Les polars et les thrillers du cinéma ne comptent pas seulement des demoiselles en détresse ou des perverses folles à lier, du reste bien souvent caricaturales. La preuve avec ces cinq films cultes qui plongent au cœur de la criminalité au féminin, avec cette fois toute la finesse que cela implique.
Higgins Clark, Cornwell, Gardner, Christie, Vargas, Horn, Hawkins, Flynn… elles sont nombreuses, les reines du thriller littéraire, à avoir bouleversé le champ du polar. Mais qu’en est-il du côté de l’arme du crime, si souvent trustée par la gent masculine ? Voici quelques longs-métrages implacables et démontrant, une fois n’est pas coutume, que l’homme n’a pas toujours le monopole du meurtre.
Sophie dans "La Cérémonie", de Claude Chabrol (1995)
Parce que Sophie (Sandrine Bonnaire) et Jeanne (Isabelle Huppert) – inspirées par les sœurs Papin – ne peuvent exister dans un monde qui ne leur laisse aucune place, il convient alors pour elles de supprimer la place d’autrui pour en posséder une bien à elles. Et cela passe naturellement par le crime, celui sous entendu dans le titre "La Cérémonie". La première est une bonne téméraire cachant son illettrisme, la seconde une postière solitaire et fantasque. Ensemble, elles partagent le même regard désabusé à l’égard de la société, mais leur mobile ne relève pas d’une banale lutte des classes – élément que l’on veut trop souvent accolé à la filmographie de Chabrol. Un peu comme chez Hitchcock, leur crime ne peut s’expliquer uniquement par les problèmes du quotidien – ici par la misère, le malheur ou les inégalités – mais trouve au contraire sa dynamique à travers une veine plus métaphysique. Regarder le visage de Sophie, dans la dernière scène, se découper sur le ciel de la nuit noire suffit à illustrer cette puissance de mort qui vient de se déchaîner. Mention spéciale pour l’une des plus belles scènes du film (et la plus glaçante), où l’on voit Sophie à l’étage culminer en surplomb de la famille installée devant un opéra à la télévision. Pour la première fois, la caméra dévoile le décor de la maison dans son ensemble. Cette fois, le sang peut couler. Bonnaire et Huppert, magnétiques et attachantes, dans l’un de leurs plus grands rôles.
Eliane dans "L’été meurtrier", de Jean Becker (1983)
"La vérité, c’est qu’elle est malheureuse. Sa vie n’a pas dû être drôle tout le temps. Mais ça, bien sûr, elle le montre moins facilement que son derrière". Cette réplique mémorable de "L’été meurtrier", faussement anecdotique, résume à elle seule toute l’ambivalence du film de Jean Becker, sa complexité nimbée derrière la sensualité d’Eliane (Isabelle Adjani). Si le talent d’acteur d’Alain Souchon saute ici aux yeux dans ce polar rural et brûlant, c’est la jeune Adjani qui brille avec la plus grande intensité. Flamboyant et inflammable, son personnage semble expier à travers sa folie tout l’outrage du genre humain et de la masculinité. Ne pas se laisser tromper par son côté résolument aguicheur, la belle incendiaire catalyse les pulsions les plus animales et inavouées pour mieux les punir dans la peau d’une sorte d’ange exterminateur. Cette protagoniste intemporelle n’a décidément pas pris une ride...
Nicole et Christina, dans "Les Diaboliques", de Henri-Georges Clouzot (1955)
À top semer la tyrannie et l’obséquiosité, Michel Delassalle récolte la vengeance, celles de son épouse Christina et de sa maîtresse Nicole. C’est parce que "Les Diaboliques" adopte le point de vue de Christina (Vera Clouzot) que le spectateur reste tout du long ignorant de la machination qui se trame en sourdine dans le film de Clouzot. Sous cet angle, tout dans l’atmosphère apparaît croupissant (la pluie diluvienne, les flaques, la nourriture pourrissante… ), et ce, à l’exception des criminels dont l’intelligence ne cesse d’être exaltée dans la plus pure tradition des polars hexagonaux. À titre de comparaison, l’innocence se voit quant à elle moquée, à l’instar de l’enfant incompris à la fin du film. De fait, ne restent plus que Christina et Nicole (Simone Signoret) pour resplendir dans cette oeuvre mâtinée d’angoisse et d’énigmes. Les deux femmes rivalisent de perspicacité et parachèvent leur plan méphistophélique. Des personnages forts et immoraux qui ne laissent pas insensibles.
