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Toutes condamnées à l’obsolescence ? Entretien avec Sophie Loubière pour Obsolète !

Bepolar : Du polar à la SF... Comment est née l’idée de ce nouveau roman ?
Sophie Loubière : Le déclencheur, c’est Yann Moix, lorsqu’il déclare en 2019 qu’à cinquante ans une femme est vieille, que son corps « n’est pas extraordinaire du tout » et qu’à ses yeux, « elle est invisible ». Cette sortie qui lui vaut de ne plus vendre de livres (les romans sont majoritairement lus par des femmes !) méritait une réponse à la hauteur de sa violence. Quoi de mieux que d’aller dans son sens et d’imaginer un monde dans lequel, passés cinquante ans, les femmes sont retirées de leur foyer pour être remplacées par des femmes plus jeunes ? La dystopie s’est alors imposée à moi.

Le roman noir et la dystopie sont des genres peu éloignés dans la mesure où il s’agit pour l’un comme pour l’autre d’explorer les angles morts de la société actuelle ou/et future. La romancière P.D. James a elle aussi franchi le pas lorsqu’en 1992, elle lâche le polar pour écrire Les fils de l’homme, un roman d’anticipation dans lequel elle imagine un monde où l’humanité est devenue stérile (sujet également traité dans Obsolète).

Bepolar : Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire sur l’obsolescence des femmes dans notre société d’aujourd’hui ?
Sophie Loubière : Ma propre expérience. Dans la peau d’une femme de plus de cinquante ans, j’ai pu observer les changements qui s’opèrent en moi, qu’ils soient physiques ou psychologiques. Ce qui se joue à cette étape de la vie et si particulier, si brutal et insidieux… Alors que nous sommes au top de notre carrière, fortes de tant d’expériences, libérées pour certaines de toutes charges de famille, nous ressentons clairement une modification du regard des autres sur notre personne. Même si nous ne ressemblons pas aux femmes des précédentes générations longtemps inféodées à leurs époux et formatées par un système patriarchal, la société dans son ensemble nous assimile toujours à des préretraitées au contraire des hommes qui bénéficient de dix à vingt ans de répit. Leurs rides, leurs cheveux blancs et leur prise de poids leur donnent une stature professionnelle, ajoutent à leurs « charmes », font d’eux des Sugar Daddy. Nous sommes actives, nous occupons des fonctions équivalentes, nous avons une expérience de vingt à trente années, mais nos CV vont direct à la poubelle. Il y a truc qui ne va pas. Une profonde injustice.

Aborder la place de la femme de plus de cinquante ans dans une dystopie, c’est aussi aller à l’encontre des clichés que l’on trouve dans ce genre littéraire où la femme est presque systématiquement victimisée, réduite à l’état d’objet, de ventre à féconder, de guerrière vengeresse et sexy ou de femme puissante perverse et manipulatrice. Aussi incroyable que cela puisse paraître, la femme de cinquante ans n’existe pas dans le futur, comme je l’explique sur mon blog.

Bepolar : C’est un monde sous contrôle en 2224, notamment au niveau de l’écologie, mais aussi un monde terrifiant dans lequel les femmes de cinquante ans doivent "laisser la place" à des plus jeunes. L’anticipation te semblait une bon moyen d’évoquer ce sujet de société ?
Sophie Loubière : C’est plutôt un monde résilient et vertueux où l’humain a enfin compris qu’il faisait partie d’un tout : plutôt que de vouloir sans cesse imposer ses dogmes aux autres, accaparer des territoires, en piller les ressources et les polluer, il s’est enfin décidé à être moins con et à vivre en harmonie avec ce qui l’entoure, à sanctuariser les forêts qu’il n’a pas encore détruites et à s’affranchir de toutes raisons économiques, politiques et religieuses de se foutre sur la gueule. Le problème, c’est que cette prise de conscience est trop tardive. Dans deux siècles, l’humanité sera confrontée à un terrible problème de fertilité qui a déjà commencé : la féminisation des fœtus liée aux perturbateurs endocriniens. Je consacre un article sur mon blog à ce sujet.

L’humanité est donc en voie d’extinction, en 2224. Le peu d’hommes non stériles doit être ventilé auprès des femmes en capacité de faire des enfants. D’où cette idée du « grand recyclage » des mamans cinquantenaires qui acceptent de quitter leur famille et de laisser la place à une autre plus jeune et fertile, pour se rendre au Domaine des Hautes Plaines où un autre avenir les attend.

Bepolar : Rachel va devoir préparer sa valise et quitter mari et enfants. Qui est-elle ? Comment tu pourrais nous la présenter ? Et comment débute le roman ?
Sophie Loubière : Rachel est coiffeuse. C’est une femme « normale » à laquelle on peut facilement s’identifier. Elle a autour de la cinquantaine et vient de recevoir son avis de retrait auquel elle est préparée depuis l’enfance, comme ses camarades Hasna, Odette et Maud. Elle a l’expérience de toute une vie, les connaissances d’une personne qui reçoit chaque jour les confidences de centaines de clients, et un père qui en est à son troisième couple à 80 ans passés. Rachel a deux enfants : une fille de 24 ans, Sky, et un fils de 14 ans, Néo. Elle est mariée à un Déplacé venu d’Ecosse, Keen Taylor, un archéologue en charge du musée de la Communauté des villages de la Terre des Deux Caps, que je situe sur la Côte d’Opale. Le quotidien de tout ce petit monde va être bousculé par la découverte de trois petites filles mortes dans une grotte sur la lande. Keen Taylor pense qu’il pourrait s’agir d’un acte criminel. Or, plus aucun meurtre n’a été commis depuis un siècle… et il n’y a plus ni médecins légistes ni flics pour enquêter.

