Sherlock Holmes : les 20 meilleurs films et séries
- Acteurs : Buster Keaton, Kathryn McGuire, Joe Keaton, Erwin Connelly, Wes Crane
L’homme qui ne rit jamais se rêve en Sherlock mais ses élans de fiction se heurtent à une dure réalité, forcément moins extraordinaire. C’est l’effet "Don Quichotte". Un hommage génial avant la grande heure du détective...
Sherlock junior, de Buster Keaton
Avec : Buster Keaton, Kathryn McGuire, Joe Keaton, Erwin Connelly, Wes Crane
Année : 1923
Le pitch
Sherlock Junior, un projectionniste visiblement peu concerné par son travail, passe son temps à dévorer son livre préféré, un ouvrage intitulé "Comment devenir détective". Lors d’une visite chez sa petite amie, il se retrouve accusé à tort du vol d’une montre. Le coupable n’est autre que son concurrent, lequel se débrouille pour faire peser tous les soupçons sur l’apprenti détective. Alors que Sherlock s’en retourne dépité à sa besogne, il s’endort pendant la projection et se rêve en héros du film : un enquêteur de génie…
Pourquoi c’est un incontournable…
Avec ce moyen métrage (le plus resserré des grands films de Buster Keaton), le réalisateur américain signe l’une des premières mise en abyme de toute l’histoire du cinéma : en se rêvant dans le long-métrage qu’il projette, Sherlock Junior donne en effet lieu à un film dans le film. Au gré de son imaginaire, le personnage crée une version fantasmatique de sa propre existence. Mais avant d’être mêlé de la sorte aux protagonistes de l’écran, Sherlock se fait malgré lui d’abord le moteur de tout une série de gags ingénieusement pensés. Chacune de ces séquences génèrent le rire en s’appuyant sur l’intervalle existant entre les velléités héroïques du personnage (devenir un détective génial) et leur résultat calamiteux se soldant chaque fois par un petit désastre.
Le "Sherlock Junior" de Keaton met en scène un personnage candide et bien trop gentil pour parvenir un jour à ses fins. Il suffit par exemple à son adversaire de lire son manuel par-dessus son épaule pour que ce dernier le devance et le manipule ensuite à loisir. Bien moins calculateur que ne l’aurait été Charlot chez Chaplin, il préfère par exemple se défaire de ses dollars pour abréger les désagréments d’autrui au détriment du cadeau qu’il souhaitait offrir à sa petite amie.
La séquence onirique (vision de l’esprit délirante comme Don Quichotte prendrait les moulins pour des géants) sert donc de rédemption cathartique. Grâce à elle, Sherlock Junior peut transformer ses mésaventures en péripéties homériques. Il rejoint pour cela dans un premier temps les spectateurs puis les acteurs présents sur l’écran de cinéma. Notons que dans ce processus magique, les acteurs eux aussi prennent l’apparence de l’entourage du Sherlock projectionniste. Débute alors une poursuite comme seul Buster Keaton en a le secret, une course stupéfiante de drôlerie et de fureur où l’acteur termine sur le guidon d’une moto. Ses prouesses physiques et autres cascades dépassent la fiction et l’on sent bien son expérience déterminante du music-hall au moment du train lorsqu’il saute de wagon en wagon. Mention spéciale enfin pour l’usage hilarant de l’un des attributs les plus archétypiques du détective : la loupe, utilisée par la petite amie pour s’assurer de la présence d’un diamant (si minuscule qu’on ne peut l’apercevoir à l’œil nu) sur la bague offerte par Sherlock.
Ce que le film nous dit de Sherlock Holmes
Se gardant d’en donner une lecture rigoureuse, Buster Keaton préfigure la caractérisation future de l’authentique Sherlock Holmes, et ce, en bottant en touche par l’absurde. À travers cette parodie du détective, le cinéaste en dit beaucoup à propos de son regard sur l’œuvre de l’écrivain britannique. Car l’impossibilité pour Sherlock Junior d’être un investigateur hors du commun, son impossibilité de l’incarner hormis dans ses rêves, c’est à tout point de vue le rapport qu’entretient le lecteur à l’égard de Holmes. Simplement surhumaine, la créature de Conan Doyle tient en effet plus du robot ou de l’extra-terrestre que du commun des mortels. D’où la difficulté de le projeter dans le monde réel.
On peut voir dans cette distorsion de l’univers romanesque un peu de l’ambition du Cervantes de Don Quichotte. Car lui aussi montre comment les récits et légendes peuvent très vite devenir des pastiches lorsqu’on les applique à la lettre au monde tangible.