres du parti et d’où partaient des centaines de bus à chaque manifestation contre le mariage pour tous. C’est une ville criminelle qui a connu l’assassinat d’un juge et où deux commissaires sont tombés pour promiscuité avec la pègre. C’est une ville de prostitution. C’est enfin une ville populaire, où l’on joue à une variante bien particulière de la belote coinchée et aux boules, une ville où toutes les spécialités culinaires sont des plats populaires.
J’ai donc choisi Lyon parce que c’est une évidence, pour moi. C’est le personnage principal de L’Ange rouge, comme L.A est le personnage principal du Quator de Los Angeles.
Bepolar : Le tueur à l’orchidée est traqué par Dubak et son équipe, notamment
son adjointe Mamy. Pouvez-vous nous les présenter ?
François Médéline : Alain Dubak est le narrateur, tout passe par son regard crépusculaire. J’ai passé au mixeur 1/3 d’un ami, 1/3 de Patrick Dewaere et 1/3 de moi. Il aurait dû être acteur s’il avait suivi les volontés de sa mère. Mais il est commandant d’un groupe criminel du SRP de Lyon, en manque de coke depuis qu’il a arrêté d’en prendre après avoir quitté les stups cinq ans auparavant. Il est non violent et ne touche pas une goutte d’alcool ! Surtout, l’amour de sa vie l’a quitté, emportant une partie de lui avec elle. En courant après son ex, la mutique Alexandra, il court après un morceau de lui. Et il aimerait que l’enquête lui permette de combler le vide abyssal qui le morcelle. C’est donc un mauvais enquêteur, d’autant plus qu’il se sent coupable. Mais on comprend cette culpabilité profonde au long du livre. Elle remonte à l’enfance. Et elle le pousse à agir et à chercher le tueur.
Heureusement, il a trois femmes qui l’entourent et qui sont ses béquilles, les vraies personnalités fortes du roman. Véronique Martinod, la numéro 3 du groupe, douée pour la paperasse, s’efforce de faire entrer toutes ses conneries dans le code de procédure pénale. Monique Chabert, une experte-psychiatre envoyée par la Direction Centrale de la Police Judiciaire à Paris. Et la numéro 2, son adjointe, Nicole Piroli, dite « Mamy ». C’est évidemment le personnage auquel je me suis le plus attaché. Je ne l’ai pas fait exprès mais elle ressemble étrangement à la meilleure amie de ma mère, une femme sur qui on a toujours pu compter quand les huissiers frappaient toutes les semaines à notre porte. Mamy est la force et la volonté que Dubak n’a pas toujours, voire jamais. Elle aime, elle mange des bonbons Haribo toute la journée, cuisine mieux que personne, elle picole et elle est violente. Elle lit aussi Alan Kardec, un illustre lyonnais, fondateur du spiritisme, qui a écrit Le Livre des Esprits en 1857… Une femme aussi étonnante que détonante et à l’image de ma ville.
Je n’avais pas eu autant d’affection pour un personnage depuis « le Vieux » dans Les Rêves de guerre et le Colonel Secondi dans La Politique du tumulte. Ces trois personnages-là ont d’ailleurs des surnoms, car leur personnalité est entière et qu’un trait de leur caractère domine tout…
Bepolar : Il y a un aspect visuel très fort de ce roman, tout de suite avec
cette scène terrible sur la Saône. Vous vouliez frapper directement
l’imaginaire du lecteur ?
François Médéline : Oui, je voulais frapper le lecteur ou la lectrice dès le départ, la frapper à chaque fin de chapitre, le frapper tout le temps. Dans mon long périple pour trouver un éditeur, j’ai un jour reçu un courrier d’encouragements de Pierre Drachline contenant une formule que j’avais trouvée assez surfaite à l’époque : « Il faut mettre le lecteur KO à chaque page. » Avec le recul, il n’avait pas tout à fait tord. Avec mon éditeur, Pierre Fourniaud, et celui qui a édité le texte au quotidien, Jean-Jacques Reboux, nous avons beaucoup travaillé à ça. Attraper, parfois par des images visuelles, mais aussi grâce au suspense car L’Ange rouge est un page turner assumé, et après cogner dur, sans jamais que ça s’arrête. Je ne sais pas si nous y sommes arrivés, mais ça me permet déjà de dire que ce roman leur doit beaucoup à tous les deux, que j’ai coupé ¼ du texte après avoir totalement réécrit le premier jet 3 fois en pensant beaucoup aux personnes qui liraient, et qu’écrire a sans doute beaucoup à voir avec la boxe. Le jab littéraire ellroyen qui révèle son génie est un coup de boxe appliqué à la littérature. Et le plus grand roman qu’il m’ait été donné de lire sur le métier d’écrivain est Le Roi du KO de Harry Crews. On y découvre qu’écrire, c’est livrer son intimité en pâture.
