- Auteur : Arnaldur Indridason
- Editeur : Métailié
Du changement pour Arnaldur Indriðason ?
La parution de Passage des ombres (éditions Métailié) marque un nouveau tournant majeur dans la carrière littéraire du plus connu des auteurs islandais, Arnaldur Indriðason. Pour notre plus grand plaisir.
Bref résumé : Un vieil homme solitaire est retrouvé mort dans son lit. Il semble avoir été étouffé sous son oreiller. Dans ses tiroirs, des coupures de presse sur la découverte du corps d’une jeune couturière dans le passage des Ombres en 1944, pendant l’occupation américaine. Pourquoi cet ancien crime refait-il surface après tout ce temps ? La police a-t-elle arrêté un innocent ? Soixante ans plus tard, l’ex-inspecteur Konrad décide de mener une double enquête. Ce polar est construit avec grand talent autour de deux enquêtes entremêlées par-delà le temps, les situations, et le vécu des hommes.
Une nouvelle fois, le Reykjavikois marque une rupture qui pourra peut-être troubler ses plus fidèles lecteurs, une prise de risque qui est la marque fondamentale de ce grand auteur de polar maintenant reconnu à sa juste valeur.
Prise de risque ? Ce n’est pas ce qui caractérise les intrigues ou le style d’Indriðason, pourrait-on rétorquer. Et pourtant...
Un des pionniers du nouveau polar nordique
Indriðason, c’est l’un des pionniers du nouveau polar nordique, un de ceux qui ont les premiers fait la synthèse entre le polar scandinave « néo-classique », réputé pour son réalisme et sa rythmique... nordique (tutoiement, rythme relativement lent qui existe dans le quotidien des enquêtes, particulièrement dans les placides contrées septentrionales) et le polar « européen » ou « international » où l’action est sensiblement plus dynamique, plus « thriller », plus cinématographique.
En cela, l’Islandais est à la fois l’héritier du couple constitué par les Suédois Maj Sjöwall et Per Wahlöö, pionniers connus pour avoir influencé toute une génération de polardeux scandinaves (Henning Mankell ou Stieg Larsson entre autres, excusez du peu), de l’accélération du rythme de la narration observé ces dernières décennies, mais aussi d’un aspect visuel du récit toujours plus exacerbé, sous l’influence du cinéma et des séries TV.
C’est qu’Arnaldur a été à bonne école : il a 15 ans durant travaillé comme critique cinématographique, et il a sûrement été en première ligne dans la compréhension des mécanismes qui tiennent en haleine les spectateurs et donc les lecteurs, les « pratiques de consommation » des amateurs de polar étant en Islande comme ailleurs de plus en plus pluri-médias.
Indriðason séduit et innove dans ce nouveau roman
Et c’est là qu’Indriðason séduit et innove dans ce nouveau roman en changeant de personnage principal : exit Erlendur Sveinsson, héros de 14 enquêtes et chéri des fans, bonjour l’inspecteur Konrad. Un vrai risque auprès de son lectorat.
On pourrait rétorquer que ce n’est pas la première excursion de l’auteur en-dehors de son personnage principal ; c’est vrai, Passage des ombres est conçu comme le 3ème volet d’une trilogie à part, mais on serait prêt à parier qu’après lui on reverra l’inspecteur Konrad, et qu’Erlendur se fera plus rare.
Indriðason serait en cela fidèle aux valeurs d’écriture qu’il a déjà démontré, ainsi qu’à ses modèles : il est réaliste, et il ne peut que difficilement étirer la vie de son héros principal, dans le temps comme dans l’action de la paisible (en apparence tout du moins) Islande, et surtout il a toujours aimé la dualité. C’est donc tout naturellement qu’il va explorer une autre facette de la nature humaine auprès d’un personnage qui partage beaucoup avec Erlendur... mais qui est autre !
Également fasciné par la dualité temporelle (comment les événements et leur emprise temporelle agit différemment sur les individus et selon les époques), Passage des ombres fait brillamment le va-et-vient entre deux époques, deux contextes, deux façons d’appréhender le monde et de mener une enquête.
Avec Passage des ombres Indriðason vient encore à la lumière, tout en contraste.