- Auteur : Sophie Loubière
- Editeur : Fleuve éditions
Avec Cinq cartes brulées, Sophie Loubière nous plonge dans un thriller psychologique autour d’un frère harcelant sa sœur sans répis... Un livre très personnel pour son autrice... Glaçant...
BePolar : Comment est née l’idée de ce roman ?
Sophie Loubière : Souvent, mes livres ont pour point de départ un fait divers. Une affaire qui derrière des apparences parfois banales, révèlent un potentiel d’étude sociologique et comportementale. Un ami avocat qui connaît mon intérêt pour ce genre d’histoires, en particulier celles mettant en scène des gens ordinaires pour les plonger dans des situations hors du commun, m’a un jour invité à déjeuner pour me parler de cette affaire survenue en Lorraine en 2012 dont il était certain que je ferais quelque chose. Il est intéressant d’observer de près ces faits divers relatés à la hâte par un journaliste auquel on vient de communiquer les premiers éléments et de voir comment, en quelques articles, les choses évoluent. D’une simple altercation qui aurait mal tourné dans un hôtel, se révèle un drame glaçant, déroutant. Dans cette affaire, les vies d’un homme et d’une femme auront basculé en l’espace de quelques minutes.
Le roman va s’attacher à raconter l’avant, remonter bien des années en arrière pour avoir tous les éléments en perspective et mieux comprendre de quelle manière les choses se sont enchaînées. Ce roman, réunit tout ce qui n’a jamais été dit dans la presse. C’est la partie immergée de l’iceberg.
BePolar : Il parle notamment d’une relation frère / soeur difficile avec des
humiliations et du harcèlement. Pourquoi avez-vous souhaité aborder ce thème ?
Sophie Loubière : C’est un thème qui me concerne personnellement. C’est aussi un élément fort qui permet de nourrir le passé de mon personnage principal, Laurence, de présenter son profil particulier de « petite victime » désignée. Jeux dangereux, provocations, humiliations, moqueries, dénigrement, mauvaises blagues, mon frère faisait peser sur la petite fille que j’étais, et cela jusqu’à l’âge de 10 ans, un sentiment d’oppression. Je n’étais pas capable de comprendre pourquoi il me traitait ainsi. J’ai donc grandi en sachant que j’étais coupable de quelque chose, mais de quoi, je l’ignorais. Cela a défini ma façon de me comporter avec les autres, cette manière que j’ai encore parfois d’être sur la défensive, d’agir avec un excès de prudence, le doute rivé au corps, et cela a forgé en manque cruel de confiance en moi... Mes parents n’ont pas saisi l’ampleur de ce qui se jouait-là. Pour eux et notre entourage, ce n’était que chamailleries, jeux innocents. Mon frère était un magnifique garçon blond au visage d’ange capable d’émouvoir jusqu’à sa petite sœur. Un petit bourreau en culottes courte !
Il faut en finir avec l’idée que les jeux des enfants entraînants cris et pleurs sont innocents et qu’un petit garçon ou une petite fille puisse prendre plaisir à hurler de colère ou pleurer sans raison. Il y a toujours de la souffrance lorsque l’émotion s’exprime avec force. Même si parfois, cela peut être une manière de manipuler les autres, de les apitoyer, de gagner leur compassion. Il ne faut pas non plus perdre cela de vu dans le roman.
BePolar : Comment pourriez-vous nous présenter votre héroïne Laurence ?
Sophie Loubière : C’est une enfant presque comme les autres, un peu boulotte, trop imaginative et sensible, une fillette que sa mère voudrait à tout prix faire entrer au chausse-pied dans un tutu, une sœurette que son frère aîné ridiculise, et une petite fille très amoureuse de son papa qui le lui rend bien, jusqu’à ce que dans cette famille quelque chose dérape, que quelqu’un aille trop loin. C’est dans cette faille que l’eau s’engouffre, et que Laurence devient une ado renfermée, qui enfle, enfle, jusqu’à ce que le sport de compétition vienne à son secours et lui permette de tirer parti de cette armure de chair et de muscle. Jusqu’à ce que son succès et ses médailles retombent en pluie brûlante autour d’elle, car rien, surtout pas le bonheur, n’est jamais acquis.
BePolar : C’est aussi un roman sur le corps, sur les addictions alimentaires qui
peuvent être un refuge et sur la lutte de votre héroïne contre son
poids. Vous aviez envie d’évoquer la manière dont les soucis se voient
parfois physiquement ?
Sophie Loubière : Notre corps est un marqueur. Toute notre histoire est inscrite en lui. Un ostéopathe, récemment, en manipulant ma tête a pu m’indiquer la position exacte de mon crâne dans le ventre de ma mère juste avant l’accouchement. C’est fascinant. Quand tout va bien dans la vie, généralement, notre corps va bien. Mais il suffit que les ennuis commencent et nous tombons malade, grossissons ou maigrissons. Écouter son corps, ce qu’il exprime par ses maux, sa faim ou son manque d’appétit, est essentiel à la compréhension de l’être que nous sommes.
