- Auteur : Clément Milian
Un Conte parisien violent est un roman qui fait mal avec dans le rôle principale une jeune ado laissée seule par ses parents, et qui en pleine été n’a d’autres fréquentations que les toxicos de la place Stalingrad à Paris. Comment tout cela pourrait-il se finir bien ? Clément Milian nous en parle...
Bepolar : Comment est née l’idée de ce nouveau roman ?
Clément Milian : Elle est partie de la rencontre entre les deux personnages principaux : Salomé, l’adolescente tête brûlée, et Mama, le clochard semi psychotique. C’est le calque d’une rencontre que j’ai faite adolescent, et qui m’a pas mal marqué, donc c’était une manière indirecte de parler de ça. J’aime le contraste entre les deux personnages : la gamine un peu garçon manqué, qui a l’air dure et qui ne l’est pas tant que ça, et le clochard qui a l’air d’une épave et d’un fou mais qui s’avère un type plus intéressant qu’on croit. De cette rencontre naît la question qui est pour moi au centre du roman : jusqu’à quel point on peut faire confiance à quelqu’un de détraqué ? Est-ce qu’on doit limiter nos amitiés aux seuls gens sains d’esprit et « fiables » ? Qu’est-ce que ça dit de nous ?
Bepolar :On y suit Salomé qui un été caniculaire est laissée seule plusieurs jours durant chez elle par ses parents. Seule sa sœur lui rend visite de temps en temps. Elle passe surtout ses journées avec les toxicos et dealers de drogue de Stalingrad à Paris. Comment vous la voyez cette Salomé ? Comment pourriez-vous la présenter ?
Clément Milian : Salomé est un adolescente de 14 ans qui est un peu garçon manqué et passe ses journées à zoner Place Stalingrad avec les clochards et les dealers. Elle s’est construite contre sa sœur, qui est le prototype de la « nana cool », tatouée, sapée, branchée, etc. Salomé est « en rébellion à tout prix », elle est à cet âge où on confond ce que l’on croit désirer et ce qu’on copie ou rejette chez les autres. Elle tient un peu de moi, ado, et de comportements que j’ai peu observer. Elle représente, surtout, la pulsion adolescente qui cherche le risque, qui est un peu suicidaire. Quand on est ado, on sort du cocon, on a envie de se jeter dans le vide pour voir ce qu’il y a tout en bas. C’est un mélange de peur, de naïveté, de provocation, et d’autres choses. Salomé c’est un peu tout ça. A la fois un être singulier, et une adolescente. Elle est comme nous, pleine de contradictions.
Bepolar :Vous parler de la misère de Stalingrad, des drogués et des vendeurs de drogue, mais aussi des troubles psychiques de certains. Vous vouliez faire une sorte de radiographie sans non plus tomber dans un excès de misérabilisme (ce que vous ne faites pas) ?
Clément Milian : Oui en effet je préfère éviter le misérabilisme. La question est de traiter cette montée de la clochardisation à Paris sans juger qui ou quoi que ce soit, mais sans non plus se voiler la face. Il y a des quartiers qui sont des concentrés de détresse et de misère absolues. Mais je ne prétends pas faire de la politique, ce serait hypocrite, parce que je me sers moi-même de ça, j’en fais ma tambouille, une espèce de tableau sinistre.
Bepolar :Pourquoi aviez vous envie de parler de cette place, de ce lieu ?
Clément Milian : Je parle de la Place Stalingrad parce que j’y ai vécu pendant cinq ans et que je la connais bien. J’aime situer les histoires dans un lieu véritable même si ce n’est pas forcément pour en faire un portrait réaliste. Le Quartier Stalingrad / La Chapelle représente une zone de Paris qui refuse de changer. On y « stocke » tout ce dont le reste de la ville ne veut pas : les clochards, mais aussi les junkies et les migrants qui souvent deviennent l’un ou l’autre. Il y a eu des tentatives de gentrification, mais pour plusieurs raisons, ça n’a pas marché. Ces quartiers restent assez décadents : on y croise des familles bourgeoises qui trimballent leurs poussettes, au milieu des junkies ou de types totalement désarçonnés qui font caca dans la rue en plein jour. Le contraste est un peu vertigineux. Je noircis le tableau : ce n’est pas la fin du monde du matin au soir, mais il y a une tension évidente.
Bepolar : Il y aussi la question de l’adolescence, et particulièrement de la démission parentale pendant cette période (son père n’est jamais là et sa mère est en déplacement pour plusieurs jours). C’est une jeune fille face à elle même, dans une période sans école et sans adulte responsable. Vous vouliez la voir évoluer seule dans ce contexte d’ennui et d’été ?
Clément Milian : L’évolution dont vous parlez est venue à mesure, il n’y avait pas vraiment d’intention au départ. J’aime les intrigues simples, au moins en apparence, comme dans les romans noirs des années 50 ou 60, qui tenaient parfois presque plus du drame social dur que du roman policier ; ainsi des livres de Jim Thompson, David Goodis, Jean Meckert ou de Frédéric Dard (avant qu’il ne devienne San Antonio), qui ne dépassaient jamais les 200 pages. Un Conte Parisien Violent suit une logique de thriller, très simple. J’avais cette volonté de faire un livre tendu, sec. Réduire le tout à un lieu, un été, ça rendait la chose plus simple, plus imagée, plus identifiable aussi. D’isoler le personnage en dit beaucoup sur son caractère et sur son environnement. Aussi, fondamentalement, ça le fragilise. Il ne faut pas oublier que quand on écrit, on essaie de raconter des choses sur la vie, mais on a aussi un besoin d’efficacité, on utilise des « trucs » de narration. Tout n’est pas qu’une intention artistique. Un écrivain n’est pas forcément quelqu’un de très honnête. Ainsi, l’environnement dur de la Place Stalingrad, la fragilité du personnage de Salomé, son isolement, étaient aussi pour moi des « moyens » pour installer de la tension dans le roman.
Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez que vos lecteurs et lectrices retiennent une fois la dernière page tournée ?
Clément Milian : J’ai personnellement du mal avec la littérature à message, je suis plus du côté de personnages et de leur ambiguité. J’ai essayé d’écrire une histoire intense et marquante. Si les lecteurs peuvent emporter avec eux un peu du personnage et des dialogues qui sont volontairement extravagants, un souvenir mêlé d’humour noir, d’horreur et de choses plus touchantes et humaines, ça me va très bien. J’aime l’idée que quelque chose d’affreux soit aussi dans le fond un peu grotesque, et vice versa. C’est pareil avec Salomé : c’est une adolescente, elle est pénible, et en même temps c’est une gamine fascinante avec une personnalité radicale. De même avec Mama : il est effrayant et sympathique à la fois.
Bepolar :Quels sont vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Clément Milian : Je développe actuellement un autre projet qui a lieu dans le même « univers du squat » que Planète Vide et Un Conte Parisien Violent (les romans ne se suivent pas mais on y retrouve toujours ce même lieu). Je travaille aussi à un autre roman situé dans l’univers médiéval de mon livre précédent, Le Triomphant. Et d’autres choses. Mais j’ai beaucoup de mal à me projeter : tout peut arriver, il y a des projets sur lesquels on travaille longtemps qu’on abandonne finalement, et d’autres qui naissent assez vite et qui prennent au final le pas sur les vieux projets. On verra bien !