Bepolar : On vous avait laissé avec La sacrifiée du Vercors. On vous retrouve avec Les Larmes du Reich, juste après la seconde guerre mondiale une fois encore. Qu’est-ce qui vous fascine dans cette période ?
François Médéline : Elle me fascine depuis toujours. Adolf Hitler était la définition même du mal quand j’étais enfant, dans les années 80. La croix gammée était un symbole non seulement historique et politique mais aussi satanique, comme si les nazis n’étaient pas vraiment des humains. Comme je l’ai développé dans La sacrifiée du Vercors, la seconde guerre mondiale a aussi durablement marqué la vie des mes grands-parents qui n’ont d’ailleurs jamais trop voulu en parler. J’écris donc sur cette période pour lever les zones d’ombre, en marge de l’histoire officielle et du grand récit national. Et surtout, j’essaie de le faire à hauteur d’hommes et de femmes, d’incarner la période dans des destins individuels en train de se faire, des personnages confrontés à des dilemmes moraux. Et puis, la seconde guerre mondiale est toujours structurante de la pensée politique contemporaine. Les références sont très nombreuses. Quand Vladimir Poutine envahit l’Ukraine, il le fait en prétendant vouloir chasser les nazis du pouvoir.
Bepolar : Est-ce que c’est parce que la période même convoque des personnages troubles ? Que personne n’est vraiment celui qu’il prétend être ?
François Médéline : Oui, c’est parce qu’il y a des non-dits. On a longtemps enterré les exactions de l’épuration au plus profond de la mémoire collective car les 20 000 tondues de nos places publiques et les 10 000 exécutions dites « extra-judiciaires », soit sans procès, ne collent absolument pas avec le roman national, qui disait que les Français avaient gagné la guerre, avec l’aide des Anglais et des Américains. Alors qu’il y a eu 24 millions de morts soviétiques, dont 18 millions de morts russes. Sur 50 millions de morts, c’est colossal. Ce roman national, que certains voudraient qu’on enseigne encore plus vigoureusement dans les écoles, est fallacieux, mensonger. Dans les faits, la France a plutôt perdu la guerre. Dans tous les cas, une minorité, souvent de jeunes gens, ont résisté, une minorité a collaboré et une majorité n’a rien fait. Et je me suis toujours demandé, qu’aurais-je fait, si j’avais eu une famille à protéger, si j’avais été installé, commerçant ou je ne sais quoi ? Il est toujours plus facile d’avoir une lecture anachronique de l’histoire. Dans Les Larmes du Reich, j’essaie justement de saisir l’humanité de mes personnages, c’est-à-dire cette zone grise où ils basculent de la moralité à l’immoralité, ou inversement. La condition humaine, je crois, c’est de ne pas être la même personne du matin au soir, d’une journée ou de sa propre vie. J’ai été très marqué par le concept de banalité du mal d’Hannah Arendt, développé dans Eichmann à Jérusalem, une femme qui a aimé sa vie durant Heidegger, un homme très complexe lui aussi, adhérent du parti national-socialiste de 1933 à 1944. À la sortie de Eichmann à Jérusalem, on reprocha même à cette grande philosophe juive d’être antisémite, pour la seule raison qu’elle déconstruisait la figure du mal absolu. Les nazis étaient donc des humains ? C’est pire pour nous que de les penser maléfiques.
Bepolar : Votre récit se déroule dans la Drôme et en Isère en partie (puis à Paris et à Auschwitz). Vous habitez dans la région Auvergne Rhône Alpes. Qu’est-ce qui vous plait en ces lieux ? Comment ils influencent votre histoire ?
