- Auteur : Céline Servat
- Editeur : M Plus
Bienvenu dans les Goulags de Sibérie. Gustave y cherche à lever le voile sur ses origines et ce faisant, Céline Servat nous entraine dans les enfers d’une dictature... On lui a posé quelques questions..
Bepolar : Comment est née l’idée de votre roman ?
Céline Servat : Norillag est le deuxième tome d’une trilogie. On peut le lire indépendamment d’Internato, le premier, mais il s’inscrit dans une série de romans sur les dictatures et les secrets de famille. L’idée m’est venue au départ avec Internato, car j’avais lu beaucoup de livres sur l’Argentine et je voulais mettre en exergue son rôle de terre d’accueil pour les nazis, fascistes et tortionnaires de tout ordre, qui étaient accueillis comme des héros et formés aux techniques de torture. Cette idée a fait son chemin et m’a inspirée la trilogie.
Bepolar : Qu’aviez-vous envie de faire ?
Céline Servat : Mon objectif était de m’appuyer sur l’histoire pour en faire un récit actuel. Norillag est un roman noir, il se base sur des faits réels et sa vocation est de faire réfléchir, tout en racontant une histoire rythmée, découpée en trois parties. Norillag est plus soft qu’Internato, ce n’est pas un thriller car je voulais montrer que l’on pouvait s’inscrire sur des recherches sur les origines, sans pour autant que cela se passe de façon violente. Le troisième, par contre, sera un vrai thriller.
Bepolar : Vous nous entrainez dans la période Stalinienne et ses Goulags en Sibérie. Pourquoi avoir choisi cette période ?
Céline Servat : J’ai choisi la Russie car je voulais aborder une dictature de gauche, alors que le premier et le troisième tome sont sur des dictatures de droite (Argentine et Espagne). C’était particulier pour moi, car l’idéologie du communisme, la question de l’égalité, de l’avancée sociale comme l’a connue la France sous le front populaire de Léon Blum, est une belle idéologie pour laquelle mon grand-père s’est battue, en Espagne. Mais les hommes ont corrompu cet idéal. Quand j’ai cherché dans quel camp de goulag situer l’action de Norillag, j’ai pensé à celui de Norilsk, non seulement pour les conditions de climat extrêmes, mais aussi en hommage à Caryl Ferey, auteur que j’admire, et à son livre, du nom de cette ville. (Il en a écrit un autre depuis).
La période Stalinienne jusqu’à la chute de l’URSS était assez proche dans le temps pour que mes personnages puissent y avoir vécu. Elle appelle aux souvenirs de certains lecteurs. A quinze ans, j’ai été marquée par la chute du mur de Berlin et j’ai voulu aussi inclure cette période si forte dans ce récit.
Bepolar : Et quelle a été la part de documentation ?
Céline Servat : Elle a été importante, surtout que je ne connaissais pas grand-chose à cette période, historiquement parlant, hormis ce que j’avais appris en cours. J’ai passé quatre mois à ne lire que des livres sur l’URSS, des témoignages et des romans historiques. J’avais besoin de me sentir légitime pour parler de ce contexte. J’ai cherché des historiens spécialistes de la Russie, pour valider mes écrits, mais plusieurs personnes m’ont fait faux bond. J’ai fini par le visionnage de trois heures de reportage sur les camps des goulags sur Arte, et quand j’ai vu que je maitrisais déjà tout le contenu, je me suis lancée dans l’écriture.
En parallèle, je me suis documentée sur l’addiction à l’héroïne, puis sur une certaine pathologie psychiatrique, l’état civil et les lois sur l’adoption, et j’ai déambulé via Google earth dans Paris, Norilsk et Berlin. Pour ces sujets, je me suis appuyée sur les conseils et la relecture de professionnels. J’avais besoin de leurs validations pour être certaine d’éviter les écueils.
Bepolar : Qui est Gustave, votre personnage principal ?
Céline Servat : Gustave est né dans Internato. Au départ, il était un adolescent peu sur de lui, écrasé par un père inaffectif et castrateur. Puis il a pris corps et s’est affirmé, mais toujours en douceur. Gustave est un cérébral, il n’a pas appris à dire ce qu’il ressent et peut être maladroit dans l’expression de ses doutes, de ses peurs. Pourtant il aime le rapport humain et veut être psychologue.
Bepolar : Et qui est Nada ?