Dans ce roman, il ne s’agit pas de faire le portrait d’une femme en lutte contre son poids mais bien d’une obésité assumée, qui traduit son état d’esprit, protège ou isole Laurence des autres. Une croupière assise derrière sa table, qu’elle soit maigre ou grosse, ne sera qu’un distributeur de cartes et de jetons pour le joueur installé face à elle. L’idée que l’on puisse peser plus de 100 kilos et être invisible aux yeux des autres est ce que j’ai essayé de montrer dans le livre. Et si Laurence prend conscience du danger que son surpoids représente pour sa santé le jour où un médecin se penche sur elle, c’est parce soudain, elle existe dans son regard ; cette empathie qu’il a pour elle, peu de gens en font preuve. Et si elle prend une décision qui va tout changer, c’est parce qu’elle n’a plus le choix.
BePolar : Une chronique évoque un "sommet de maîtrise", notamment dans
votre style. Comment travaillez-vous votre écriture ?
Sophie Loubière : Le contexte particulier d’un livre dicte le style, en général. Ensuite, c’est une question de musicalité. C’est en relisant le manuscrit à voix haute que je peux savoir si le livre a la bonne tonalité. J’ai grandi avec un piano et composé très tôt. Un livre, c’est une partition, avec des crescendos, des allegros, des motifs qui parfois se répètent ou viennent faire échos pour finir avec tout l’orchestre, ou une simple flûte, quelques notes de saxo ou d’harmonica. Si le lecteur lit trop vite, saute des parties ou s’attend à du Berlioz (ou du Dizzy Gillespie) alors que j’écris du Ravel (ou du Bill Evans), alors il se peut qu’il ne trouve pas l’oeuvre à son goût ou qu’elle lui paraisse fade.
J’écris en écoutant une playlist de musiques choisies spécifiquement pour le roman (La playlist de Cinq cartes brûlées est sur Spotify et porte le titre du livre). Elle donne la juste teinte du climat d’une séquence, génère de l’émotion, du lyrisme parfois, elle assombrit ou éclaire. J’avance pas à pas, relisant le travail écrit la veille, ce qui parfois dure toute une journée avant que je passe enfin à la suite. Ce processus peut durer des mois et engendrer entre 30 et 50 versions. Mais je laisse toujours passer des choses qui me sautent aux yeux au moment des corrections sur épreuve. Dyslexique, je suis dans un combat permanent avec l’expression écrite. Une vraie torture. Un moindre mal si on veut marquer son époque avec un ouvrage capable de traverser les années et susceptible un jour, d’être proposé par un professeur sur une liste de livres à lire à ses élèves - un noble objectif pour un auteur, me semble-t-il. J’ai un grand respect pour mes professeurs de français sans lesquels je n’aurais jamais osé prendre le chemin de l’écriture, honteuse de mes lacunes, de mes fautes d’orthographes. Ils m’ont appris avant l’heure que ce qui importe, c’est la puissance du geste et non la trace écrite en elle-même. Ils m’ont aussi permis de découvrir la poésie, le surréalisme : Vian, Queneau, Prévert, Pessoa, Hugo et les autres m’ont autorisé tous les jeux, toutes les associations possibles avec le langage et les mots. Ils m’ont donné des ailes.
BePolar : Votre fiche wikipédia nous apprend que vous travaillez aussi en tant
que journaliste et productrice radio. Est-ce que ces métiers du son et
de la voix influencent votre écriture ?
Sophie Loubière : La radio fait partie de ma vie depuis l’âge de 15 ans. Et mes premières émissions et chroniques étaient déjà dédiées au cinéma et à la fiction. Tout est lié. Sans la radio, je ne serais pas devenue écrivain. Mon imaginaire s’est forgé là, dans ce foisonnement d’expériences de journaliste-pigiste et critique de film, de comédienne et de musicienne. Je n’aurais pas écrit de fictions radiophoniques ou élaboré ces concepts d’émission où je mêlais musique, littérature et cinéma, comme Dernier parking avant la plage sur France Inter. Même si je ne fais plus d’antenne depuis 2010, le micro n’est jamais loin : j’enregistre régulièrement des livres-audio pour Audible ou Lizzie. Et lire les autres est le plus grands des enseignements.
BePolar : Quand pourrons-nous vous voir en dédicace ?
Sophie Loubière : Après le lancement à Paris, à la librairie Le Divan, je vais bouger un peu partout en France. Voici quelques dates à venir : Le 21/01 à Gagny (librairie Folie D’encres), le 25/01 à Nancy (Hall du Livre), Le 30 au Havre (La Galerne), le 28/02 à Metz (Hisler-Even) et le 29 à Quimper (Librairie Ravy). Je serai également au festival Bloody Fleury en Janvier, à Auvers Noir, au salon du livre de Chenôve (près de Dijon) et aux Mines Noires en Février, au salon du livre de Bruxelles, de Paris, de Rennes en mars et à Quais du polar en Avril. Vous trouverez d’autres dates sur ma page facebook (Sophie Loubière officiel).
PS : pour plus d’infos, n’hésitez pas à vous rendre sur le blog de Sophie Loubière. Vous y trouverez des infos supplémentaires sur le roman.