- Réalisateurs : Baran bo Odar - Jantje Friese
- Acteurs : Louis Hofmann, Maja Schöne, Andreas Pietschmann
- Genre : Thriller, Science-fiction
- Nationalité : Allemand
- Chaîne TV : Netflix
- Date de sortie : 1er décembre 2017
- Durée : 10 épisodes de 60 minutes
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Certes, le substrat qualitatif de Dark tient à son indéniable beauté formelle - intérieurs crépusculaires, paysages pluvieux saisis dans leur étrangeté grisâtre, variété des plans -, ainsi qu’à ses influences picturales et photographiques qui convoquent à la fois Hopper et Crewdson - pour dire la solitude des personnages disséminés en quatre familles, à la recherche d’un puzzle dont ils seraient les pièces.
Mais bien plus qu’une série esthétisante sur les fameux "trous de ver", tant de fois exploités par les récits et les films de science fiction, Dark constitue une formidable relecture des mythes antiques, traversée par de constants effets de catharsis, adossés aux thématiques les plus invariantes des récits fondateurs : la recherche des origines, les interdits anthropologiques, la transgression de ces interdits et l’effroi subséquent que des personnages, conformes à une tradition aristotélicienne de la tragédie incarnent, le récit accommodant son propos à des peurs plus contemporaines (celle du nucléaire que cristallise la centrale de Winden occupe une place de plus en plus prépondérante, d’autant plus spectaculaire lorsque le flashback projette le spectateur, jusqu’à l’année fondatrice, 1953).
Un pas si joyeux bazar
La prégnance de la généalogie, des récits fondateurs de la culture gréco-latine aux romans tragiques de Zola, est un invariant mythologique que respecte Dark, série profuse en personnages qui requiert une attention constante, d’autant qu’à ces données complexes s’ajoute une temporalité à front renversé, futur et passé s’influençant de manière diaboliquement réciproque. La saga de Winden s’écarte d’une linéarité propre aux récits mythologiques, qui ne sauraient déterminer des conséquences qu’à l’aune de causes avérées. Ainsi, c’est parce qu’il a été abandonné par ses parents biologiques qu’Oedipe, à la recherche de ses origines, ne se satisfait pas d’être simplement le fils adoptif de Polybe et Mérope, et retourne à Thèbes, accomplissant en chemin le premier acte de la tragédie annoncée par l’oracle de Delphes (le meurtre du roi Laïos, son père, un parfait inconnu pour lui). Parcourant le chemin inverse, Jonas Kahnwald retourne aux prémices de la tragédie, pour en éviter l’accomplissement, dans un saut analeptique qui le transporte en 1986. Mais la vertigineuse perspective qu’ouvre la série est celle d’une fatalité implacable, consubstantielle à la notion de temporalité : agir sur le passé de ses potentiels parents, c’est déterminer leur existence dont on sera le fruit. Empêcher leur rencontre consiste à s’effacer dans le futur. Prenant acte de son impuissance, le jeune adolescent rejoindra son présent hanté par le suicide de son géniteur, lui-même perdu dans sa double identité (Mikkel/Michaël), sur laquelle nous n’en dirons pas plus, sinon que l’individu, déchiré par deux temporalités, doit s’arracher au vertige qui guette le spectateur, d’une manière radicale, ouvrant in medias res le premier épisode.
La traversée du labyrinthe
Par ailleurs, on sait quelle fonction symbolique revêt le labyrinthe, dès lors que ceux qui l’explorent sont ceux dont l’identité paraît la plus fragile : Ulrich le policier, au si lourd passé, recherche son fils, mais il doit aussi, à la manière du héros Thésée guidé par le fil d’Ariane, se mesurer à un monstre qui n’a certes pas, dans la série Dark, la consistance qu’on lui connaît, celle d’un Minotaure ou de n’importe quel avatar. On l’a vu : chaque personnage ayant à affronter un secret, le voyage dans les méandres de la grotte, sorte de projection contemporaine du dédale de Cnossos, est une manière de retourner dans une matrice à laquelle on donnera une consistance psychanalytique : la traversée d’un ventre maternel, pour renaître sous une autre forme, nanti d’une avance narrative considérable sur n’importe quel personnage de l’époque où l’on se trouve, mais aussi piégé par le fantasme de reconfigurer les événements, dans une révolte quasiment pirandellienne, propre à des personnages de fiction.
Au cours de ce long voyage obscur, fascinante progression que le spectateur suit, à l’affût du moindre bruit signifiant, de la moindre bifurcation fautive, de la moindre porte close, le fil d’Ariane existe sans que le personnage adjuvant donne à cette mission une consistance sentimentale : au bout du parcours, aucune promesse d’union maritale, car ce n’est absolument pas l’actualité de Jonas ou d’Ulrich, bien seuls à leur façon : ainsi, le premier vit d’abord dans la position du supplanté (sa petite amie sort avec son pote), avant de s’apercevoir que, par un effet diabolique du destin, ladite Martha n’est autre... que sa tante ! Difficile, là encore, de ne pas voir, dans cet imbroglio, des invariants de la mythologie qui nous ont abondamment servis en transgressions familiales, le parricide, l’inceste, l’infanticide, le fratricide, le matricide se tenant joyeusement la main dans une ronde de l’horreur. Chez le jeune protagoniste, la surprise se transmue en colère que cristallise sa remarque de l’épisode 9, presque comique, si l’on ne savait quelle succession de détresses profile le douloureux constat : "J’ai une grand-mère qui est proviseur de mon lycée. Son mari qui couche avec ma mère cherche son fils qui est mon père".
La boussole perd le nord
Affolant les aiguilles de la boussole, la première saison de Dark revisite avec bonheur tous les invariants des mythes gréco-latins, en les actualisant dans un environnement aux problématiques contemporaines, où les secrets de famille, toujours fertiles en histoires passionnantes, côtoient des préoccupations infiniment plus larges que le seul périmètre de Winden : ainsi, l’inquiétude écologique prend la forme d’un discours aux relents collapsologiques. La menace constante d’une disparition de l’humanité ne s’écarte pas tant des mythes : la petite ville où tout le monde se connaît est certes moins glorieuse que l’Atlantide. Mais il se pourrait bien qu’à sa façon, elle devienne un modèle dont on pourrait décliner l’histoire à l’infini.
Alex-Mot-à-Mots 18 novembre 2022
[Analyse] Dark - Saison 1 : des héros rongés par les mythes
La première saison était passionnante : les personnages, l’ambiance, l’histoire.
Mais l’histoire se compliquant de plus en plus, la série perd malheureusement de son intérêt.
Pour les fan de SF.