Céline Servat : Si Gustave est la glace, tout du moins en surface, Nada est le feu. J’avais un peu l’image d’Esméralda dans Notre Dame de Paris quand je pensais à la fougue de ce personnage. Mais, à la différence du personnage de Victor Hugo, Nada n’est pas naïve et elle est habitée par la colère. Écorchée vive, elle mord avant d’être mordue. Elle se sert de cette hargne pour ne pas s’effondrer car elle est fragile, au fond d’elle. Ce qui la rend tour à tour attachante et insupportable.
Bepolar : On a déjà vu Gustave dans Internato. Quels liens avez-vous avec lui ?
Céline Servat : A l’heure où j’attaque le dernier tome de la trilogie, je m’aperçois que je vais devoir bientôt quitter Gustave et j’ai un petit pincement au cœur à cette idée. Je me suis attachée à ce garçon qui, en s’affirmant, a présenté des points communs avec mon fils. Si je pouvais échanger avec Gustave, je serai assez maternante, sans doute dans la réparation, car il a manqué de ce soutien dans son histoire. Ma profession d’assistante sociale, habituée à travailler avec des ados blessés, prendrait le dessus ! Et puis dans le trois, je ne vais pas lui simplifier l’existence…
Bepolar : Vous alternez les scènes entre le passé et le présent. Comment avez-vous construit votre roman ?
Céline Servat : Je l’ai construit de façon assez linéaire, à contrario d’Internato. Dans le premier, j’ai écrit toute l’histoire de Gustave, puis je me suis attaquée à celle de Gabriela. Pour Norillag, j’avais besoin de m’appuyer sur la première partie pour rédiger la suite. Cette première partie du roman est définie, pour moi, par la phrase du poème de Baudelaire (spleen et idéal) : « Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle ». Elle est nécessaire pour mettre en place la structure du roman et les motivations de leurs actes. La deuxième partie est, pour moi, le point fort du roman. C’est aussi celle que préfèrent beaucoup de lecteurs, malgré, ou peut-être à cause, de son orientation historique. La troisième est celle de l’action, de la résolution, des réponses. Les changements de temps m’ont permis d’appuyer ces trois axes. Quand j’écris un roman, j’ai mon plan détaillé en tête, mes personnages et la fin, avant de commencer l’écriture.
Bepolar : Comment avez-vous dosé l’ensemble pour que la partie historique ne prenne pas le pas sur l’enquête aujourd’hui ?
Céline Servat : C’était vraiment un point sur lequel j’ai été vigilante, à savoir, utiliser les faits historiques pour servir le récit, et non pour étaler mes connaissances, ce qui n’aurait aucun intérêt. Plusieurs lecteurs m’ont dit : d’habitude je n’aime pas l’histoire, mais là ce n’est pas de l’histoire « rébarbative ». Cela me rassure car c’était mon but. Dans la phase de recherche, il m’est arrivé de lire un livre de plus de 400 pages qui m’a donné de la documentation, en tout et pour tout, pour l’équivalent de deux lignes dans un chapitre. C’est frustrant mais ce n’est pas grave, l’important est que le récit coule, que je m’appuie sur l’ambiance de l’époque pour y installer le roman.
Bepolar : Sur quoi travaillez-vous désormais ?
Céline Servat : Je suis en pleine recherche pour le troisième tome de la trilogie. Il se passera en Espagne, terre de mes ancêtres, et ne sera pas neutre pour moi. En parallèle, j’ai écrit plusieurs nouvelles, pour des concours ou pour des recueils à but humanitaire, ce qui me permet de travailler l’écriture autrement. Et puis je co-organise un salon du polar, thriller et roman noir à Encausse les Thermes (31), pour les 12 et 13 Juin ; Il s’appelle T(h)ermes noirs et réunit 20 auteurs, ce qui m’occupe pas mal.
Bepolar : Quels sont vos projets ?
Céline Servat : Tout d’abord, terminer ma trilogie, en répondant aussi aux questions laissées en suspens dans les deux autres tomes. En fait, je boucle la boucle, tout en m’appuyant sur une intrigue assez fournie. L’an dernier, j’avais aussi sorti un recueil de nouvelles noires, « Au-delà de nos oripeaux », en collaboration avec Guillaume Coquery, et j’aimerai bien retenter l’expérience car depuis sa parution, j’en ai écrit une bonne dizaine et j’aimerais qu’elles vivent leurs vies entre les mains de lecteurs.
Ensuite, j’ai une idée de roman policier assez différent, ou le personnage principal aurait des dons particuliers, qu’il ne maitriserait pas vraiment mais qui l’entraineraient dans des enquêtes. Je dois encore y réfléchir mais voilà la base.