- Réalisateur : Fabrice Du Welz
- Acteurs : Mélanie Doutey, Jackie Berroyer, Benoît Poelvoorde, Alba Gaia Bellugi
Pétri de belles idées de mise en scène et porté par un excellent casting, Inexorable se prend les pieds dans le tapis en usant et abusant d’effets tape-à-l’oeil. Une œuvre malade, entre éloquence et affectation.
Une famille opulente, dont un écrivain best-seller en mal d’inspiration, emménage dans un château isolé. L’arrivée de Gloria, vénéneuse et inquiétante jeune femme, perturbe l’équilibre précaire du ménage…
Le pitch d’”Inexorable”, histoire d’un écrivain à succès et de son épouse héritière d’un magnat de l’édition venus s’installer dans la demeure historique de la famille, ne cherche pas l’originalité. Au contraire : on rejoue ici volontairement les clichés du thriller d’épouvante pour mieux s’amuser, expérimenter. Le vaste château délabré et son escalier monumental, tortueux à l’image des secrets de la famille, traduit bien sûr les dérèglements du couple formé par Benoît Poelvoorde et Mélanie Doutey. On pense à l’Overlook de “Shining”, ou encore à “L’Antre de la Folie” de John Carpenter, pour l’architecture mentale et pour l’écrivain maudit. Mais le maniérisme assumé du film ne s’arrête pas là. De prime abord et tout au long de sa première partie, “Inexorable” s’avère convaincant, à défaut de susciter un quelconque étonnement.
Rectiligne et tranchante, l’entrée en matière d’”Inexorable” est un modèle de film d’épouvante, de thriller et de film noir. Son premier plan surexposé distille immédiatement la fatalité à venir : des chiens cadrés en plan serré aboient derrière la grille d’un chenil. Inconsciemment, le spectateur assimile d’office l’enfermement et la sauvagerie qui en découlent au destin du père (Benoît Poelvoorde) et de sa fille (Janaina Halloy Fokan), venus adopter un animal. Les dés sont jetés, le virus inoculé : le caractère inexorable de la trajectoire des personnages apparaît déjà, prélude à un malheur inexpugnable. Le spectateur n’attend évidemment pas autre chose. La mise en scène tout comme la réalisation se révèlent fluides et très efficaces. Le plan façon steadicam à la Kubrick sur le bar-hôtel dans lequel s’installe Gloria (Alba Gaia Bellugi, parfois habitée comme une Adjani ou une Béatrice Dalle), ou encore celui sur le château où emménage la famille, délivrent une atmosphère éloquente et assez irrésistible. Quelque chose de poisseux guette et c’est presque jubilatoire.
Intenses et profonds, les protagonistes échappent à toute psychologisation inutile. Plutôt que de s’embarrasser de mots, les ellipses et les regards suffisent à dessiner une galerie cohérente et bigarrée. Outre Poelvoorde, Doutey et Bellugi, souvent excellents, “Inexorable” convoque Jackie Berroyer ou encore Sam Louwyck - des gueules qui parachèvent l’aura étrange du film. Pourtant, “Inexorable” souffre trop vite d’une pathologie des plus agaçantes : une saturation terriblement superflue d’effets (musique pompeuse, effets sonores grandiloquents…). Soit Fabrice du Welz et son équipe cherchent à trop bien faire, soit ces derniers manquent de confiance. Et ce faisant, ils sabotent leur travail au gré d’innombrables artifices. La mise en lumière parfois façon giallo n’est pas en cause. Quoi qu’il en soit, l’acuité notoire des acteurs menace souvent,
dès que la tension monte, de tourner à la caricature et au grand-guignol. Un comble pour un film qui misait initialement et à juste titre sur l’épure et les silences pour installer l’effroi.
Aussi, bien qu’”Inexorable” possède quelques séquences intéressantes et réussies (les scènes de pulsion, l’anniversaire…), le spectateur peine vraiment à ressentir quelque chose. Le maniérisme délibéré du film, qui renvoie initialement tour à tour avec brio au “Possession” de Zulawski, à “La Cérémonie” de Chabrol (mais aussi à “La Fleur du Mal”, également avec Mélanie Doutey), au caractère carnassier du “Trouble Every Day” de Claire Denis et du “Grave” de Julia Ducournau, voire au “Théorème” de Pasolini, finit lui aussi par échouer. Ainsi, les quelques qualités indéniables du film ne suffisent pas. Pire : à la longue, son intrigue trop prévisible et bancale crispent. On attendait quelque chose de plus fou et ondoyant de la part du réalisateur d’”Adoration”.
Les habitués et fidèles ne seront sans doute pas tous déçus néanmoins. Dans “Inexorable”, on retrouve sans surprise quelques-unes des marottes du réalisateur belge : la perversion du genre humain, bien sûr, mais également le prénom Gloria. Des motifs qui reviennent systématiquement comme une malédiction, comme un leitmotiv de sa filmographie. Si bien que chacun de ses longs-métrages constitue ainsi un morceau d’un même édifice ne visant qu’une seule chose ou presque : sonder les arcanes sinueuses du mal.
Néanmoins, on a connu Fabrice du Welz plus mordant et maître de ses artifices que dans “Inexorable”. Comme à son habitude, le metteur en scène réfléchit davantage en peintre qu’en conteur, mais les effets, trop gras et saturés, débordent. Restent des images d’une grande force (le grain du 16 mm et la photo de Manuel Dacosse y contribuent) et quelques plans fixant immédiatement l’atmosphère. De quoi envelopper subtilement le spectateur au sein d’une campagne belle et épineuse, à défaut de passionner ou de déconcerter.
Septième long-métrage de Fabrice du Welz, “Inexorable” est sorti en salles le 6 avril 2022.