François Médéline : Déjà, je les connais, qu’il s’agisse de la vallée de la Drôme où ma famille possède encore une ferme ou du Vercors, une terre de martyrs, forteresse majestueuse de calcaire qui me coupe le souffle à chaque fois que je m’y rends et dont je vois les falaises tous les matins, puisque j’habite à leur pied. Dans La sacrifiée du Vercors, le Vercors est un personnage à part entière. Il est le symbole de l’histoire. Dans Les Larmes du Reich, les lieux sont plutôt un support de l’action, car il s’agit d’un vrai roman d’intrigue alors que La Sacrifiée était un roman d’ambiance, d’atmosphère. Mon personne principal, l’inspecteur Michel, pédale, sur son vélo italien, et chaque coup de pédale le rapproche du secret qu’il veut découvrir à tout prix. De Crest à Grenoble, de Lyon à Pigalle et jusque sous le ciel de Pologne.
Bepolar : Qui est l’inspecteur Michel qui va mener l’enquête ? Il est lui même un enjeu du récit. C’est presque une deuxième histoire non ?
François Médéline : C’est un inspecteur de la brigade criminel de Lyon qui s’est spécialisé dans les disparitions d’enfants. On ne sait de lui que ce qu’il veut bien nous dire. Il est très mystérieux, d’autant plus qu’il déraille, en quelque sorte, à un tiers du roman. Il est le second moteur de l’intrigue. Il cherche une fillette qui a disparu et j’espère que les lectrices et les lecteurs veulent la trouver avec lui. Mais il se cherche aussi lui-même et j’ai construit le roman pour que ses motivations profondes soient le principal ressort du suspense. C’est pour cette raison que je ne peux pas révéler qui il est. C’est un humain, comme les autres, avec ses secrets plus ou moins reluisants.
Bepolar : Comment en matière de documentation vous avez travaillé ? Un lecteur sur le net rapprochait votre histoire de celle de "L’affaire Finaly". Est-ce que cela a été une influence ?
François Médéline : Comme d’habitude, j’ai demandé à mon libraire passionné par André Hardellet, Jean Giono, des livres de l’époque. Puis j’ai lu des livres d’historiens. Je suis effectivement tombé sur l’affaire Finaly en me documentant sur La sacrifiée du Vercors. Et c’est cette affaire qui m’a donné l’idée d’écrire sur les enfants juifs cachés à Grenoble et dans le Vercors. Non pas les milliers qui ont été sauvés mais ceux qui n’ont pas été rendus après la guerre. Les enfants Finaly ont été cachés par des bonnes soeurs grenobloises, des femmes nobles, des héroïnes de l’histoire. Leurs parents sont morts à Auschwitz. Quand la tante des enfants a voulu les récupérer en 1945, les bonnes soeurs ont refusé de les rendre. Elles les ont même baptisés pour qu’ils ne soient plus juifs. Ces deux enfants ont été cachés durant de nombreuses années et l’Affaire Finaly a défrayé la chronique judiciaire et médiatique jusqu’en 1953. Elle a impliqué les plus hautes autorités du clergé et de l’État français, le grand Rabin, et même Franco. Les Larmes du Reich n’est pas le récit sur cette affaire mais un roman qui pose la même question : comment des personnes qui ont risqué leur vie pour sauver de petits juifs peuvent se comporter immoralement lorsqu’il s’agit de les restituer ? Quelles émotions parfaitement humaines font qu’on ne rend pas des enfants à leur famille ? Jusqu’où est-on prêt à aller dans l’ignominie alors même qu’on est une belle personne ? Peut-on être héros un jour et salaud le lendemain ? Bon et mauvais. Jamais tout l’un et jamais tout l’autre. À l’image de ce que nous sommes tous.
Bepolar : Est-ce que vous retourner dans cette période pour un prochain roman ? Quels sont vos projets ?
François Médéline : Peut-être. J’ai une idée mais je ne sais pas si elle se transformera en roman. Je termine un gros roman pour mon éditeur, La Manufacture de Livres, et j’espère que Pierre Fourniaud le publiera en 2023, sans doute en début d’année. C’est un thriller politique à la croisée de mon premier livre La Politique du tumulte et de mon troisième Tuer Jupiter, qui remet en scelle le personnage principal de L’Ange rouge, mon commandant du SRPJ de Lyon, Alain Dubak. Je ne peux pas vous en dire beaucoup plus. Sauf que le titre est La Résistance des matériaux.