Bepolar : C’est un monde extrêmement réfléchi. Tu nous décris une société du contrôle face aux bouleversements climatiques, depuis la forme des maisons pour résister aux vents jusqu’au choix des plantes et de l’organisation sociale. Comment est-ce que tu l’as construit ?
Sophie Loubière : Sur la base d’une documentation amassée ces dernières années. Elle est constitutive de l’élaboration de l’intrigue. Sociologie, écologie, climatologie, ethnologie et historiographie sont associés dans la construction de ce monde futur puisque tout est lié. Prenons par exemple le réarmement démographique cher à notre président : on ne peut traiter ce sujet sans aborder ceux de la religion et de la fertilité. On ne peut parler fertilité sans penser pollution et perturbateurs endocriniens. On ne peut parler polluants sans penser écologie. On ne peut penser écologie sans évoquer le réchauffement climatique… etc. Une vision globale des choses permet de construire un récit qui tient la route et fait sens. Un récit plus représentatif de l’avenir. Et une gouvernance mondiale, comme je l’imagine dans Obsolète, au regard de tous ces aspects, me semble la seule voie possible pour sortir des conflits qui ébranlent la planète.

Bepolar : Est-ce que c’était aussi une manière de faire une sorte de mise en garde, de dire que si on ne s’occupe pas d’écologie aujourd’hui, on risque des régimes beaucoup plus durs ?
Sophie Loubière : C’est évident même si au départ, ce n’était pas le sujet du livre. Mais très vite, ce bouquin est devenu un « petit manuel de savoir quoi faire pour commencer à sauver le monde ». Des solutions techniques, technologiques, scientifiques et écologiques y sont réunies. Agriculture, habitat, gestion de l’eau, mais aussi éducation, culture artistique et sportive, mixité, tout participe de bien-être et du bien vivre ensemble. Nous sommes un tout, un brassage de semences et de folklores. Les seuls combats qui vaillent sont à mener contre le réchauffement climatique que nous avons engendré, et contre la pollution chimique et plasturgique qui impacte tous les organismes vivants. C’est ce que j’ai compris au fil de l’écriture.

Bepolar : Un petit mot sur l’I.A. Dans ton roman, dans deux siècles, elle est partout. Comment as-tu travaillé le futur de l’IA ? Comment tu vois son évolution ?
Sophie Loubière : Maya, mon IA, est plutôt sympa. Elle est présente au sein de tous les foyers. Une sorte d’Alexia de demain, capable d’accompagner un humain dès sa naissance. Elle est à l’opposé des IA campées dans les récits ou films d’anticipation habituels. Elle est plutôt cool et bienveillante, attachée à soutenir, aider, soulager une personne à chaque étape de sa vie. Les enfants lui posent les questions qui leur passent par la tête, elle génère des projections magiques, diffuse de la musique, on plaisante avec vous… Elle a aussi une mission délicate : faire admettre à tous et à toutes la nécessité du Grand Recyclage. Enfin, elle détient le savoir universel, l’histoire de toute l’humanité et conserve une partie des données médicales de chacun, dans la limite des capacités de stockage de données de ses serveurs. Car en 2224, on aura beaucoup limité notre empreinte carbone et délaissé l’hightech pour la slowtech, soit une usage plus raisonné de la technologie.

L’IA, selon moi, est un outil formidable que nous devons apprendre à maîtriser et veiller à mettre au service de l’humanité et de son bien-être, qu’il s’agisse de recherches scientifiques ou de créativité.

Bepolar : Le livre est sorti il y a quelques semaines mois. Il est très différent de ce que tu fais d’habitude. Comment s’est passé cette période ? As-tu été surprise de l’accueil qu’il reçoit ?
Sophie Loubière : Le thriller sanglant ou la dark romance sont en train de prendre le pas sur le roman noir. Et on rencontre un sérieux problème avec les sensitivity readers qui poussent les éditeurs à publier des livres formatés, simplifiés et standardisés dans le propos et le style. Difficile de croire au succès d’un livre de 500 pages ! Mais depuis sa parution en février, je constate un véritable engouement pour Obsolète, que ce soit dans la presse, les médias ou sur les réseaux sociaux. Les retours sont percutants, émouvants, élogieux.

Je crois que ce roman touche au cœur et à l’âme de celles et ceux qui se questionnent sur les valeurs essentielles de l’existence : notre capacité à vivre ensemble, à nous aimer, à nous soutenir, et à faire en sorte que nous puissions réfléchir à la possibilité de construire un autre avenir moins sombre que celui que nous promettent les dystopie, en général. Et je remercie ma maison d’édition Belfond noir ainsi qu’Olivia Castillon, mon attachée de presse, d’avoir ainsi porté (et de porter encore) ce livre et ses valeurs avec force conviction.

Bepolar : Quels sont tes projets ? Sur quoi travailles-tu ?
Sophie Loubière : Deux livres sur le feu : une novellisation d’un film de Wim Wenders et un roman noir dont le sujet est encore top secret pour l’instant. Mais une suite à Obsolète est déjà dans les tuyaux…

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