Bepolar : Un petit mot sur la temporalité. Ça se passe en 1998, pourquoi ce choix ?
François Médéline : Impossible pour moi d’écrire un roman policier avec des mails, des Smartphones et Snapchat. Ça ne m’intéresse pas. J’ai traité la datasphère dans Tuer Jupiter plus par détestation que par amour. Je n’aime pas notre époque. Mes enfants mettent des masques huit heures par jour, on ne sait pas vraiment qui est président des Etats-Unis et des profs ou des grands-mères se font égorger par des fous d’Allah. Je voudrais vivre entre 1981 et 1983, juste avant le tournant de la rigueur, quand il y avait encore de l’espoir. Notre époque est comme une fin de civilisation, pathétique. Et puis en 1998, c’était « Zizou président », on était champions du monde grâce à un noir qui avait rencontré Dieu en demi-finale ! Je vis en réalité dans la nostalgie : mes années les plus belles sont celles courant de 1993 à 2003/2004. Principalement à Lyon, donc.
Bepolar : On glisse dans les milieux lyonnais de droite comme de gauche. Est-ce que ça vous a demandé une documentation particulière ?
François Médéline : Non la politique fut mon monde. J’y ai travaillé durant dix ans. Un monde dans lequel tout ne peut que mal finir mais je connais particulièrement.
Bepolar : Votre précédent roman, Tuer Jupiter, était très atypique, imaginant
l’assassinat d’Emmanuel Macron. Deux ans après, racontez-nous un peu quel regard vous portez sur ce roman et les discussions autour de lui qui ont eu lieu ?
François Médéline : Je suis beaucoup allé à la rencontre des lecteurs grâce à lui. Je me suis d’ailleurs rendu compte que mon écriture laisse une grande liberté d’interprétation.
Tuer Jupiter peut être lu comme un polar, au risque d’être déçu d’ailleurs. On peut aussi le prendre comme une satire du pouvoir et rire quelques heures avec moi de nos puissants. On peut enfin le prendre pour ce que je pense qu’il est... un roman post-moderne sur l’ubiquité et la puissance des datas. On peut le lire sous ces trois angles, d’ailleurs, en même temps ! C’est l’alchimie de l’écriture : transformer un acte un peu égoïste au départ, écrire, en matériau noble, généreux, Le lecteur ou la lectrice peut ainsi remplir avec sa propre personnalité, son humeur du moment, ses lectures passées pour construire un objet unique.
Bepolar : Est-ce que c’est le même procédé d’écriture entre les deux romans (et les plus anciens ?).
François Médéline : Le style, oui, je pense. J’ai des lecteurs qui m’assurent savoir que je suis l’auteur d’un texte en lisant seulement quelques paragraphes.
Sur le procédé, non, pas du tout. J’ai écrit quatre romans très différents car j’aime me lancer des défis, sinon je m’ennuie. Un roman que je qualifierais d’espionnage sur fond politique, La Politique du tumulte, un pur roman noir sur le camp de concentration de Mauthausen qui tord les codes du polar, Les Rêves de guerre, une uchronie, et un pur polar qui joue avec les stéréotypes parfois éculés du thriller, L’Ange rouge. Et pour L’Ange rouge, mon véritable défi était surtout une question de réception par les lecteurs. Je voulais que ce roman puisse plaire à celles et ceux qui lisent du « roman noir » mais aussi aux lectrices et lecteurs de Frank Thilliezet Karine Giebel. En France, on oppose le « roman noir » et le « thriller » pour des raisons idéologiques et de genre. Je n’ai jamais adhéré à cette opposition.
Bepolar : Quels sont désormais vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
François Médéline : Je viens de terminer l’annotation d’un manuscrit en PdF il y a moins d’une heure, juste avant de vous répondre ! Il s’agissait de la deuxième correction d’un roman. J’adore « corriger », je préfère ça a l’écriture d’un premier jet. « Examiner » ou « observer » ? « Il émarge à 65 ans » ou « Il pointe à 65 ans » ? « Une Peugeot 402 grise » ou « Une Peugeot 402 » ? Faut-il garder une répétition pour la musicalité ou l’éradiquer pour gagner en légèreté ? Dois-je appuyer sur la touche « supprimer » et écraser quatre chapitres pour les nécessités rythmiques de l’intrigue comme je l’ai fait plusieurs fois en écrivant L’Ange rouge ? Je passe des heures à chercher le mot juste, le meilleur son, à m’approcher le plus près possible d’un absolu même si c’est une quête puérile et vaine. Pour moi, c’est ça écrire. Le travail ultime sur les signes quand ils ont leur propre logique déconnectée de tout, comme un enchantement. C’est long, fastidieux et répétitif. Mais ça me semble essentiel et surtout, j’aime ça.