- Réalisateur : Pablo Larrain
- Acteurs : Kristen Stewart, Timothy Spall, Jack Nielen
- Durée : 1h57 min
Le réalisateur chilien Pablo Larraín sonde les hantises de Lady Diana dans un thriller psychologique malaisant, au croisement du Shining de Kubrick et des portraits de femme sous influence de David Lynch. Brillant.
Pablo Larraín adore les portraits désenchantés. En matière de biopic, le cinéaste s’était déjà adonné à l’exercice à plusieurs reprises, notamment avec Neruda (2016) et surtout Jackie (2017). Sa Jackie Kennedy endeuillée, sidérée et couverte des éclaboussures du sang de son époux John Fitzgerald fraîchement assassiné, sonnait comme une précieuse expérimentation. D’une beauté formelle et d’une rigueur colorimétrique scotchantes, le film porté par une Natalie Portman médusée fait désormais figure de référence. L’enjeu du réalisme n’intéresse guère Pablo Larraín, qui opte chaque fois délibérément pour le romanesque. Son credo : remplir les ellipses de l’histoire quitte à imaginer et inventer pour paradoxalement mieux traduire le réel. La poésie, encore et toujours, au service de l’authenticité.
Avec le film Spencer, le réalisateur adopte pratiquement ce même schéma imaginatif pour dépeindre Diana Spencer, alias Lady Diana. Mais il procède dans une veine encore plus fantasmagorique, gothique voire horrifique. En pleine crise existentielle, Lady Diana s’enfonce depuis déjà trop longtemps dans les abîmes de la dépression. Son mariage désastreux avec le prince Charles, entre tromperies et rivalités, n’est plus un secret pour personne. Ce qui n’empêche pas la couronne d’Angleterre de requérir sa présence expresse à Sandringham pour les fêtes de Noël. Le temps de quelques jours étouffants en huis-clos, Diana doit donc feindre les apparences, donner l’image d’une femme épanouie, manger, boire… sourire sur les photos. Entre la précision diabolique du cadrage (plans d’ensemble, gros plans sur les visages, jeux sur les flous…), les mouvements de caméra virtuoses et le jeu fascinant, presque hanté, de Kristen Stewart, Spencer hypnotise. Pire : il terrifie quelquefois et c’est là l’une de ses principales singularités.
Car l’élément le plus intéressant du film ne tient pas seulement au tableau corrosif du royaume d’Angleterre. La série The Crown, sous un angle résolument plus documenté et pragmatique, va d’ailleurs plus loin dans ce domaine. Le détail cruel de la pesée de Noël (chaque convive se voit pesé avant et après les festivités de Sandringham, sur un pèse-personne ayant appartenu à Edouard VII, pour prouver qu’il a bien profité sans modération) apparaît certes des plus croustillants. Mais là où Spencer se démarque, c’est en matière d’atmosphère et de brouillage des genres. Très vite, le long-métrage adopte les ressorts du thriller psychologique et du cinéma d’épouvante. Très vaporeux et torpide, les mouvements d’appareil distillent une inquiétante étrangeté. Isolée, oppressée, surveillée voire traquée, Diana Spencer, sujette à l’anorexie mentale, navigue en plein cauchemar éveillé.
À tel point qu’à bien y regarder, le château de Sandringham prend des airs d’Overlook, l’hôtel maléfique du film Shining. Le mimétisme est tel que la coïncidence ne peut être que délibérée. Même type de plans steadicam, même sorte de musique inquiétante et opératique - Jonny Greenwood procède avec la même approche que Kubrick -, gros plans brusques et tonitruants… rien ne semble avoir été laissé au hasard en matière d’épouvante par Pablo Larraín. Même les protagonistes secondaires, à commencer par le Major Allistair Gregory porté par Timothy Spall (semblable à Delbert Grady dans Shining) bénéficient du même soin propice à la répulsion. En outre, quelque chose du Mulholland Drive de David Lynch affleure souvent, certainement à travers l’analogie entre l’abattement de Lady Diana et celui de Betty/Diane.
Au fil de cette tragédie, la performance de Kristen Stewart s’avère éblouissante. La princesse de Galles qu’elle incarne est une femme consciente d’être une simple image. Celle-ci livre une bataille stupéfiante, tentant d’échapper au simulacre en brisant les chaînes de faux-semblants qui l’enserre. Dans ce drame suffocant et fiévreux, tout apparaît aussi superbe que repoussant. Même lorsqu’elle frôle l’afféterie et le trop-plein, la mise en scène de Pablo Larraín reste éblouissante et renversante.
Dommage cependant que Spencer commette in fine l’écueil de prendre si brusquement ses distances avec la hantise. Pas que l’horizon cafardeux soit nécessairement une fin en soi, mais le tourment absolu dessiné minutieusement presque tout au long du film ne pouvait s’estomper si vite. Pourquoi un tel désir d’ouverture ? Pour donner une rédemption à celle qui n’en aura pas eu de son vivant ? Sans doute, mais ce pas de côté nuit peut-être à l’intégrité de l’œuvre et à son originalité, sabordant pour partie quelques-unes de ses étrangetés. Cela dit, ne boudons pas Spencer pour si peu, car il contient indéniablement certaines des plus belles séquences du cinéma de Pablo Larraín.
Le biopic cauchemardesque Spencer est disponible sur Prime.