- Auteurs : James Ellroy, François Thomazeau
- Editeur : Plon
Les dessous de Marseille Confidential dévoilés !
Bepolar : Marseille Confidential est paru en mars dernier aux éditions Plon. Comment est né ce roman ?
François Thomazeau : En mai 2015, James Ellroy est venu à Marseille pour la promotion de son dernier roman, Perfidia. Comme je suis également traducteur, le libraire qui l’accueillait m’a demandé de venir à l’aéroport avec lui pour le chercher et l’accompagner pendant son séjour s’il avait besoin d’une sorte de guide local. Ellroy n’avait certes pas besoin de chaperon, mais j’ai découvert un homme attachant et très drôle, souvent au troisième degré. Dans le cours de la discussion, il m’a lancé que s’il était Marseillais, il aurait écrit Marseille Confidential. Je l’ai pris comme un défi personnel. Un mois plus tard, alors que je calais sur un autre projet, j’ai décidé de relever le défi et le roman est venu presque d’un jet. En juillet, j’ai reçu un coup de fil de Marc Fernandez, qui venait de mettre fin à l’aventure d’Alibis et qui m’a annoncé qu’il lançait une collection de noir chez Plon. Je lui ai envoyé le texte. Et voilà !
Bepolar : Quel est votre lien avec cette ville et qu’est-ce qui vous intéresse en elle ? Qu’est-ce qui en fait sa particularité ?
François Thomazeau : Mon lien avec cette ville est familial. J’y suis arrivé à l’âge de quatre ans et j’y ai grandi, vécu toutes ces premières fois qui nourrissent l’imaginaire de l’enfance, puis de l’adolescence. Je n’ai donc aucun regard objectif sur elle. Je ne l’aime même pas vraiment. La question ne se pose pas ainsi. C’est juste mon environnement naturel depuis de très longues années, même si j’ai passé pas mal de temps en Angleterre ou à Paris. Ce qui m’intéresse en elle, c’est qu’elle est insaisissable. J’ai écrit en 2013 un roman Marseille, une biographie (Stock), où je posais le postulat que Marseille se planquait dans un quartier paumé, comme un voyou en cavale. C’est une ville qui présente au monde une jolie façade de clichés (l’OM, le pastis, les kalachnikov) pour mieux dissimuler ce qu’elle est. En tant que telle, et parce que c’est un port donc un lieu mouvant, c’est un merveilleux personnage de roman noir, qui ne ressemble à aucune ville de France. Impossible de tourner un Chabrol ici, les types humains sont différents.
Bepolar : Marseille Confidential, c’est aussi l’univers de la mafia et des villes en plein développement aux bas-fonds peu fréquentables. Est-ce qu’il y a un plaisir à se frotter à ce genre d’ambiance ?
François Thomazeau : Les spécialistes vous diront que ce n’est pas vraiment la mafia puisque les Siciliens ne se sont jamais trop approchés de Marseille, même s’il y a des liens entre réseaux criminels. Je ne sais pas s’il y a un plaisir à se frotter à ça. Bien sûr, ça véhicule tout un imaginaire de borsalinos et de costumes croisés, de filles faciles et de chnouf, de tractions avant et de casses spectaculaires. Mais à Marseille en 1936, c’était la réalité quotidienne. Les voyous contrôlaient effectivement la ville dans une large mesure et cela reste une ville dans laquelle la figure du gangster reste très présente dans l’imaginaire. C’était donc inévitable de s’y frotter, d’autant que, bizarrement, l’histoire de la collusion entre les milieux politiques et le Milieu tout court a finalement été assez peu traité sur le mode romanesque.
Bepolar : Nous sommes en 1936, nous sommes à la veille de la Seconde Mondiale. Le Monde et les sociétés entrent en ébullition. Pourquoi avoir choisi cette période comme cadre de votre intrigue ?
François Thomazeau : Je voulais raconter l’émergence de ce système politico-mafieux et clientéliste qui est hélas encore très présent dans la vie politique marseillaise (et au delà !), montrer aussi comment la corruption et le détournement de fonds publics via le BTP est une vieille histoire qui a peut-être été inventée à Marseille dans les année 20 et 30. Dans mon idée, ce roman est le premier tome d’une trilogie qui se poursuivra pendant la Guerre et dans les années 50 jusqu’à la Guerre d’Indochine parce que tout est lié. Ce sont ces années qui ont façonné ce que nous sommes aujourd’hui, ce monde qui est en train d’éclater. Bien sûr, j’ai situé cette intrigue en 1936 parce que c’est une année clef du XXe siècle, peut-être l’année de la bascule et que j’estime – mais je ne suis pas le seul – que les années 30 ressemblent aux années que nous vivons, c’est-à-dire des années qui précèdent un conflit mondial. Tout est en place aujourd’hui pour revivre les mêmes choses : tensions sociales extrêmes, montée des nationalismes et des populismes, fin d’un système politico-économique en bout de course. Arriverons-nous à nous en sortir sans une déflagration violente ? Je n’ai pas la réponse, mais il me semblait qu’en analysant les mécanismes historiques, on pouvait sinon évier le pire, du moins s’y préparer.
