- Auteur : Louise Mey
- Editeur : Fleuve éditions
Une île, une disparition, un coupable.
Bepolar : Embruns est paru il y a quelques semaines aux éditions Pocket. Comment est né ce roman ?
Louise Mey : D’une envie de faire une coupure après Les Ravagé(e)s, qui m’avait demandé beaucoup de documentation, sur des sujets très durs (les violences faites aux femmes et le viol comme crime systémique). De l’envie de changer de rythme, de registre… de me changer les idées. Bon, j’avoue qu’écrire un thriller sur une gamine qui disparaît, c’est spécial, comme manière de se changer les idées…
Bepolar : Comment pourriez-vous présenter son histoire ?
Louise Mey : Embruns est une histoire « serrée » : peu de monde, peu d’espace… peu de temps. La famille Moreau débarque sur une île bretonne pour un week-end dans un petit coin de paradis, mais ça tourne à l’enfer *insérer ici musique pleine de suspense*.
Bepolar : Une île, un huis-clos… Je ne peux m’empêcher de penser aux Dix Petits Nègres d’Agatha Christie ou à la série Meurtres à Sandhamn. Avez-vous des inspirations en particulier ?
Louise Mey : L’Agatha Christie que vous citez est mon tout premier souvenir de lecture-qui-fait-peur, hors albums pour enfants. J’étais terrifiée, mais je voulais aller au bout. Alors vous visez juste !
Pour ce qui est du style, j’ai essayé de travailler quelque chose de plus immédiat que ce que j’ai tendance à faire naturellement. Les livres de Marie-Aude Murail, par exemple, une très grande écrivaine dont les livres jeunesse m’ont bercée, arrivent très bien à faire cela. Des phrases courtes, à la construction en apparence dépouillée ; mais d’une force incroyable. Je ne prétends pas arriver jamais à son niveau, mais je garde ses histoires en tête quand je dois essayer d’aller à l’essentiel.
Bepolar : Votre famille parfaite va un peu vriller... Qu’aviez-vous envie de faire ?
Louise Mey : Surprendre. En tant que lectrice ou que spectatrice, j’adore les histoires qui me donnent envie de reprendre du début quand j’ai enfin compris ce qui se passait. J’aime bien être baladée, presque bernée. Comme avec Shutter Island, ou Usual Suspects…
Bepolar : En commençant l’écriture d’un roman, avez-vous déjà en tête les différents rebondissements, y compris la fin, ou vous laissez-vous porter par l’écriture ?
Louise Mey : Je sais ce que je veux raconter, je sais où je veux arriver. Au départ, Embruns était prévu pour être le scénario d’une mini-série, donc la structure était claire.
Mais il y a des scènes, ou des détails sur les personnages, qui surgissent parfois sans prévenir. Ça arrive souvent avec les personnages secondaires. Je crois qu’au fond, je n’aime pas écrire des personnages « prétextes », alors quand des éléments qui permettent de mieux les dessiner arrivent d’eux-mêmes, je laisse venir.
Bepolar : Embruns n’est pas le seul roman à être paru au mois de Mai, puisque Fleuve éditions a édité Les Hordes Invisibles. De quoi celui-ci parle-t-il ?
Louise Mey : Les Hordes Invisibles est la suite des Ravagé(e)s. On y retrouve la même brigade (fictive) des Crimes et Délits Sexuels, et on suit de nouveau leur quotidien, jusqu’à ce qu’une enquête prenne le pas sur les autres. Celle-ci tourne autour du harcèlement des femmes sur internet. C’est très différent d’Embruns, notamment car le rythme est volontairement beaucoup plus lent.
Bepolar : On y retrouve des femmes victimes d’hommes qui les harcèlent ou les menaces. C’est un sujet qui vous tenait à cœur ? Est-ce une manière de mettre en garde contre les dangers des réseaux sociaux ?
Louise Mey : Je ne suis pas sociologue, ni spécialiste des réseaux sociaux, donc je n’ai pas de mise en garde à formuler. À part peut-être aux gens qui veulent légiférer sur le sujet d’arrêter de faire n’importe quoi…
Internet fait partie de nos vies, les réseaux sociaux sont une expression de notre société, et malheureusement, dans notre société, les femmes, les racisé.e.s ou les personnes de la communauté queer, en particulier, doivent déjà « faire attention », tout le temps. Rien que cette formulation est terrible, parce qu’elle implique que ces personnes doivent se faire discrètes, anticiper.
