- Réalisateur : Matt Ruskin
- Acteurs : Chris Cooper, Keira Knightley, Carrie Coon
- Séries : L’Étrangleur de Boston
Aussi classique soit cette relecture féministe de l’affaire de l’étrangleur de Boston, elle ne manque ni de suspense ni de mordant. Deux héroïnes prises entre les mailles d’une société misogyne, un assassin énigmatique… autant d’ingrédients qui donnent lieu à un polar singulier.
L’Étrangleur de Boston !
De : Matt Ruskin
Avec : Keira Knightley, Carrie Coon, Chris Cooper
Genre : thriller, polar, drame
Pays : États-Unis
Année : 2023
Boston, 1962. Loretta McLaughlin, reporter au journal Record-American, tente de distinguer des points communs reliant les meurtres de femmes commis à leur domicile ces derniers mois dans les environs de Boston. Alors que l’insaisissable assassin multiplie les victimes – si bien qu’un vent de psychose souffle à travers tout Boston -, Loretta mène son enquête aux côtés de sa collègue et confidente Jean Cole. Pour comprendre la vérité, le duo doit faire face au sexisme de l’époque et à de multiples intimidations…
Cet "Étrangleur de Boston" aurait pu simplement nous resservir le brillant couplet du film éponyme signé Richard Fleischer ("L’Étrangleur de Boston", 1968). Celui d’un film noir sur le mode serial-killer magnifié par un dispositif en split screen – alors avant-gardiste – et sublimé par des mouvements de caméra d’une extrême fluidité (grâce à la caméra portable Arriflex). Mais Matt Ruskin, le réalisateur de "Crown Heights" (2017), la joue autrement, en changeant d’une part radicalement le point de vue - exit le narrateur omniscient côté police et place à une focalisation interne côté presse - et en s’appuyant d’autre part sur les découvertes mises au jour entre temps concernant les meurtres (Fleischer se reposait exclusivement sur le roman de Gerold Frank, alors très partiel dans ses conclusions). De Fleischer, Ruskin conserve toutefois une certaine subtilité, en esquivant par exemple les débordements pulsionnels et de violence trop limitatifs, le plus souvent illustrés par des ellipses ou laissés hors champ. Plutôt que de reproduire le proto-slasher avec Tony Curtis en tueur séduisant et schizophrène, le metteur en scène mise sur un schéma à la "Zodiac" de David Fincher, mais au féminin – avec en figure de proue les exceptionnelles Keira Knightley et Carrie Coon, quelque part en lieu et place des Jake Gyllenhaal et Mark Ruffalo.
Le récit de "L’Étrangleur de Boston" suit pour l’essentiel la trajectoire de Loretta McLaughlin, journaliste au sein d’un modeste quotidien de Boston appelé Record American. Cette dernière, qui devait jusqu’alors se contenter de la restrictive rubrique "Arts de vivre", bataille auprès de sa hiérarchie pour enquêter sur une étrange série de crimes, autrement plus substantielle. Car là se situe la question centrale du film : comment une femme parvient-elle à échapper au déterminisme de sa condition dans une société archi patriarcale et verrouillée ? Si quelques rares scènes de meurtre apparaissent ici ou là, l’intrigue se concentre avant tout sur l’investigation journalistique entourant les crimes, celle menée cahin-caha puis avec brio par Loretta. Un semblant de whodunit semble affleurer un temps mais le film, tout en se révélant très dense et réaliste, ne fait clairement pas de l’identité du criminel sa priorité. De même que les effets restent au second plan. Car "L’Étrangleur de Boston" s’attache surtout à mettre en évidence le combat des enquêtrices (Loretta, et dans une moindre mesure Jean), lesquelles doivent composer avec les hommes cyniques (rédacteur en chef, policiers, procureur…) leur barrant la route entre sexisme et obstructions. Selon cet axe bien délimité, le réel enfin réhabilité, très documenté et habilement mis en scène, se substitue ainsi au voyeurisme (on n’est clairement pas "Dahmer"). Une veine presque documentaire prime en ce sens sur les vertiges haletants du thriller criminel.
Comme dans "Zodiac", la photographie s’avère ombrageuse et la chronologie ingénieusement segmentée à coups de scalpel – les années défilent inexorablement, tout comme les victimes. Sans atteindre – ni prétendre à – la maestria du découpage et du rythme, si extraordinaires, de David Fincher, "L’Étrangleur de Boston" fait montre de savoir-faire, ne serait-ce que dans l’écriture et la remise en perspective des faits. Bien pensée, la proposition apparaît en cela remarquable. Le film de Matt Ruskin remplace certes les jeux de piste aussi ludiques que macabres du tueur par une énigme plus terre à terre – le travail titanesque et au long cours du duo McLaughlin-Cole –, mais le récit reste néanmoins passionnant. D’autant que la mise en scène, avec notamment la ville photographiée et cadrée comme une sorte de tombeau ouvert, redouble d’astuces pour maintenir la tension. De telle sorte que l’horreur parvient même à sourdre des plans d’ensemble les plus anecdotiques.
On notera enfin que "L’Étrangleur de Boston" réussit bien les scènes domestiques, où l’époux au départ conciliant apparaît vite agacé par l’indisponibilité de son épouse, trop absorbée à son goût par l’enquête. Si, bien sûr, le film ne possède pas toute la sensibilité et le génie à ce niveau que "Zodiac", il s’engage néanmoins sur des sentiers pertinents et malins. Bien ficelé et maîtrisé, même si un brin classique et timoré diront certains, "L’Étrangleur de Boston" se révèle on ne peut plus brillant dans sa réflexion sur la condition féminine et sur les violences subies par les femmes.
"L’Étrangleur de Boston" est disponible sur Disney +.