Bepolar : Loin d’être manichéen, ce livre est une histoire de flics qui « tentent chaque jour de rafistoler la frontière du bien et du mal »… Est-ce difficile de nuancer ? De créer des personnages complexes ni bons, ni méchants ?
François Thomazeau : Ça a toujours été mon credo en tant qu’auteur de polar. Pour moi, il n’y a ni blanc, ni noir, mais des nuances de gris, probablement bien plus de cinquante ! Et on me l’a souvent reproché. Mes salopards sont des êtres humains et les « bons » de mes romans ont de nombreux travers. Je pense que l’humanité est ainsi faite. C’est seulement dans les situations de crise extrême que l’on bascule d’un côté ou de l’autre. À Marseille, la frontière est plus difficile à cerner, mais en étudiant les années 30, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de hasard. À de très rares exceptions les salopards de l’Occupation étaient déjà des salopards en 1936 et les héros ne sont pas le fruit du hasard, mais d’un engagement.
Bepolar : A la base, ce roman était un défi lancé par James Ellroy. Si vous ne l’aviez pas eu, auriez-vous, un jour, écrit sur Marseille ?
François Thomazeau : J’ai déjà écrit des dizaines de livres sur Marseille (la série des Schram & Guigou Rmistes justiciers parus en Librio Noir dans les années 2000, d’autres romans parus chez l’Ecailler du Sud ou l’Archipel, et même des guides et des livres d’histoire). Mais je crois que sans le défi d’Ellroy, je n’aurais pas réécrit sur Marseille, un sujet qui me lasse un peu.
Bepolar : Et maintenant, qu’est-ce qui vous semble le plus terrible ? Los Angeles ou Marseille ?
François Thomazeau : Je pense que ces deux villes n’ont rien à voir si ce n’est un front de mer, un amour immodéré de la bagnole et les initiales de Marseille posées sur une colline pour faire comme à Hollywood. Los Angeles est une nébuleuse interminable, dix ou vingt fois plus grande que Marseille, qui a un côté petite ville de province. Peut-être ce qui les rassemble est leur côté éclaté. Marseille est un conglomérat de communautés ethniques, culturelles, sociales, qui cohabitent sans vraiment vire ensemble. Il y a un peu de ça aussi à Los Angeles.
Bepolar : Avez-vous travaillé avec James Ellroy pour ce roman ? L’a-t-il lu ?
François Thomazeau : Absolument pas. Quand la parution du bouquin approchait, mon éditeur voulait à tout prix une préface d’Ellroy, pour des raisons commerciales évidentes. Impossible de le joindre par les relais habituels. Et puis il se trouve que Marc Fernandez est tombé sur lui lors d’un grand festival de noir à Barcelone et lui a raconté comment j’avais relevé le défi. Ellroy s’est alors exclamé « Fucking Great ! » et a accepté que cette exclamation figure en bandeau sur le livre, d’où le bandeau « génial » qui y est accolé. Mais il ne l’a pas lu, ne le lira pas et s’en contrefiche. Je ne pense pas qu’Ellroy s’intéresse vraiment à la production de ses confrères. Il est trop plongé dans son propre univers.
Bepolar : Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
François Thomazeau : Oh mon Dieu. J’ai toujours trente projets à la fois. J’ai traduit un thriller irlandais qui sort à la rentrée chez Hugo, Irrespirable, qui se passe dans les milieux SM à Dublin. Si Marseille Confidential se vend assez, j’écrirai la suite. J’ai aussi un polar tragicomique sorti en avril qui poursuit son chemin chez Au delà du raisonnable : La fille au caoutchouc. Toujours en librairie sous ma plume vous trouverez un bouquin sur la discographie des Who, The Who Cover (éditions du Layeur) et une Histoire de la Coupe du monde de football pour les Nuls (First) tout à fait de saison. Sans compter un guide des bistrots de Paris (Au vrai zinc de Paris) et un guide de balades à Marseille (Le guide du promeneur de Marseille), tous les deux aux éditions Parigramme/Les Beaux Jours. Je chapeaute un énorme ouvrage collectif à paraître aux éditions La Découverte en 2019 : Histoire secrète du sport, qui me prend la tête et du temps… J’ai de beaux projets de BD et j’espère faire une ou deux traductions parce que j’y prends de plus en plus de plaisir. Je penserai à un nouveau roman après tout ça.