- Réalisateur : Jamie Payne
- Acteurs : Idris Elba, Andy Serkis, Cynthia Erivo, Dermot Crowley
- Séries : Luther
Les aventures du détective John Luther passent au format long-métrage, et ça déménage.
Luther, Soleil déchu
De : Jamie Payne
Avec : Idris Elba, Cynthia Erivo, Andy Serkis, Dermot Crowley
Genre : thriller, polar, action
Année : 2023
Adaptation de la série éponyme, "Luther, Soleil déchu" oscille entre le polar noir et une tonalité fantastique façon film de super-héros. Quoique versatile, le résultat brille grâce à une intrigue rythmée et à une atmosphère pénétrante…
Obnubilé par une affaire de meurtre laissée en suspens, John Luther, génial enquêteur tombé en disgrâce suite à ses excès, s’évade de prison afin de pourchasser un épouvantable serial-killer.
En l’espace de cinq saisons le plus souvent marquantes, "Luther" (BBC One, 2010-2019) a su insuffler un remarquable renouveau à l’exercice rebattu de la série policière. Son créateur Neil Cross ne peut cacher son admiration pour des limiers comme Columbo, Sherlock Holmes ou encore Jack Bauer ("24 heures chrono"). Et cela tombe bien puisque le showrunner télescope précisément ces figures iconiques pour esquisser le personnage de John Luther, incarné entre flegme et impétuosité par Idris Elba. Aussi génialement intuitif que méchamment tourmenté, ce colosse de flic pas comme les autres, avec son étonnante démarche chaloupée, fulmine et hypnotise. Vengeur insatiable (quitte en chemin à s’affranchir des règles et autres protocoles policiers), Luther déambule dans un Londres lugubre pour sauver les victimes de psychopathes. Avec encore une fois à l’horizon cette atmosphère angoissante et polaire, quelque part aux frontières du réel, où le mal frappe lorsque l’on s’y attend le moins.
Ces ingrédients phares de la série originale, le créateur Neil Cross et le réalisateur Jamie Payne les fusionnent avec brio dans le film "Luther, Soleil déchu" – on notera la finesse discutable du titre. On retrouve donc à travers le personnage de Luther ce mélange si singulier d’intellectuel à la Holmes et de gros bras à la Bauer – sans compter quelques faux airs à la James Bond. De même, l’élégante photographie bleutée et glaciale – que l’on dirait tirée de l’œuvre de Gregory Crewdson – sonne présent. Tandis que le film restitue le même dispositif de polar inversé : il ne s’agit non pas de savoir qui assassine, mais au contraire d’attraper ce meurtrier frénétique dont on connaît le visage. Car à l’instar de la série, le film présente d’entrée de jeu le coupable – ici porté avec folie par l’inimitable Andy Serkis. Or, ce focus liminaire sur le serial-killer, dont l’apparition renvoie toujours autant à "Saw" (le coup du faux cadavre) voire à "Hostel" (Eli Roth, 2006), n’élude en rien le mystère. Comme si dévoiler ne servait au fond qu’à réitérer éternellement la même énigme insoluble : comprendre l’irruption brutale et inattendue de la mort, entre anxiété urbaine et terrorisme latent. Mastodonte au cœur tendre suspendu à un fil usé, Luther tente ainsi désespérément et par tous les moyens de protéger les victimes potentielles, dont celles qu’il ne parviendra jamais à soustraire au crime.
Son expiation ou sa réhabilitation attendront, car Luther n’a d’yeux que pour la traque et le salut des innocents. Tel un fauve reclus, le protagoniste s’agite et s’élance malgré ses chaînes, prêt même à pulvériser les contours de l’écran. Là où la série originale "Luther" donnait pratiquement l’impression de voir émerger un justicier à la manière d’un super-héros, le film "Luther, Soleil déchu" en accentue les traits. À tel point que le polar classique bascule encore dans une autre dimension, celle-là nettement plus allégorique et même en creux fantasmagorique – à l’image du final james bondesque. Le protagoniste Luther nous apparaît dès lors comme un Batman, et son antagoniste excentrique fou à lier à l’instar d’un Joker. Pour autant, quelque chose de l’intimité du réel persiste – de façon plus ludique et moins emphatique que chez Christopher Nolan. Comme si l’essence de nos angoisses contemporaines subsistait par-delà la tonalité baroque (proche des romans graphiques à la Frank Miller) et peu réaliste de la fiction. Puisque outre le spectre refoulé du terrorisme, "Luther, Soleil déchu" pointe également en filigrane – certes de façon délibérément outrancière – quelques-unes des dérives des géants de la tech (dont est issu le grand méchant du film, David Robey). Sans aller toutefois jusqu’à renvoyer les Elon Musk et consorts, n’exagérons pas non plus, à leurs hypothétiques pulsions de tueurs en série.
Les aficionados de la série pourront sans doute reprocher au long-métrage son extrême densité, et quelquefois son incohérence, telle la fin trop vite expédiée. Il faut dire que "Luther, Soleil déchu" prend le parti de ramasser d’innombrables péripéties en un temps record, ne serait-ce qu’en l’espace de son seul générique. Ce choix pourtant, quand bien même donne-t-il lieu par moment à des développements inégaux, bénéficie d’un formidable soin en matière de montage et de construction. Le rythme de l’intrigue, des scènes d’action survitaminées habilement mises en scène aux analyses plus psychologiques, y contribue d’ailleurs largement. Certains n’y verront que le petit avant-goût d’une sixième saison plus prolixe, d’autres une digression confuse entachant l’œuvre initiale. Il n’empêche que pour un hors-d’œuvre, "Luther, Soleil déchu" se paie le luxe de déconstruire à la fois le polar et le film de super-héros voire d’espionnage. Une performance louable qui exploite plutôt bien les particularités du format « cinéma ».
Adapté de la série "Luther", le film "Luther, Soleil déchu" est disponible sur Netflix.