- Auteurs : Éric Corbeyran, Alexis Saint-Georges
- Editeur : Jungle
Et si un homme décidait un jour d’éliminer les cons ? Découvrez le parcours de Ben avec Eric Corbeyran et Alexis Saint-Georges.
Bepolar : Comment avez-vous découvert le roman éponyme de Carl Aderhold et qu’est-ce qui vous a donné envie de l’adapter ?
Eric Corbeyran : C’est Ariane Foubert-Guillon, des éditions Fayard, qui m’avait envoyé quelques ouvrages pour lesquels elle envisageait une adaptation. J’ai tout lu et j’ai beaucoup ri avec celui de Carl Aderhold. Les cons, forcément, ça interpelle. Ce qui m’a surtout botté, c’est cette manière très directe de décrire une société. Le roman est construit en strates. Il y a la surface marrante, et dessous, il y a un truc assez sombre, assez profond. On en a parlé à Moïse Kissous (le boss) et ça lui a tout de suite plu à lui aussi. L’affaire pouvait donc démarrer...
Bepolar : Comment avez-vous travaillé ? Quels ont été vos choix scénaristiques et graphique ?
Eric Corbeyran : Quand je choisis d’adapter un roman (je l’ai déjà fait plusieurs fois) ou de reprendre une série (je l’ai fait plusieurs fois aussi) je n’ai qu’un seul crédo : la fidélité. Je me dis : pourquoi choisir un ouvrage écrit par un autre si c’est pour tout changer et qu’au final il ne reste rien de l’original ? Donc, j’essaie au contraire d’être le plus respectueux possible. La grosse difficulté ici réside dans l’absence de dialogue. Presque tout se passe dans la tête du protagoniste. Ce qui coule de source par écrit mais qui présente pas mal de souci quand on passe à la narration BD.
Alexis Saint-Georges : J’ai voulu une approche graphique relativement semi-réaliste je dirais, j’avais vraiment envie d’apporter une touche de vieux polar, une ambiance à la « Faites entrer l’accusé » des années 90 au récit. À la base j’imaginais la BD en noir et blanc pour aller dans ce sens, les lavis d’encre de chine apportant la texture, ce grain à l’image. Nous avons ensuite décidé de faire le projet en couleur, et il est très vite apparu que des filtres de couleurs désaturés s’inscrivaient bien dans cette démarche.
Bepolar : Ben est un jeune homme qui découvre que tuer un chat permet aux gens de se rapprocher les uns des autres face au malheur. Commence alors une quête pour lui, mortelle évidemment. Mais Ben est aussi un homme plutôt sympathique. Comment est-ce que vous le voyez-vous ? Comment avez-vous incarné en BD ce personnage ?
Eric Corbeyran : La réponse est dans la BD. Ben est un type tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Un jour, il tue un animal et à partir de là il conçoit un plan qu’il n’aura de cesse de faire évoluer. Un plan d’extermination méthodique. Ben, c’est moi. Ben, c’est vous. Ben, c’est tout le monde. A un moment donné, on a tous envie que les choses autour de soi se passent mieux, soient plus simples, plus cool. Et on a tous imaginé les solutions pour que ce soit possible. Mais c’est resté à l’état de projet (heureusement ahah). Ben, lui, il passe à l’acte. C’est un personnage qui ose. Il ne paie pas de mine, mais il est déterminé. Ce qui le rend sympa, c’est qu’il a des états d’âme. Ce n’est pas un tueur aveugle. Il est persuadé qu’il rend service.
Alexis Saint-Georges : De mon côté, je m’identifie pas mal au personnage. Outre l’âge assez similaire au mien, il passe au début du récit par des phases de recherches du sens de sa vie, que j’ai vécu aussi. Si on met de côté ses actes, je trouve qu’il force un peu l’admiration : il fait preuve d’une abnégation totale dans sa quête, et va jusqu’à sacrifier tout le reste. Bon ça reste évidemment un psychopathe, mais je ne sais pas, autant d’abnégation dans un chemin de vie choisi force le respect je trouve, surtout qu’il pense agir pour le bien commun.
Bepolar : Il y a aussi le personnage de l’inspecteur, un type un peu à l’ancienne. Comment pourriez-vous là aussi nous le présenter ?
Eric Corbeyran : C’est la méthode « inspecteur Columbo ». Le lecteur connaît déjà l’assassin et son mode opératoire. Il l’a vu fonctionner, il l’a vu faire. Quand le flic débarque, le lecteur sait déjà tout ce qu’il va pouvoir trouver, mais il ignore de quel côté ça va craquer. Ce flic-là a un côté paternaliste, amical. Il tape l’incruste. Il ne paraît pas très organisé à première vue mais sa méthode « à l’usure » se révèle très efficace.
Alexis Saint-Georges : Je crois que c’est mon personnage préféré. Le terme flic à l’ancienne est plutôt juste, ou en tout cas, dans l’imagerie qu’on s’en fait. Il est à la fois sympa, mais nonchalant, on ne sait jamais vraiment ce qu’il pense, mais il semble être de votre côté, à l’écoute, presque paternel. Et en même temps, il cache bien son jeu, il reste mystérieux.
Bepolar : C’est un mélange de farce et de drame, de réflexion aussi sur la société et sur l’humanité. Est-ce que ça a été facile de l’adapter ?
Eric Corbeyran : Ça n’a pas été simple du tout car il y a d’un côté énormément d’introspection (Ben réfléchit beaucoup à propos de société et du rôle et de la place de chacun) et de l’autre, je voulais insister sur les aspects marrants du roman. Mais en réduisant le mécanisme de pensée de Ben on affaiblissait le sujet et le protagoniste devenait un simple tueur psychopathe. Le processus (pourquoi je tue) était tout aussi important que l’acte (comment je tue). Il fallait donc tout garder. D’où la difficulté.
Bepolar : Quelle a été la place de Carl Aderhold ? Est-ce que vous avez discuté avec lui, est-ce que savoir qu’il allait lire l’album était une pression supplémentaire ?
Eric Corbeyran : Si vous n’êtes pas capable d’encaisser la pression d’un auteur à propos de son œuvre, alors ne faites pas d’adaptation (ou alors choisissez un auteur mort). Dans le cas présent, Carl nous a laissé faire ce qu’on voulait (en tout cas, il n’a envoyé aucun Ben à notre domicile). Il a validé toutes les étapes et je pense qu’il était plutôt content du résultat.
Bepolar : Quels sont vos projets désormais. Sur quoi travaillez-vous ?
Eric Corbeyran : Il n’y a pas assez de place ici pour tout vous raconter. Mais j’ai pas mal d’autres projets très intéressants, notamment avec Jungle et Phileas.
Alexis Saint-Georges : Pour ma part, je suis en train de reprendre le projet parent de Mort aux cons (au sens graphique du terme). Une histoire d’amour un peu cynique, acerbe sur les relations hommes-femmes.