- Auteur : Jean-Christophe Tixier
- Editeur : Albin Michel
"Eté 65, quelque part dans l’Aveyron. Trois femmes se déchirent autour de l’héritage d’une auberge." C’est le point de départ du nouveau roman de Jean-Christophe Tixier. On lui a posé quelques questions...
Bepolar : Comment est née l’idée de votre roman, Effacer les hommes ?
Jean-Christophe Tixier : J’avais envie de continuer à fouiller et tordre les sujets qui m’obsèdent : l’émancipation, la mémoire, le temps, la mort.
Je suis aussi fasciné par les moments sur le fil, quand personne ne sait de quel côté la bascule se fera.
Mes points de départs sont toujours ceux-là.
Bepolar : Qu’est-ce qui vous a donné envie de placer votre histoire dans l’Aveyron des années 60 ?
Jean-Christophe Tixier : La décennie 60 est un de ces moments de bascule. Cette décennie annonce déjà le XXIe siècle.
En juillet 65, les femmes ont enfin l’autorisation de signer un contrat de travail et ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de leurs maris.
En 64 paraît la bande dessinée Barbarella, de Jean-Claude Forest, aux éditions Éric Losfeld.
Les Rolling Stones sortent Satisfaction qui évoque les frustrations de la jeunesse et critique la société de consommation.
Le français remplace le latin dans les offices.
Arrive la mini-jupe…
Mais la France reste encore, à cette époque-là, très corsetée.
Tous les ferments de 68 sont là.
Concernant l’Aveyron, il me fallait un lieu où je pouvais placer un barrage qui allait me servir de machine à remonter le temps, une destination qui présentait un attrait pour Victoire et ses amis, lors de leurs premiers congés payés en août 36, un lieu qui pouvait exercer une emprise sur ses habitants.
L’Aveyron cochait toutes les cases.
Bepolar : Comment avez-vous replongé dans cette période ? Quelle a été la part de documentation ?
Jean-Christophe Tixier : Mon âge ne me permet pas d’en avoir des souvenirs (rires). Internet est un outil fabuleux pour celui qui veut replonger dans une époque. Il y a tellement de clés d’entrée : l’actualité, la musique, les faits politiques.
La presse de l’époque est accessible. Les archives de l’Ina sont riches aussi.
Cette phase de recherche est pour moi comme une gourmandise.
Bepolar : On y suit trois héroïnes : Victoire, Ève et Marie-Clément Maurice. Comment pourriez-vous nous les présenter ?
Jean-Christophe Tixier : Victoire a 50 ans. Elle vit ses derniers jours. Elle aime la vie, a peur de mourir. Elle a toujours tout contrôlé, ou, du moins, a eu l’illusion de tout contrôler.
Pour elle, il n’y a pas de liberté collective. Celle-ci ne peut-être qu’individuelle. C’est ce qui l’a conduite, en août 36, à prendre sa vie en main pour échapper à son milieu et ne pas retourner à l’usine.
Avant de mourir, elle veut régler la transmission de l’auberge, qu’elle a dirigée d’une main de fer.
Celle-ci appartient à sa belle-fille, Marie. Mais Victoire voudrait que l’auberge revienne à Ève, sa nièce qu’elle a recueillie alors qu’elle n’était qu’une enfant.
Marie est devenue sœur Marie-Clément Maurice. Il ne s’agit pas d’une vocation, au sens de révélation. Marie est rentrée dans les ordres, comme on pénètre dans un refuge. Elle se raccroche à l’ordre social et à l’ordre moral, sans lesquelles elle n’est plus rien.
Ève est mineure, a tout juste 20 ans. Elle rêve de partir. Elle rêve d’une autre vie. Son seul lien avec l’extérieur est ce poste de radio qui trône dans le salon.
Son modèle de liberté est Barbarella, qu’elle a découvert dans une BD oubliée par un client de l’hôtel.
Ces trois personnages luttent contre leur destin. Pour s’en sortir et pour s’extirper, il faut un espoir. C’est celui-là qui les guide. Avec plus ou moins de succès…
Je rajouterai un quatrième personnage, Ange, le frère de Ève qui, par sa seule présence, rythme le récit et guide certaines décisions.
Bepolar : Elles ont des âges, des trajectoires et des secrets différents. Comment avez-vous composé ce récit avec ces trois protagonistes ? Vous connaissiez toute l’histoire depuis le début ?
Jean-Christophe Tixier : Je démarre toujours avec une idée très précise de ce que seront l’histoire et l’évolution des personnages.
Je voulais un conflit de génération, qui soit aussi un reflet de la société du milieu de cette décennie 60.
Je voulais raconter trois parcours de vie.
Souhaitant être sur un moment de bascule (les quelques jours qui précèdent la mort de Victoire), je savais qu’il y aurait des aller-retours entre ces jours d’août 65 et le passé.
Bepolar : Par leurs situations et leurs choix, c’est un roman qui évoque le féminisme, presque avant l’heure. C’était une envie dans votre projet de roman ?
Jean-Christophe Tixier : Ce n’est pas à proprement parler un roman sur le féminisme. C’est plutôt un roman sur l’émancipation.
Mais quand on est une femme, dans une société patriarcale très largement dominée par le masculin, l’émancipation passe forcément par un questionnement sur les rapports entre les sexes, sur ce qui relève de la soumission et de la passivité, de ce qui est le résultat d’une emprise et d’une domination des hommes.
Mes personnages veulent prendre leur destin en main.
Bepolar : Dans les Mal-Aimés, nous étions avec vous dans les Cévennes. Où allez-vous nous emmener dans le prochain roman ? Quels sont vos projets, sur quoi travaillez-vous ?
Jean-Christophe Tixier : Je n’ai encore rien arrêté. Ni sur l’époque, ni sur le lieu. Plusieurs idées trottent. On y retrouvera les thèmes qui m’obsèdent.