- Réalisateur : Yann Gozlan
- Acteurs : Aurélien Recoing, André Dussollier, Pierre Niney, Lou de Laâge
- Distributeur : StudioCanal
- Nationalité : Français
Suspense parano dans les arcanes de l’aviation civile, Boîte Noire utilise admirablement la rhétorique de l’image des thrillers américains. Force est toutefois de constater que ses séduisants atours cachent une coquille vide…
Mathieu Vasseur fait partie du département investigation du BEA, une entreprise spécialisée dans l’analyse des défaillances aéronautiques de l’aviation civile. Alors que vient d’avoir lieu le crash d’un vol Dubaï-Paris, ce brillant technicien se retrouve écarté puis réintégré à l’enquête sur cette catastrophe aérienne devenue retentissante. Son investigation, notamment son étude de la boîte noire, l’amène à envisager un scénario bien différent de celui retenu par les premiers experts missionnés. Sa quête de vérité devient très vite obsessionnelle, quitte à le mettre en danger…
Plan-séquence atmosphérique à la Panic Room de Fincher (2002), déluge de gros plans syncopés et méticuleux pour décrire la capacité d’écoute quasi surnaturelle du personnage central… Boîte Noire ne fait pas dans la retenue en matière de réalisation. Un sac qui s’ouvre, une main qui pianote sur une commande de contrôle, ou encore sur un potentiomètre pour régler le volume sonore d’un enregistrement de la boîte noire, le flot d’images fétichistes ne cesse d’étaler son savoir-faire. Chaque scène ou séquence semble systématiquement pensée pour impressionner le spectateur, le convaincre d’une maestria irréfutable. On n’est certes bien loin du cinéma de Michael Bay - il y a beaucoup plus de finesse ici -, mais mieux vaut ne pas tomber dans le piège de sa virtuosité. Du cadrage au découpage en passant par la musique, chaque détail de la mise en scène dégage, par excès de grandiloquence, une certaine vanité, non sans briller le temps de quelques instants fugaces. Or, toute cette artillerie fait un peu toc lorsque l’on gratte un peu sa jolie vitrine. Si bien que Boîte Noire en vient quelquefois à incarner étrangement le même type de technocratie, la même perfection angoissante que la société désincarnée dénoncée par son pitch. Ainsi, le film de Yann Gozlan fonctionne très bien et sait sans aucun doute poser une ambiance. À ceci près que le luxueux enrobage de Boîte Noire dissimule une certaine vacuité et c’est bien dommage.
Le long-métrage, très (trop ?) influencé par les grands thrillers paranoïaques, n’en oublie pas cependant de dessiner un suspense relativement efficace, sur le mode pop-corn. La sensation de claustration, réussie, se propage à deux niveaux : via la focalisation interne de Mathieu Vasseur, le personnage central incarné par Pierre Niney, et à travers l’entre-soi nauséabond du petit monde des cadres supérieurs de l’aviation civile - une armée de clones aux dents longues, aussi interchangeables qu’impitoyables. Boîte Noire puise l’une de ses forces - la plongée au coeur des sensations - dans son pointillisme à la façon du film Le Chant du Loup (2019). Le héros se retrouve en effet investi et présenté de la même manière que l’oreille d’or du film d’Antonin Baudry, avec des capacités hors-norme et une éthique à toute épreuve. L’ennui est que le film de Yann Gozlan ne cesse jamais de se prendre au sérieux. Aucune once d’humour ne permet de dérégler ou de relever sa recette, beaucoup trop prévisible.
On aimerait pourtant saluer sa logique de thriller parano à la Blow Up, Blow Out, Conversation secrète, etc., car Boîte Noire ne lésine pas en faux-semblants. Mais tous les pièges et chausse-trapes qui se déploient autour du personnage principal ne permettent jamais d’atténuer l’impression générale de belle coquille vide. Même en frisant le virtuose, avec sa direction artistique réussie, son sound design pénétrant (à défaut d’une partition mémorable) et sa direction d’acteurs convaincante, la spontanéité fait partout défaut. Les automatismes sont ceux des grands thrillers américains, avec de nombreux très gros plans pour créer l’incertitude et donc un découpage très pointilliste. Bien que percutant et d’assez bonne facture, ce mimétisme manque continuellement de respiration. Le schéma contrefait ainsi plutôt qu’il ne crée une matière authentique. D’une prévisibilité sans nom, avec des protagonistes in fine trop caricaturaux, qui portent souvent un peu trop vite sur eux leur fourberie, Boîte Noire déçoit presque toujours. Quant à la musique, un temps discrète et plaisante, elle finit également par se perdre dans l’emphase et l’outrance.
Occupé à s’ébahir devant ses quelques jolies pirouettes, souvent trop long (il y a très peu de matière, en définitive), Boîte Noire a tendance à se regarder dans un miroir avec suffisance. Une autosatisfaction qui cache une écriture parfois confuse, notamment concernant les protagonistes - quid de la misophonie de Mathieu, cette phobie du bruit qui l’assaille par moment et semble totalement absente à d’autres, au gré des caprices du scénario ?
Souvent très propre mais impersonnel, parce que trop mécanique et ronflant, Boîte Noire ne suscite jamais vraiment de réelles émotions - on est définitivement très loin des angoisses viscérales occasionnées par les scénarios tortueux des Blow Out et autres Conversation secrète. Reste un divertissement convenable, bien photographié, mais qu’on oubliera très vite.
Boîte Noire est disponible sur Canal + jusqu’au 27 avril 2022.