- Réalisateur : Zach Cregger
- Acteurs : Georgina Campbell, Justin Long, Bill Skarsgård
Barbare
De : Zach Cregger
Avec : Georgina Campbell, Bill Skarsgârd, Justin Long
Genre : thriller, horreur
Pays : États-Unis
Année : 2022
Derrière ses jump scares et ses figures attendues du cinéma d’épouvante, "Barbare" glisse un sous-texte politique assez passionnant. Où la réflexivité, très ludique, se cache bien à propos dans les profondeurs.
Dans sa manière de revisiter avec "Barbare" les codes les plus éculés du cinéma d’épouvante – à la limite du divertissement – pour en extraire une critique corrosive du contemporain, le réalisateur américain Zach Cregger rappelle Jordan Peele, le papa de "Get Out" (2017), "Us" (2019) et "Nope" (2022). Avec la même volonté notamment de malaxer l’horreur pour faire advenir la satire sociale et pointer le racisme larvé, les deux hommes adoptent une posture résolument politique. Déconstruction ambitieuse qui ne se voit certes pas toujours couronnée de succès de part et d’autre, mais qui a le mérite d’écorner assez finement le torrent ordinaire de fictions stériles ne se contentant de réinvestir le genre horrifique par seul opportunisme.
De prime abord, "Barbare" ressemble à un thriller horrifique comme tant d’autres, de ceux convoquant toutefois il est vrai en amorce certaines mimiques héritées de "Suspiria" (Dario Argento, 1977) – via le travail sur la lumière en clair-obscur, l’environnement périphérique et désaffecté, ou encore le personnage féminin esseulé. Tess (Georgina Campbell, redoutable), une jeune femme, arrive devant la location Airbnb qu’elle a réservée dans la banlieue de Detroit. Étrangement silencieuse, toute la rue est plongée dans l’obscurité et pas une lumière ne s’échappe des maisons alentours, dont on ne distingue que les silhouettes inquiétantes. En quelques plans sinistres agrémentés très furtivement par des coups d’archets stridents, "Barbare" semble s’inscrire dans la lignée des films de maison hantée. Au gré d’une économie de moyens remarquable, la terreur s’installe alors immédiatement. Mais non contente de coudoyer les ténèbres du quartier en cherchant comment ouvrir la porte de sa location, Tess doit bientôt composer une fois à l’intérieur avec un imprévu : la maisonnette est déjà occupée par un autre locataire, Keith (Bill Skarsgârd, débordant d’ambiguïtés). S’ensuit dès lors leur rencontre inopinée et forcée. Malaise que la mise en scène retranscrit subtilement le temps d’un petit huis-clos paranoïaque et flirtant, mine de rien, avec les démons de l’ère me too. La claustrophobie et le péril exsudent alors de partout et de nulle part à la fois.
Or, l’hostilité ne se niche pas tant dans l’énigme de l’altérité que dans d’autres tréfonds, plus enfouis – ici une excavation secrète mise au jour par hasard. La caractérisation des protagonistes compte beaucoup dans l’expérience de "Barbare" : Keith est un passionné de jazz à la recherche de maisons abandonnées susceptibles d’accueillir un collectif d’artistes, tandis que Tess investigue justement (en vue d’un documentaire) sur les artistes vivant dans les quartiers pauvres de Detroit. La configuration de cette petite maison isolée et restaurée selon les conventions contemporaines qu’ils occupent, bâtisse perdue au milieu d’un quartier exsangue que les habitants ont tous fui depuis fort longtemps, parle d’elle-même : elle renvoie précisément à cette dimension qu’incarne malgré lui Keith ou que sonde Tess, à savoir la gentrification. De fait, "Barbare" en passe par l’horreur pour dénoncer l’aseptisation rampante, soit en l’occurrence le mécanisme selon lequel une population d’un quartier populaire se voit progressivement remplacée par une couche sociale nettement plus aisée. Cette semonce prend d’ailleurs une tournure épouvantable une fois le jour levé : achetée par un propriétaire n’ayant jamais mis les pieds sur place, la maison sans âme apparaît comme l’unique bâtiment dans les environs à ne pas être à l’abandon ou en ruine. Même extrapolée dans une intention d’effroi, l’allégorie tombe sous le sens : la gentrification sous tend un paradoxe inconciliable. Comment faire table-rase du passé et substituer tout à coup à l’histoire d’un espace donné une forme artificielle désincarnée ?
Ainsi le passé, malgré tout, ne passe pas. Et c’est là tout l’enjeu de "Barbare" que celui de le faire littéralement remonter à la surface. Sous la maison, se cachent en effet des galeries souterraines labyrinthiques sans fond peuplées de rednecks qui survivent dans les entrailles de la demeure. Pour donner corps à l’horreur et à l’angoisse tout autant qu’à la satire sociale, les influences évoquent sous terre autant le reboot de "La Colline a des yeux" (Alexandre Aja, 2006) que "Rec." (Paco Plaza & Jaume Balaguero, 2007), avec en creux également quelques échos du cinéma de George A. Romero.
Pourtant, "Barbare" ne bascule pas à corps perdu dans l’horreur comme l’on pourrait s’y attendre. Ou du moins le film ne s’y attarde pas outre mesure, préservant aussi en cela les nerfs de ses spectateurs. Car sa radicalité se juche davantage dans sa charge contre la bourgeoisie venue en quelque sorte – en partie malgré elle sous l’influence du conformisme sous-jacent – vampiriser les classes populaires à l’agonie, que dans sa contemplation du monstrueux. En témoigne le focus, à l’extérieur de la sournoise maison, consacré au personnage insupportable d’AJ (Justin Long). Certes, le retour à l’abominable s’avère inévitable. Néanmoins, on examine un temps l’ignominie en passant surtout au crible avec dérision AJ, son individualisme, son indifférence et ses ambitions minables. Lorsque le personnage découvre l’existence de soubassements infinis se déployant sous sa maison, le voir avec avidité mesurer la surface des espaces vaut tous les réquisitoires.
Les aficionados les plus intransigeants en matière d’horreur y verront peut-être à redire quant à l’immersion. Il n’empêche que "Barbare" réserve une expérience, sur le mode du survival, aussi anxiogène que sarcastique. Ironie politique non dénuée de substance, même comme ici en proie au déséquilibre entre entertainment et dynamique réflexive. Enfin, sa mise en scène photogénique et minimaliste fourmille d’idées, entre classicisme et avant-garde.
"Barbare" est disponible sur Netflix.