3 raisons de regarder The Power of the Dog
- Réalisateur : Jane Campion
- Acteurs : Kirsten Dunst, Benedict Cumberbatch, Jesse Plemons
Jane Campion donne sa vision du western : un thriller psychologique où les cowboys semblent condamnés à devenir des monstres masculinistes. Duels sous haute tension dans le néant troublant de l’Ouest américain.
Quelque part dans la vallée du Montana, au début du 20e siècle. Phil (Benedict Cumberbatch) et Georges Burbank (Jesse Plemons) sont deux frères que tout oppose et dont le passé (à commencer par le mentor décédé de Phil, Bronco Henry) semble cacher des souvenirs épineux, du moins indicibles. Animal et changeant, Phil fait l’effet d’un tyran à la fois brillant et impitoyable. Quant à Georges, il cache derrière son flegme et sa méticulosité une véritable bienveillance. Tous les deux dirigent un immense ranch isolé de toute modernité. C’est dans ce cadre que Phil s’adonne le plus souvent à un simulacre de virilité crasse. Bientôt, Georges épouse secrètement Rose (Kirsten Dunst), une jeune veuve dont le fils prénommé Peter (Kodi Smit-McPhee) fait montre d’une sensibilité à fleur de peau. Fou de rage, Phil décide d’anéantir cette union, de briser la féminité de Peter et l’équilibre du foyer…
L’espace de quelques séquences, le spectateur pourrait presque s’imaginer dans une intrigue voisine de "La Leçon de piano" (Palme d’or de Jane Campion en 1993). Où le destin d’une femme - ici Rose et non plus Ada – en viendrait à traverser moult péripéties avant de trouver la liberté. Mais Jane Campion multiplie volontairement les fausses pistes. L’on pense aussi suivre la trajectoire de Phil ou de Georges, mais c’est finalement celle de Peter qui importe ici sans doute le plus. Ainsi, la réalisatrice néo-zélandaise ne cesse de brouiller les voies pour mieux nous perdre.
Comme toujours chez Campion, la photographie s’avère splendide, pétrie de symboles et de métaphores qui font sens – le plan cadrant Peter au clair de lune en marge de la maison est un tableau inoubliable. Les plaines solaires et désertes du Montana, le clair-obscur de la demeure, le ranch labyrinthique, la nature sauvage… la cinéaste filme tout cela en dentelière impitoyable, qui toujours ménage son suspense et répand le mystère. Qui de Phil, Georges, Rose ou Peter va craquer le premier, va basculer ? Rares, les dialogues sont d’une épaisseur abyssale. Chaque mot, parfois, rajoute à la tension et même à l’ésotérisme. La musique de Jonny Greenwood (guitariste ou encore claviériste du groupe Radiohead) participe énormément de cette atmosphère nébuleuse et sombre – le musicien avait réalisé un travail assez semblable dans l’approche pour un autre thriller mystique : "There Will Be Blood" de Paul Thomas Anderson.
Les thèmes explorés par Jane Campion avec "The Power of the Dog" sont nombreux, à commencer par le western crépusculaire, qu’elle sonde comme un genre malade. Comme souvent, la domination masculine affleure partout. L’histoire semble en effet un temps disséquer les codes auxquels la masculinité doit se conformer sous peine d’être réduit à néant, de déchoir ou de disparaître aux yeux des autres, des bien-pensants. Puis la réalisatrice ausculte bien sûr le devenir de la femme au cœur de cet écheveau, mais aussi l’homosexualité, refoulée ou non – principale composante ici sans doute. Plus étonnante, une dynamique quasi fantastique paraît émerger de "The Power of the Dog", notamment dans les déambulations sauvages, illuminées et contemplatives de Phil – Peter sera le seul à le percevoir tout entier par-delà ses masques virilistes. L’énigme des vaches malades, par exemple, achève de plonger le film dans des arcanes aussi fascinants qu’insondables.
Nul doute que tout cela se trouve réunit que dans un unique but : aux fins d’une montée en tension ouatée à la combustion lente, qui progresse avec langueur et pourtant sans jamais s’arrêter. La subtilité avec laquelle Jane Campion manie le thriller psychologique est dantesque. C’est un petit jeu de dupes. On sait que le couperet va s’abattre, on le pressent dans les secondes, mais l’explosion se voit chaque fois différée. Il n’y a pas de frustration, mais au contraire une incertitude qui installe un sentiment poisseux et génialement insoutenable. Cette tension est irrésistible, toxique et envoûtante. C’est en somme l’histoire universelle d’une horreur en sous-pente où l’on ne sait quel personnage engloutit réellement l’autre ou si l’un d’entre eux mérite le salut. Benedict Cumberbatch n’a jamais été aussi brillant, effrayant et surprenant.
Adapté du roman éponyme de Thomas Savage, "The Power of the Dog" est disponible sur Netflix.