- Acteurs : Milo Chiarini, Nicolas Morazzani, Sabrina Nouchi
Mon Milieu
De : Milo Chiarini
Avec : Milo Chiarini, Nicolas Morazzani, Sabrina Nouchi
Genre : polar, film noir, drame
Année : 2024
Pays : France
"Mon Milieu" soustrait l’action du polar au profit de joutes verbales. Manière judicieuse et quasi allégorique, quoique non sans maladresses, de transcender le motif du criminel repenti en voie de rédemption.
Après 22 ans de réclusion, Nico regagne la liberté et ses proches. Lui qui souhaite à présent mener une vie comme les autres se retrouve en proie aux contradictions de ses amis gangsters et de sa famille hantée par le crime.
"Mon milieu" n’est pas un film de gangsters comme les autres. À rebours des œuvres habituelles malaxant le film noir ou le polar pour sonder les arcanes du grand-banditisme à travers l’action (ses règlements de compte, ses luttes de pouvoir, ses contrats à honorer, ses intimidations, ses fusillades, ses trahisons et vengeances…), "Mon Milieu" déconstruit le genre en substituant l’intimité à la fureur. Plutôt que de proposer une énième symphonie de mouvements et de larcins, l’intrigue se concentre sur les à-côtés, laissant pratiquement toujours l’action hors-champ. Les bandits, leurs mines patibulaires, codes et accessoires (grosses cylindrées, calibres…) ont beau être de la partie et façonner l’atmosphère, ces symboles se voient ici désacralisés et supplantés par le verbe. Car l’important dans "Mon Milieu" ne s’avère pas tant les postures ou les masques des gangsters que leurs mots, ceux échangés en famille, entre comparses ou parmi leurs proches. C’est ainsi que le film concentre presque exclusivement ses scènes autour de dialogues retors – presque des affrontements verbaux – et de regards profonds.
Avec son protagoniste central fraîchement sorti de prison après 22 ans et tentant de s’affranchir de son microcosme de malfrats, le synopsis de "Mon Milieu" emprunte l’un des chemins les plus éculés du film de gangsters. Alors que Nico l’antihéros semble avoir esquissé une voie vers sa rédemption lorsqu’il se trouvait encore derrière les barreaux, peut-il encore poursuivre pareille ambition une fois de retour parmi les siens ? Le film consiste justement à confronter ces deux côtés du miroir - l’un idéalisé par la mise à distance théorique des pulsions, l’autre empirique, épineux et désenchanté. De fait, la sortie de prison de Nico qui ouvre "Mon milieu" n’apparaît pas comme une libération mais comme le début d’un nouvel enfermement. D’entrée de jeu, le resserrement du cadrage - pas plus large que la grille des Baumettes qui coulisse pour laisser passer Nico - claquemure le personnage. Toute la mise en scène insiste méticuleusement sur ce raccourcissement du champ. Les plans d’ensemble n’existent pas ou presque dans "Mon Milieu" car l’horizon demeure bouché pour Nico. Il est ainsi écrit d’office, dans la profusion des gros plans, que la fatalité l’emportera inexorablement pour lui, et ce quoi qu’il advienne - soit l’un des grands crédos du film noir.
L’espace qui s’ouvre à Nico apparaît donc sans échappatoire. Tout juste hors-les-murs, il demande à son ami Titi de l’emmener à la plage mais n’y trouve aucune perspective. Ne restent plus que la tombe de son père, les souvenirs ressassés, et surtout l’épaule de sa mère pour essayer de contempler l’avenir avec sublimation. Mais cette dernière ne le renvoie malgré elle qu’à l’adulescent déboussolé et fougueux qu’il était. En cela, "Mon Milieu" fait montre de justesse voire quelquefois d’une certaine beauté, dans son économie de moyens et sa résolution de ne pas seulement raconter le gangstérisme au gré d’archétypes. De plus, en dépit d’une accumulation de scènes de dialogues - en général interprétées avec tact et profondeur -, le long-métrage sait distiller la tension, saupoudrant en creux un zeste de suspense jusque dans les échanges les plus prosaïques. Le jeu parfois habité des acteurs principaux, à commencer par Milo Chiarini (ici personnage principal et réalisateur), Nicolas Morazzani ou encore Andrea Dolente, y contribue largement.
Pourtant, si "Mon Milieu" se garde un temps subtilement de toute lassitude malgré sa construction un peu monomaniaque, son dispositif exclusivement composé de plans serrés finit par se fissurer une fois arrivé à mi-parcours. Pas que l’idée ne soit pas intéressante, loin de là, celle-ci permettant à la mise en scène de dire beaucoup sans avoir à viser l’emphase ni sur-écrire. Malheureusement, une sensation de monotonie s’installe par manque d’inventivité et de réelles propositions formelles - on finit par étouffer un peu et chercher plus de matière. Dommage, d’autant que ce choix minimaliste d’un vase-clos expurgé de toute tentative d’explicitation politique ou de vaine peinture d’un déterminisme social - pour illustrer les trajectoires délétères des uns ou des autres - sort un peu des sentiers battus. On se trouve en tout cas à des années lumières des intrigues tapageuses exsangues et dégoulinantes renvoyant laborieusement dos à dos les bandits et forces de l’ordre à leur poursuite - tels les films d’Olivier Marchal à la "Bronx" (2020), "Overdose" (2022) et consorts. Ce qui ne suffit certes pas tout à fait à convaincre pleinement.
L’autre limite notable de "Mon Milieu", long-métrage malin que l’on aurait aimé apprécier de bout en bout, concerne sa dramaturgie. Lorsque le personnage de Nico déborde et revient subitement à ses démons dans le dernier tiers, l’écriture perd paradoxalement en intensité. Dès lors, la mise en scène déploie un peu d’action au gré des règlements de compte. De même que la colère, jusqu’alors rentrée, des protagonistes, éclate. Or, quelque chose sonne brusquement faux et une partie du château de cartes s’affaisse - la faute notamment à l’écriture un peu expédiée, mais surtout aux ralentis et à la musique manquant de finesse, ou encore à l’expressionnisme final plutôt maladroit des acteurs (dans ce cas, les gros plans du dispositif focalisés sur les visages n’aident pas car ils ne laissent pas vraiment de place à l’erreur).
Un peu enserré par son dispositif et alourdi par quelques scènes finales pas toujours réussies, "Mon Milieu" ne saurait toutefois se résumer à ses seuls écueils. Car cette idée d’appréhender des gangsters non pas au travers de leurs délits mais par le biais de relations sociales d’habitude reléguées hors-champ, demeure pertinente. D’autant que les acteurs parviennent souvent à leur donner une réelle consistance.
"Mon Milieu" est sorti en salles le 19 juin 2024.