- Acteur : Kristen Bell
- Séries : La femme qui habitait en face de la fille à la fenêtre
Facétieuse à l’égard de l’échec du film "La Femme à la fenêtre", Netflix revient avec une minisérie qui en parodie subtilement les composantes. Entre rire, larmes et suspense, Kristen Bell s’en donne à cœur joie. Un OVNI parfois frustrant, souvent remarquable.
Depuis le "Fenêtre sur cour" d’Hitchcock, pierre angulaire du film à suspense en huis-clos, le concept voyeuriste aura été revisité directement ou indirectement à des milliers de reprises. Chez Brian De Palma (Hi, Mom !, Sœurs de sang ou encore "Body Double"), chez les Coen ("Blood Simple"), chez D.J. Caruso ("Paranoiak"), ou encore dernièrement assez piteusement et sans détour chez Netflix ("La Femme à la fenêtre", de Joe Wright, 2021). Bref, les itérations fourmillent, se suivent et se ressemblent – trop, souvent. Sauf que cette fois, la série "La femme qui habitait en face de la fille à la fenêtre" joue la carte de la parodie, ou presque. Comme si Netflix, conscient du flop critique du film de Joe Wright (dont les droits avaient été rachetés à Disney en août 2021 – mauvaise pioche), tournait résolument son échec à la dérision. Et pour porter cette comédie composite tiraillée entre le rire, l’effroi et la gravité, la minisérie opte judicieusement pour l’actrice Kristen Bell ("Sans Sarah, rien ne va !", "American Trip", "Bad Moms", "The Good Place"…). Une habituée de choix pour distiller le rire en sous pente.
Le principe s’avère volontairement aussi basique que générique : Anna, une femme à l’équilibre psychologique précaire (du fait d’un traumatisme plus ou moins refoulé, évidemment) et devenue alcoolique pour noyer son chagrin, passe son temps à regarder par la fenêtre. Lorsqu’un séduisant voisin nommé Neil s’installe en face de chez elle, elle croit percevoir une issue à sa dépression – notamment en se liant avec sa jeune fille. Mais en espionnant l’épouse de celui-ci, Anna assiste bientôt à un meurtre, ou du moins le pense-t-elle. S’agit-il d’une hallucination due à son ébriété avancée ou d’un crime authentique ? La série va multiplier les fausses pistes et pastiches, convoquant les innombrables retournements de situation alambiqués des films hollywoodiens contemporains, toujours pour mieux les railler.
De prime abord, le dispositif de "La femme qui habitait en face de la fille à la fenêtre a de quoi décontenancer. Cela d’autant plus si l’on s’attend à un humour potache à la manière du collectif de réalisateurs, producteurs et scénaristes américains ZAZ (la bande derrière "Y a-t-il un pilote dans l’avion ?", etc.). Car la minisérie se montre finalement subtile, détournant habilement et avec parcimonie les codes classiques des thrillers ampoulés. Tout se joue ainsi dans les détails : les fameux verres à vin américains remplis à ras bord comme des vases, une réplique pseudo-philosophique ou larmoyante triturée et rallongée à tel point qu’on ne comprend plus son sens initial… Autant d’ingrédients déréglés avec astuce et malice qui poussent le spectateur à redoubler d’attention pour ne rien manquer, ou parfois pour s’assurer que ce qu’il regarde n’est pas au premier degré (et dans ce cas, lamentable).
Ainsi, les dialogues et les développements du scénario a priori les plus anodins apparaissent relevés d’une absurdité et d’un humour noir assumés. Il faut même parfois patienter jusqu’à la dernière seconde d’un échange ou d’une scène pour comprendre où se trouve la nuance. Mieux : par-delà l’humour, l’intrigue elle-même reste addictive et haletante, et ce, même lorsqu’on sait au fond qu’il s’agit d’une vaste blague. Au gré de ce petit jeu auquel le spectateur doit se soumettre sous peine d’abandonner très vite l’aventure par lassitude, l’actrice Kristen Bell cabotine avec talent. Toujours changeant et déroutant, son personnage fonctionne et se déploie ingénieusement.
Reste que tout ce mécanisme comporte un dangereux paradoxe, du moins glissant. Car ni totalement étranger au rire, ni foncièrement insensible au drame et au mélodrame, La femme qui habitait en face de la fille à la fenêtre évolue sur les deux fronts. À tel point quelquefois que la veine dramatique prend finalement le dessus, au détriment de la volonté corrosive initiale de la minisérie. Un soupçon permanent qui finit par saper quelque peu les rouages de l’intrigue, trop timorée par moment dans sa manière d’amener la caricature et la transgression. La série n’en demeure pas moins réussie et résolument singulière.