- Auteur : François Médéline
- Editeur : La manufacture de livres
A l’occasion de la sortie de Tuer Jupiter, découvrez l’interview de l’auteur
François Médéline revient sur son roman, Tuer Jupiter, paru à la Manufacture de Livres en août dernier.
Bepolar : Pourquoi avoir voulu dans cette fiction tuer le président de la République ? Comment vous en est venue l’idée ?
François Médéline : Je ne sais pas comment m’est venue l’idée principale. Sans doute mon admiration sans borne pour James Ellroy qui a écrit American Tabloïd et la référence explicite à JFK qu’Emmanuel Macron a mis en scène dès le début de son ascension politique, jusqu’à l’image donnée par son couple, assez glamour et post-moderne, dans la presse people. Mais je n’ai évidemment pas tué le Président de la République, j’ai tué un personnage de fiction que j’ai choisi d’appeler Emmanuel Macron, et qui renvoie évidemment au personnage politique Emmanuel Macron qui se met en scène, en racontant une histoire aux Françaises et aux Français, celle d’un jeune homme qui fait différemment de ses prédécesseurs et qui va changer le réel pour de bon, annonçant que les vraies réformes n’ont jamais été faites depuis trente ans et que lui va mener cette vraie révolution politique qui consiste à appliquer son programme. C’est d’ailleurs assez irrationnel de vouloir appliquer un programme politique et de réclamer aux représentants élus de l’appliquer. Si les gens savaient comment un programme est construit, pour capter des clientèles électorales, ils ne demanderaient jamais son application. d’autant qu’un programme politique est figé à un instant et que la réalité politique, sociale et économique ne l’est pas. Pour répondre précisément à votre question, j’ai tout de suite vu que cette idée transgressive, le blasphème républicain suprême, permettait de très bien rendre compte de notre époque qui se caractérise par l’effondrement des couples classiques de la philosophie occidentale, par exemple de la porosité entre le vrai et le faux. J’ai voulu écrire sur ce que nous appelions avant le « virtuel », cette matière qui tourne à la vitesse de la lumière, et qui a pris le pouvoir sur l’empire, ce que nous appelions avant le « réel », ce dernier étant beaucoup trop lent pour suivre le rythme de l’empilement insensé des datas et de leur circulation.
« [...] j’ai tout de suite vu que cette idée transgressive, le blasphème républicain suprême, permettait de très bien rendre compte de notre époque qui se caractérise par l’effondrement des couples classiques de la philosophie occidentale [...] »
Bepolar : Pourquoi avoir choisi Emmanuel Macron ? Sa personnalité vous intéressait particulièrement ou est-ce parce que c’est simplement le président actuel ?
François Médéline : Le matériau principal du livre est la vie politique française contemporaine. Tous les présidents sont romanesques, sauf peut-être Giscard et Hollande. j’ai profité de l’utilisation de ce matériau pour présenter aux lecteurs une satire du pouvoir. Et j’ai effectivement choisi Emmanuel Macron car il est le Président actuel. Mais il est assez romanesque, dans sa singularité. Il a pris le pays par effraction en six mois, il n’avait jamais été élu, il gouverne en mode start-up Nation et last but not least, il a symboliquement brisé un tabou en réalisant le complexe d’œdipe, ce qui explique pour une partie le caractère totalement désinhibé de sa personnalité.
Bepolar : On parle d’un polar mais aussi d’une fiction politique. Qu’aviez-vous envie de faire ou de dire ?
François Médéline : C’est un roman qui reprend les codes du thriller politique et de la satire du pouvoir, vieille tradition qui remonte au moins à Molière. Il a donc à la fois un côté addictif, généré par la mécanique du suspense, et une dimension comique, car montrer les puissants dans leur intimité, les désacraliser à ce point fait mécaniquement rire. Mais c’est un livre sur le concept de « vérité » pour ceux qui souhaitent lire en les lignes, sur la société d’hyper-communication. J’ai mis en exergue la phrase la plus connue de MacLuhan « The message is the medium ». mais chaque lecture est juste. On peut lire Le Vieil et la mer comme un livre sur la pêche au marlin ou Moby Dick comme un roman d’aventure sur la chasse à la baleine. Je ne suis pas certain qu’Hemingway et Melville aient vraiment écrit là-dessus. Pour paraphraser Gide, j’attends que les lecteurs me disent ce que j’ai écrit pour savoir de quoi il en retourne vraiment. Il y a donc plusieurs niveaux de lectures. C’est la magie d’un livre, cette rencontre entre un texte et son lecteur. Parfois, il y a une alchimie, parfois, aucune réflexion et aucune émotion n’est générée.
Bepolar : Le roman est à rebours. On remonte le temps pour comprendre ce qui s’est passé. Comment l’avez-vous construit, comment avez-vous travaillé ?