Suzanne Stone Maretto, dans "Prête à tout", de Gus Van Sant (1995)
Inutile d’essayer de lui résister ou de la contrecarrer, car on ne peut vraiment rien refuser à cette Machiavel en puissance dissimulée sous le rimmel qu’est Suzanne (Nicole Kidman). Et de toute façon, la tentative serait peine perdue tant l’opération s’avère chaque fois épineuse. Dans un rôle stupéfiant et psychotique, l’actrice australienne transcende son personnage de nymphette carriériste. Bien décidée à devenir l’illustre journaliste télé qui sommeille en elle, la jeune femme réussit à commettre le crime sans jamais passer à l’acte. Sa force de persuasion et ses calculs suffisent en effet à eux seuls à convaincre le premier homme venu, aussitôt pris dans la toile de cette femme fatale. Avec une frénésie débordante, Suzanne se joue de la bêtise des hommes et incarne la pulsion médiatique dévorante qui contamine l’Amérique. L’un des plus grands rôles de l’immense Nicole Kidman.
Julie Kohler dans "La Mariée était en noir", de François Truffaut (1968)
On l’oublie trop souvent mais le personnage de Julie Kohler (incarné par la vénéneuse Jeanne Moreau) a beaucoup inspiré Quentin Tarantino, qu’il s’agisse de Mia Wallace dans "Pulp Fiction" (1994) ou encore Beatrix Kiddo (alias "la mariée") dans "Kill Bill" (2003), toutes les deux portées par Uma Thurman. Pour autant, la trajectoire de Julie se veut plus sépulcrale et évanescente, comme dans le livre éponyme de William Irish. Sorte de morte-vivante, la jeune femme revient pour assouvir une vengeance impitoyable contre des célibataires prédateurs. Confiée au compositeur fétiche d’Hitchcock, Bernard Herrmann, la musique rappelle la volonté de Truffaut d’esquisser une mise en scène à l’image du maître du suspense. Dans sa valise, Julie n’a glissé que des tenues noires ou blanches, aussi tranchantes que l’épouvante qu’elle réserve à ses futures victimes. Devenue veuve le jour de ses noces, elle campe décidément un serial-killer comme on en croise (trop) peu au cinéma.
Mais aussi...
Bound, de Lily et Lana Wachowski, 1996 - Violet
Matador, de Pedro Almodovar, 1986 – Maria Cardenal
La comtesse, de Julie Delpy, 2010 – la comtesse Elizabeth Bathory
Les lèvres rouges, de Harry Kümel, 1971 – la comtesse Bathory
Audition, de Takashi Miike, 1999 – Yamazaki Asami
Misery, de Rob Reiner, 1990 – Annie Wilkes
A Gun for Jennifer, de Todd Harris, 1997 – Allison
Hard Candy, de David Slade, 2006 – Hayley
Esther, de Jaume Collet-Serra, 2009 – Esther
Répulsion, de Roman Polanski, 1965 – Caroline
Serial Mother, de John Waters, 1994 – Beverly R. Sutphin / Mrs. Wilson
Possession, de Andrzej Zulawski, 1981 – Anna / Helen
Sexcrimes, de John McNaughton, 1998 – Kelly Lanier Van Ryan
Vol au-dessus d’un nid de coucou, de Milos Forman, 1975 – l’infirmière Mildred Ratched
Kill Bill, volume 1 & 2, de Quentin Tarantino, 2003 et 2004 – Beatrix Kiddo
Mademoiselle, de Park Chan-Wook, 2016
Nikita, de Luc Besson, 1990 - Nikita
Basic Instinct, de Paul Verhoeven, 1992 – Catherine Tramell
Gone Girl, de David Fincher, 2014 – Amy Dunne
The Devil’s Rejects, de Rob Zombie, 2005 – Baby Firefly
À l’intérieur, de Julien Maury, 2007 – la femme (incarnée par Béatrice Dalle)
La Fiancée de Chucky (Ronny Yu, 1998) - Tiffany
Un frisson dans la nuit (Clint Eastwood, 1971) – Evelyn Draper
Vendredi 13 (Sean S. Cunningham, 1980) – Mme Voorhees