- Auteurs : Boris Vian, Vernon Sullivan
- Editeur : Glénat
BePolar vous explique pourquoi il faut absolument découvrir ces BD voire (se) les offrir d’urgence.
C’est un véritable coup de cœur que ces quatre BD proposées par les éditions Glénat à l’occasion du centenaire de la naissance Boris Vian (1920-1959). L’éditeur nous propose de redécouvrir quatre œuvres paradoxalement méconnues de Boris Vian, écrites sous le pseudonyme de Vernon Sullivan : J’irai cracher sur vos tombes (1946), Les morts ont tous la même peau (1947) Et on tuera tous les affreux (1948) et enfin Elles se rendent pas compte (1950).
Paradoxe, car ces quatre livres, faits de violence et de sexe, feront scandale dans les puritaines années post Seconde guerre mondiale, et assureront la célébrité et la richesse (momentanée) de ce touche-à-tout de génie qu’est Vian, bien plus à l’époque que ses romans désormais les plus connus, rédigés à peu près au même moment, L’Ecume des jours (1947), L’Herbe rouge (1950) ou L’Arrache-cœur (1953).
Et figurez-vous que ces quatre œuvres sont des polars, et oui ! Boris Vian, cet artiste souvent incompris, est en effet l’un des précurseurs du polar en France, et plus précisément dans la transmission, depuis les États-Unis, d’un sous-genre qu’on nomme le hard-boiled (qu’on peut traduire par romans de durs-à-cuire, ou, plus moderne, de bad boys), ces œuvres noires de chez noir mettant souvent en scène des hommes ambivalents dans des univers, la plupart du temps urbains, où les frontières entre le bien et le mal sont floues.
BePolar vous explique pourquoi il faut absolument découvrir ces BD voire (se) les offrir d’urgence.
Parce que vous allez découvrir un Boris Vian que vous n’attendiez pas, très « hot »
Du Boris Vian, vous vous attendez peut-être à un classique à faire lire en salle de classe ? Que nenni, ou alors pas dans n’importe quelle classe ! Violence, racisme (pour mieux en dénoncer l’absurdité, ouf !) scènes de sexe torrides et vraiment aux limites de la bienséance, ce Vian-là, ou plutôt ce « Vernon Sullivan » n’est pas à mettre dans toutes les mains ! Et les dessinateurs, chaque fois différents selon les tomes, s’en donnent à cœur joie…
Sur des trames apparemment classiques de hard-boiled, histoires de vengeance ou d’hommes acculés par leurs vices, Vian manie puissamment l’ironie : contre son époque puritaine qui fustige tous les désirs (ces textes et ceux signés Vian feront de l’écrivain un héros tardif de la jeunesse post-68), contre la société américaine profondément inégalitaire et qui cache à peine son racisme, contre la bien-pensance, et même contre… le hard-boiled et ses clichés !
Car si Vian n’est pas à proprement parler un anarchiste, il est assurément un libre-penseur plein d’humour, qui aime explorer des voies inexplorées par le plus grand monde (il était un fan précurseur de jazz, de la science-fiction, un amoureux des bons mots et de l’esprit festif). Vous allez être très certainement surpris par tout ce qu’ose Vernon Sullivan, double littéraire et polardeux de Vian, à une époque qu’on s’imagine plus aisément sage et en noir et blanc…
Parce que ce sont des adaptations assez fidèles à l’esprit des textes de Vian
Si adapter, comme traduire, c’est trahir, on peut néanmoins tirer notre chapeau à Jean-Baptiste Morvan pour la scénarisation en BD. En prenant le temps (et la pagination) de bien développer les intrigues originales de Vian, il permet d’en rendre toute la richesse exubérante.
On le redit ici : ces textes peuvent choquer, non pas par leur extrême violence ou leur sexualité débridée, bien présents, mais surtout parce que ce sont des éléments totalement inattendus chez un homme qu’on associe désormais et bien à tort aux auteurs « classiques ».
Ce sont des très bons condensés de l’esprit hard-boiled des années 1940 mais aussi du bouillonnement de vie qui sourd déjà dans ces années d’après-guerre, cette soif de liberté, de sensualité, de révolte, de cette envie un peu folle de construire un monde nouveau débarrassé de ces carcans, de ces guerres et des ces idéologies absurdes qui ont absorbé tout une génération de jeunes gens.
