- R�alisateurs : Clint Eastwood - Francis Ford Coppola - Martin Scorsese - David Fincher - Robert Schwentke
En matière de polars, retraite rime souvent avec grosses contrariétés. Mais si la perspective des beaux jours se transforme en enfer pour quelques sénescents, d’autres se muent en vieux tortionnaires. Petit carambolage entre film noir et troisième âge.
Le retraité est-il un bourreau ou une victime ? Dans les films policiers et les thrillers, la réponse est difficile à trancher. Si l’on s’en remet à la sagesse et à la bienveillance de l’inspecteur de police new-yorkais William Somerset, le Morgan Freeman de "Se7en" (Fincher, 1995), le tableau semble idéal. À sept jours de la retraite, le protagoniste apparaît comme la conscience et le discernement de son impétueux remplaçant David Mills (Brad Pitt), même si cela ne fait pas tout...
Mais l’on peut facilement opposer à ce modèle des exemples plus antipathiques. Dans "Misery" (Rob Reiner, 1990), l’infirmière retraitée Annie Wilkes (Kathy Bates) fait non seulement office de geôlière patibulaire mais prend aussi un plaisir infiniment voluptueux à torturer son "invité" le romancier Paul Sheldon.
Un tempérament qui n’est pas sans rappeler en creux celui du vétéran Frank Sheeran (Robert de Niro) dans "The Irishman" (Scorsese, 2019). Depuis sa maison de retraite, cet ex homme à tout faire de Jimmy Hoffa, le président du syndicat Brotherhood of Teamsters, se remémore sa trajectoire de simili tueur à gages. Un personnage dont l’apparente bonhommie ne doit pas faire oublier la traîtrise symptomatique.
Et quoi penser du vieux monstre que devient Michael Corleone (Al Pacino) dans le troisième et dernier volet du "Parrain" (Francis Ford Coppola, 1990) ? Non content d’avoir fait assassiner quelques-uns des siens dans le deuxième opus, le baron du crime incarne presque la caricature grimaçante de son parrain de père, Vito Corleone. La différence entre les deux hommes n’apparaît que plus flagrante quand on se penche sur la mort que leur réserve le scénario. Le premier succombe à une crise cardiaque en jouant avec son petit fils dans un jardin idyllique, quand le second dépérit seul assis parmi les piteux vestiges de son règne. L’innocence a laissé place au poids insoutenable de la culpabilité.
Il n’empêche que la frontière entre bien et mal se brouille parfois pour quelques seniors du septième art. Dans "Braquage à l’ancienne" (Zach Braff, 2017), trois vieillards (joués par Michael Caine, Morgan Freeman et Alan Arkin) décident de braquer leur banque pour compenser la suppression de leurs primes de retraite. Le film social se frotte alors à la thématique du crime organisé.
Toujours du côté des héros positifs du polar à ne plus s’avérer de première fraîcheur, relevons la bande de bras cassés du film "RED" (pour "Retraités et extrêmement dangereux", de Robert Schwentke, 2010). Frank Moses (Bruce Willis), un ex agent de la CIA à la retraite, est amené à retrouver quelques vieux coéquipiers (joués par John Malkovich et Morgan Freeman – toujours lui) en vue d’échapper aux assassins à sa poursuite.
Le cinéma policier compte du reste d’innombrables vioques inarrêtables, à l’image du Sherlock Holmes (Ian McKellen) du film "Mr. Holmes" (Bill Condon, 2016), de Prudence et Bélisaire Beresford (Catherine Frot et André Dussollier) dans "Associés contre le crime" (Pascal Thomas, 2012). Autant d’enquêteurs incapables de rester tranquilles une fois passé l’âge des péripéties.
De même, citons dans un registre autrement plus tragique l’inspecteur Jerry Black (Jack Nicholson), personnage ambigu empêtré dans une dernière affaire inextricable dans "The Pledge" (Sean Penn, 2001). À quelques minutes de la retraite, tout s’effondre pour le protagoniste. De l’homme au-dessus de tout soupçon au potentiel coupable, la frontière est décidément ténue.
Enfin, l’un des metteurs en scène les plus fascinés par la question de la vieillesse, d’une certaine façon à l’image du Bergman des "Fraises sauvages" (1957), n’est autre que Clint Eastwood. Obsédé par le temps qui s’écoule et ses affres, le metteur en scène avait déjà notamment exploré le sujet via "Impitoyable" (1992) et "Space Cowboys" (2000). Mais c’est plus spécifiquement dans le polar avec "Gran Torino" (2008) et "La Mule" (2018) qu’il s’en empare avec le plus de sensibilité.
D’un côté l’inflexible vétéran de la guerre de Corée Walt Kowalski, de l’autre le touchant Earl Stone, vieillard dos au mur. Sans en faire des êtres inhumains mais davantage des caractères difficiles en route vers la rédemption, Eastwood laisse lui aussi la question de leur responsabilité ouverte – probablement parce qu’il s’agit d’un autoportrait. Une chose est sûre, le moment pour les seniors du cinéma de se dorer tranquillement la pilule au soleil n’est pas encore venu.
Mais aussi...
Polar, de Jonas Akerlund, 2019
True Detective, saison 3, HBO, 2019
Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, de Felix Herngren, 2013
Le vieux qui ne voulait pas payer l’addition, de Felix Herngren, 2016
Arabesque, CBS, 1984-1996