- Réalisateur : Jérôme Bonnell
- Acteurs : Emmanuelle Devos, Antonin Chaussoy, Louise Chevillote, Jonathan Couzinié, India Hair
Initialement destinée au cinéma, la mini-série "Les Hautes herbes" intrigue par son mélange entre thriller et drame intimiste. Une réussite aussi troublante qu’atypique.
On entre dans la série "Les Hautes herbes" par deux voies : à travers le regard de Jules (Antonin Chaussoy), 10 ans, dont la mère accidentée se trouve dans le coma, et par le biais de celui d’Ève Merrieu (Emmanuelle Devos), quinquagénaire bourgeoise à la fois esseulée et volubile. Mutique et traumatisé par l’absence soudaine de sa mère, Jules jauge Lucille et Glenn, le couple qui s’occupe de lui en cet instant malheureux, d’un regard toujours scrutateur. Lucille est une jeune journaliste dont l’équilibre émotionnelle semble précaire, Glenn un ex policier assez ours et bouleversé depuis le décès de son père il y a un an. Tous ces protagonistes gravitent autour d’un village de Normandie en proie à des conflits sociaux, des antagonismes, et où tout le monde se connaît. Un jour, Ève Merrieu s’inquiète du départ soudain du beau Mounir Sefraoui, qu’elle a rencontré un jour où elle venait de tomber de son échelle en cueillant des pommes – quelque chose cloche alors déjà symboliquement au jardin d’Éden. Dès lors, rien ne va plus dans ce microcosme putride et les faux-semblants menacent de sortir au grand jour…
Le soleil de plomb qui s’abat sur les personnages donne la couleur de cette mini-série en 3 épisodes signée Jérôme Bonnell, cinéaste sensible notamment auteur du beau film "À trois on y va" (2014). Ses rayons tranchants sont ceux de la fatalité ou d’un enfer labyrinthique dont il faut trouver à tout prix la sortie. Thriller à combustion très lente, "Les Hautes herbes" (qu’il faudrait couper pour discerner le Bien du Mal) se pose comme une ample galerie de portraits de personnages, tous fascinants et hétéroclites. Tandis que le scénario prend d’abord la tournure d’un drame de l’enfance, d’un drame social ou encore d’un mélodrame, une intrigue de l’ordre du polar vient se glisser petit à petit, presque en toile de fond. Toujours fidèle à ses personnages, Jérôme Bonnell a le souci du détail et de la vraisemblance. Ni les rebondissements, ni cette contrainte programmatique de toujours garder le spectateur en haleine, ne viennent contrecarrer ce portrait croisé foisonnant qu’il détaille avec méticulosité minute après minute. Dans cette logique, le moindre personnage, même secondaire, bénéficie d’une écriture et d’une interprétation de haut vol.
Mais ce drame bucolique et polyphonique cache pourtant un thriller authentique. Il suffit de se plonger dans le regard ténébreux et insondable du petit Jules, seul à saisir réellement ce qui se trame en sous pente, pour comprendre que le diable se cache dans les détails. Pareil mélange entre tension psychologique et sentiments écorchés crée une atmosphère étrange. Un registre comique, dans la veine d’un Bruno Dumont, se superpose même parfois à cette équation déroutante et fascinante. Plus que la mise en scène pointilliste et le découpage des espaces volontairement confus et pas toujours évidents à raccorder (créateurs d’une tension), ce sont les comédiens qui impressionnent. Tous brillants et passionnants, ce sont eux font vivre "Les Hautes herbes" – mentions spéciales pour Emmanuelle Devos et India Hair. Rarement une mini-série n’aura photographié avec autant de justesse le monde tortueux et torturé du silence et des non-dits, et ce avec une telle économie de moyens.
La mini-série "Les Hautes herbes" est disponible sur Arte.