François Médéline : Je l’ai écrit comme il est construit, c’est à dire à rebours. Et j’ai essayé de travailler la forme pour qu’elle corresponde à l’époque, avec des matériaux peu utilisés en littérature, et le style qui est le mien, parfois violent et cru, comme la majorité des posts Facebook ou des tweets, car dans cette accumulation incroyable de datas, seule la transgression et la violence flottent à la surface. J’ai conscience que mon style peut heurter à la lecture. Mais c’était déjà le cas pour mes deux premiers romans. Des retours de lecture, ce livre ne laisse pas indifférent. Il peut générer toutes sortes d’émotions, même négatives. Mais mes textes ont toujours généré des sentiments contradictoires. Certains n’arrivent pas à entrer dans la politique du tumulte. D’autres ne comprennent absolument pas ce que j’ai voulu faire avec Les Rêves de guerre. Sans faire dans l’auto flagornerie, mêmes les avis négatifs qui me parviennent, reconnaissent la singularité de la voix que j’essaie de porter. Et finalement, c’est tant mieux. Le pire, c’est l’unanimité, car c’est suspect, ou l’indifférence, car chaque romancier met beaucoup de lui dans ses romans.
« Mais mes textes ont toujours généré des sentiments contradictoires. »
Bepolar : On est vraiment dans les coulisses du pouvoir avec ses chausses trappes et ses coups tordus. Vous décrivez les hommes au pouvoir dans leur puissance mais aussi dans leur humanité et leur petitesse. Vous qui avez passé dix ans "dans les coulisses du gouvernement", la politique est-elle aussi sombre que cela ?
François Médéline : Pas plus qu’un autre champ de pouvoir, même si dans le monde politique, nous sommes confrontés à la crème de la crème. Le rapport critique au monde politique proposé dans Tuer Jupiter est l’irrévérence. Les hommes et les femmes politiques sont comme vous et moi. Des animaux à sang chaud. Ceux qui réussissent sont les plus voraces. Car ce n’est pas un monde pour les ambitieux mais pour les voraces. La faim est un sentiment bien différent du désir. La faim vient des tripes.
Bepolar : Y’a-t-il une difficulté particulière, ou une crainte (ou une jubilation) de s’attaquer à des personnages de notre temps, actuels, vivants, et de les mettre en scène ?
François Médéline : Présenter les deux corps du Roi au peuple ? Certains lecteurs m’ont dit que c’était courageux, oui. Non, les personnes citées ou mises en scène ont assez de recul pour rire d’elles-mêmes. Enfin, je l’espère. Le seul vrai risque est pour mon éditeur. Il pourrait bien avoir un contrôle fiscal ! C’est comme ça que fonctionne la Cinquième République française...
Bepolar : Il y a des liens avec vos précédents romans. Comment envisagez-vous d’une manière globale les histoires de vos livres ? C’est un grand tout ?
François Médéline : Oui, il y a une continuité. Un livre sur le pouvoir, un autre sur la rationalité et un sur la vérité. J’essaie simplement de faire des livres très différents à chaque fois. La permanence, s’il y en a une, c’est ma façon de percevoir le monde et l’importance que j’attache à la forme et au style.
Bepolar : Et maintenant, sur quoi travaillez-vous ? Quels sont vos projets ?
François Médéline : J’ai une idée assez précise. J’en suis à la phase du traitement qui fait désormais une quarantaine de pages. Mais il est beaucoup trop tôt pour en parler. Je sais que je vais y consacrer l’année qui vient. 100% de mon temps pour écrire Blanc mais noir. Et c’est toujours très excitant et complètement terrorisant de se lancer dans l’écriture d’un nouveau roman. Surtout que celui-ci, pour des raisons propres au sujet, sera assez copieux, en nombre de pages.
Bepolar : Quelles sont vos dates de dédicaces à venir ?
François Médéline : Toutes les dates sont consultables sur le (nouveau) site de La Manufacture de Livres. Et j’en profite pour faire la promotion de ce formidable éditeur INDEPENDANT et de tous ses auteurs. Je sais que de très nombreux lecteurs attendent impatiemment le prochain roman de Franck Bouysse et ils vont être comblés dans les prochains mois. Et je remercie très sincèrement les libraires qui soutiennent cette maison d’édition, et Tuer Jupiter, comme ceux qui ont soutenu La politique du tumulte et Les rêves de guerre. Cette maison et ses auteurs, peut-être encore plus que les autres, ont besoin des librairies indépendantes et des libraires qui se battent pour nous.
Bepolar : Enfin dernière question, pour vous, c’est quoi un bon polar ?
François Médéline : Un bon polar ? Le Grand nulle part, de James Ellroy. Mon livre éternel.