- Réalisateur : M. Night Shyamalan
Le papa de "Sixième Sens" et "Split" revient dans une forme olympique avec un thriller d’horreur aussi brutal que spectral. Un film de bord de mer où les vacances tournent (vraiment) au cauchemar. Génie.
En matière de thriller, Shyamalan tape toujours à la fois exactement là où on l’attend et juste à côté, comme un rebond dont la trajectoire se ferait brusquement inattendue. En quelques scènes, le spectateur assidu retrouve les mimiques du cinéaste - sa caméra mobile voire aérienne, souvent focalisée sur les visages et expressions des personnages pour conserver le mystère du hors-champ –, ses pièges, ses thématiques (critique sociale, pamphlet écologique et politique…) et clins d’œil cinéphiles. Si bien qu’en l’espace de quelques séquences, les attentes qui pèsent sur "Old" sont comblées, peut-être même un peu trop sans doute car la surprise peine à poindre et le sentiment d’un territoire connu s’immisce. Mais comme toujours chez le réalisateur de « La Jeune fille et l’eau », cette impression d’arriver dans un univers balisé s’étiole heureusement bien vite.
Après un préambule classique pour installer l’intrigue – une famille arrive en vacances dans un resort luxueux et commence à explorer les environs sur les conseils avisés du propriétaire des lieux –, quelque chose déborde et les rouages du récit se dérèglent. Shyamalan nous emmène alors bien plus loin que ce que l’on imaginait, enferme ses spectateurs dans une contrée plus étrange qu’escomptée. Bientôt, le huis-clos de la plage isolée devient le théâtre d’un déferlement fulgurant de péripéties tortueuses, entre beautés et terreurs. Le réalisateur referme le couvercle et passe le lieu et les protagonistes (sorte de photographie terrifiante de nos sociétés) au shaker. Ici, la jeunesse cohabite avec la vieillesse et les grandes étapes de l’existence, le tout ramassé sur une journée à peine. Le suspense bascule vers l’horreur fantastique et même vers une dynamique philosophique (on pense au "Septième sceau" de Bergman et à "L’île du docteur Moreau" de Kenton). Les questions que posent le scénario (adapté du roman graphique « Château de sable » de Pierre Oscar Lévy et Frederik Peeters) se veulent de fait multiples (critique du tourisme, de la consommation et de l’entre-soi…). Quelles places le vieillissement et la question de la mort occupent-ils dans nos sociétés aseptisées ? Combien de multinationales, jouant de cette négation et du mythe de la vie éternelle – entre transhumanisme et prouesses déraisonnées de la médecine – pour profiter grassement de cette brèche liée au refoulement de chacun ?
Le dispositif enfantin - une famille relativement aisée, mais pas trop non plus, qui devient malgré elle le cobaye d’un hôte fallacieux – confine en définitive au génie. Par-dessous l’obséquiosité des employés de l’hôtel, se cache un monstre invisible : le temps qui s’écoule à toute vitesse, avec ce que cela implique de débordements et de changements dans les têtes et corps de chacun. Comme à son habitude (hitchcockienne, évidemment), Shyamalan se met directement en scène dans son film. Témoin caché de l’horreur, il enregistre la mort et les secondes qui défilent en marge de la plage maudite. La mise en abyme métaphorique du cinéma en acte est évidente et brillante. Autre point d’orgue du film : l’intelligence de toujours ou presque recourir au plan serré pour ne pratiquement rien dévoiler des alentours. Ainsi, le cadrage est volontairement soit trop restreint ou trop lointain pour que l’on distingue précisément les contours des actions. La peur en devient d’autant plus omniprésente – mention spéciale pour l’une des scènes gothiques d’horreur les plus efficaces de ces dernières années, où le fard de la beauté vendue par la publicité (un corps de jeune femme aseptisé et donc désirable) mute en corps usé et flétri. Non, le dernier film de Shyamalan ne joue pas seulement la carte de la simplicité, il excelle au contraire avec quelques ressorts bien choisis et pensés (le ballet opératique de la caméra, toujours floue et elliptique, est en soi une quintessence), en plus de bénéficier d’un casting absolument parfait (Gael Garcia Bernal, Vicky Krieps, Aaron Pierre…). À tel point que "Old", qui pourrait bien figurer parmi les meilleurs films du metteur en scène, reste longtemps en mémoire après son visionnement. Classique instantané.