Ainsi, si une lecture au premier degré, peut s’avérer plaisante (on retrouve un peu l’univers d’une des premières BD polar de l’histoire, celle du Dick Tracy de Chester Gould) quoique laissant place à un machisme et une violence sans bornes, il faut aussi s’imaginer Vian s’amusant de choquer ses contemporains avec ces « images » crues de violence et de sexe (ou de répulsion au sexe, dans le très ironique Et on tuera tous les affreux), de prendre son pied en prenant le contre-pied de ce qu’il est par ailleurs : un fils de bourgeois, ingénieur faussement austère de l’Agence Française de normalisation (AFNOR), maître « zazou » (à la fois une mode vestimentaire mais aussi une contre-culture, souvent liée au jazz que chérit Vian) des clubs de Saint-Germain-des-Prés, intellectuel frayant avec des grandes figures comme Queneau, les surréalistes, Sartre et Beauvoir mais aussi de grandes stars reconnues ou en devenir de la chanson, de la peinture, etc.
En résumé, ce sont des pastiches mi-rigolards, mi-dénonciateurs, qu’il faut absolument contextualiser dans leur époque et dans l’œuvre, protéiforme, de Vian. Si on ne saurait que vous conseiller de découvrir la folle (et courte) vie de l’auteur, ces quatre BD ont le bon goût d’être préfacées par Nicole Bertolt, passionnante directrice du patrimoine Vian, qui permet de « resituer » un peu le contexte, avant l’explosion inattendue des sens qui vient ensuite en images. On lui laisse d’ailleurs le soin de présenter la série.
Parce qu’on a assez devisé et que les résumés vous parleront d’eux-mêmes.
J’irai cracher sur vos tombes (Glénat, mars 2020)
Lee Anderson, vingt-six ans, fils d’une métisse, quitte sa ville natale après la mort de son frère noir, lynché parce qu’il était amoureux d’une blanche. Il échoue à Buckton, petite ville du Sud des États-Unis où il devient gérant de librairie. Grand, bien bâti, payant volontiers à boire et musicien de blues émérite, Lee parvient sans mal à séduire la plupart des adolescentes du coin. Auprès d’une petite bande locale en manque d’alcool mais très portée sur le sexe, il mène une vie de débauche. Sans toutefois perdre de vue son véritable objectif : venger la mort de son frère.
Les morts ont tous la même peau (Glénat, mars 2020)
Dan est un sang-mêlé. Autrement dit, un noir à peau blanche. Videur dans un bar de nuit à New York, il ne vit que pour Sheila, sa femme, et l’enfant qu’il a eu avec elle. Un enfant que la société acceptera parce que sa peau est blanche, contrairement à Dan, pour qui le secret de ses origines plane tel une épée de Damoclès. Alors qu’il s’entiche subitement d’une prostituée noire et que l’irruption de son frère, Richard, menace de tout révéler, Dan voit sa vie basculer. Lui qui, non sans remords, a tant voulu être un Blanc, ne serait-il au fond de lui-même qu’un « nègre » ?
Et on tuera tous les affreux (Glénat, septembre 2020)
À Los Angeles, Rocky Bailey est un bellâtre, la coqueluche de ces demoiselles. Et pourtant, il se refuse obstinément à elles, désirant conserver sa virginité jusqu’à ses vingt ans. Mais un soir, il est drogué et enlevé par le docteur Schutz qui tente de le forcer à réaliser une singulière expérience : faire l’amour à une magnifique jeune fille ! Incapable de s’y résoudre, Rocky décide ensuite de mener une enquête avec son nouvel ami Andy Sigman, chauffeur de taxi, sur le diabolique docteur Schutz et ses expériences suspectes.
Elles se rendent pas compte (Glénat, janvier 2021)
Ce soir, Francis Deacon enfile des collants, rehausse ses cils de mascara et souligne ses yeux de noir. Mais n’allez pas croire qu’il soit de ce bord-là ! C’est que ce soir, Gaya, son amie - et parfois amante - organise une soirée costumée. L’occasion pour elle de s’envoyer au 7e ciel à coup de piquouzes certainement pas fournies sur ordonnance. Francis, il déteste les drogués. Alors quand il découvre que sa Gaya elle a pris l’autoroute de la défonce sur conseil du futur mari (un futur mari ? Francis était pas au courant !) et que ce mari, il a pas l’air particulièrement tourné vers les charmes délicats de la féminité, il se dit qu’il y a quelque chose de l’espèce de l’anguille sous roche. Quand il sort pas pour un bal costumé, il fait pas dans la dentelle Francis.