Attention à ne pas déchaîner la violence. Attention à ne pas s’attirer des ennuis. Comme quand on dit aux filles qui sortent « fais attention ». Je trouve cela terrible car ça renverse la situation. On leur demande de porter la responsabilité des comportements des autres.
Sur internet, c’est pareil. Quand une femme subit de la violence, des commentaires haineux, il y a souvent une partie des réactions qui consiste à dire « oui mais aussi, qu’est-ce qu’elle avait besoin de… » (Vous pouvez mettre n’importe quoi derrière ce début de phrase. D’aller parler de jeux vidéo. De prendre position sur une polémique. De s’exprimer sur le sexisme. De se maquiller. De ne pas se maquiller. De respirer.)
J’ai vu des femmes que j’apprécie beaucoup être victimes d’une violence ahurissante, et ne recevoir aucune aide.
Au moment où je relisais les épreuves des Hordes Invisibles, Nadia Daam, une journaliste et chroniqueuse, a été à son tour victime d’une telle vague de violences. Il devait y avoir un procès, il a été reporté à juillet 2018. Ça, c’est important. Un précédent qui poserait le fait que ce que vous faites en ligne a des conséquences réelles, juridiques. Je croise les doigts pour que ce procès ait lieu et qu’on en parle le plus possible. Il y a toute une génération qui se construit en ayant internet au cœur de sa vie quotidienne ; que les femmes, les jeunes filles (et tout le monde !) sachent que ce n’est pas « normal » de se faire traiter de putes ou menacer de viol ou de mort dès qu’elles s’expriment me paraît être un enjeu capital. Parce que les mots sont un élément à part entière du « continuum de violences » que représente le sexisme.
Donc, oui, ce sujet me tient à cœur. Tout comme toutes les femmes que je connais ont à un moment eu à subir une forme de violence sexuelle ; toutes les femmes « d’internet » que je connais et dont le suis le parcours sont ou ont été touchées par ce phénomène. Elles continuent à vivre, à s’exprimer, à créer, et je les admire beaucoup. Mais ce n’est pas normal que j’en sois à trouver « courageux » de se déclarer féministe, d’écrire un article sur la parité ou de chroniquer un film…
Bepolar : On retrouve la même équipe d’enquêteurs que dans Les Ravagé(e)s, avez-vous prévu d’autres scénarios avec eux ?
Louise Mey : Oui ! C’est en cours. Alex a renoncé à boire mais elle s’est mise à fumer… Je peux pas la laisser seule deux minutes.
Bepolar : Qu’est-ce qui vous pousse dans l’écriture ? Et pourquoi avoir choisi le thriller ? Est-ce un genre qui vous permet d’exprimer plus de choses ? Des sujets qui vous tiennent à cœur ?
Louise Mey : La réponse sera peut-être un peu décevante : mon cerveau construit des histoires, me raconte des bouts de dialogues, parfois des pages entières de descriptions. Et à un moment donné, il faut juste que je les écrive, pour que ça arrête de tourner en boucle !
On fait tous ça quand on est petits, je crois, d’inventer des histoires. Après, j’ai eu beaucoup de chance, car on m’a toujours encouragée à continuer. C’est un privilège important. On m’a poussée à travailler, aussi !
Pour ce qui est du genre, j’avoue que je ne réfléchis pas trop dans ces termes. Embruns, correspond bien aux critères du thriller : le rythme, l’enchaînement des chapitres, le changement d’ambiance à mi-parcours… Mais je m’en suis rendue compte après.
Bepolar : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Louise Mey : La suite des Hordes est bien avancée ; je vais la laisser reposer cet été.
Je suis en train de travailler sur un roman court pour la jeunesse qui s’intitule Le Jour du vélo rouge, qui devrait être publié bientôt.
J’ai aussi fini le scénario d’un roman graphique pour ados, pour lequel je vais bientôt chercher une maison...
La pièce Chattologie - Courte conférence en gestion des flux va être jouée par Klaire Fait Grr tout le mois de Juillet à Avignon. Pour l’instant, même si j’aimerais y ajouter beaucoup de choses (c’est un sujet que l’on a déjà abordé avec Klaire), le propos en est volontairement « basique », pédagogue. Il faut commencer par le début. C’est important, mais aussi un peu frustrant ! Alors j’aimerais bien avancer sur un autre texte pour le théâtre, aussi…
Et j’ai prévu de faire une grasse matinée aux alentours du 27 juillet. Peut-être même deux ! Soyons fous.
Bepolar : Quelles sont vos prochaines dédicaces ?
Louise Mey : Je serai à St Maur en Poche le samedi 23 Juin. A l’automne, je serai aussi au salon du Livre sur la Place, à Nancy.