- Réalisateur : Jérôme Salle
- Acteurs : Gilles Lellouche, Joanna Kulig
Invraisemblable ou distrayant ? Relecture filandreuse des histoires de faux coupables à la Hitchcock, "Kompromat" se moque de toute plausibilité. Seule compte pour lui la traque rebondissante d’un homme au-dessus de tout soupçon. Notre avis.
Mathieu Roussel, diplomate français, travaille en Russie à Irkoutsk comme directeur de l’Alliance Française. Brusquement enlevé sous les yeux de sa fille, il est victime d’un « kompromat » : de faux documents ont été produits par les services secrets russes pour justifier son emprisonnement arbitraire. Sur le point de rester derrière les barreaux de longues années, Mathieu n’a d’autre choix que de s’enfuir à ses risques et périls…
À l’heure où l’actualité géopolitique semble rejouer en creux les innombrables films d’action 80’s/90’s sur fond de guerre froide, "Kompromat" apparaît fatalement dans l’air du temps. Sans mauvaise blague, disons que le film de Jérôme Salle ("Largo Winch", "Zulu", "L’Odyssée"…) tombe en tout cas à pic de par les préoccupations de son intrigue – probablement un peu trop. Dire que l’on guettait outre mesure l’arrivée de "Kompromat" au cinéma serait fabulation. Et pourtant, ce thriller aux gros sabots s’avère pour partie moins inachevé qu’escompté. Car si ses maladresses scénaristiques foisonnent, sa réalisation – hormis dans son dernier segment, plus problématique – apparaît plutôt acceptable voire convenable. Ce qui rend l’expérience sinon satisfaisante, tout du moins supportable.
Quoique résolument axé suspense et action, "Kompromat" dispose d’enjeux secondaires assez proéminents. Jérôme Salle et son équipe explorent d’une part la dimension du choc des cultures à travers le personnage de Mathieu, français dérouté par des coutumes et mœurs russes qu’il peine à maîtriser ou à comprendre pleinement. C’est d’ailleurs précisément ce hiatus qui perd le personnage, lui qui s’ingénie à affirmer une culture française spécifique dans un espace justement très peu réceptif à cette dernière. Cependant, les quelques divergences entre français et russes – public indigné devant un ballet qui narre l’histoire d’amour entre deux hommes, nourrice outrée devant un père en tutu jouant avec sa fille, etc. – sont développées avec une extrême balourdise. Si bien que les stéréotypes pullulent sans réelle réflexion de fond. Résultat, le message fait vraiment toc et sonne comme un prétexte pour surtout enrober et justifier le thriller.
Le réalisateur s’intéresse d’autre part (un peu) à son personnage central, et ce pour distiller un versant mélodramatique. Le couple que forme Mathieu avec son épouse apparaît clairement dysfonctionnel. Si quelque chose de l’ordre de l’amour affleure dans sa relation avec sa fille, son mariage se révèle bel et bien au bord du chaos. D’où l’ajout d’une altérité en guise de rédemption affective, sorte d’âme sœur, forcément : Svetlana, coup de foudre indomptable. Épouse malheureuse d’un vétéran de la guerre de Tchétchénie, cette dernière est aussi la belle-fille d’un ponte du FSB d’Irkoutsk – le genre de femme fatale dont il ne faut pas trop s’approcher. La relation entre Mathieu Roussel et Svetlana ressemble étrangement à celle unissant Zula et Wiktor, les amants maudits du film "Cold War" (2018). D’autant plus que "Cold War" et "Kompromat" font appel à la même actrice, Joanna Kulig – dont le magnétisme irrésistible et âpre à la fois rappelle Simone Signoret. Difficile à ce titre de ne pas soupçonner le scénario de "Kompromat" d’exploiter sciemment le caractère romanesque du film de Pawel Pawlikowski. Malgré l’envoûtement procuré par Joanna Kulig – qui vole, chaque fois qu’elle apparaît à l’écran, la vedette à Gilles Lelouche –, ce romantisme forcené fait lui aussi factice ou surnuméraire.
Or, toutes ces tonalités subsidiaires échouent le plus souvent à épaissir le suspense de "Kompromat". Seule la séquence de l’assignation à résidence à la rigueur, parce que plus rigoureuse et contemplative, permet d’intensifier en sourdine les sursauts d’action à venir. Parce que par-dessous ses arguments plus ou moins sincères – la mise en évidence de l’autoritarisme du régime russe, les biais culturels et amoureux, l’hypocrisie de la diplomatie –, "Kompromat" incarne avant tout un film d’action dans la plus pure tradition hitchcockienne : celle du faux coupable. Tel le Roger Thornhill de "La Mort aux Trousses", Mathieu devient héros malgré lui, quitte à se transformer en cet agent secret pressenti fallacieusement par Paris. Et à cet égard plus minimaliste, honnête et moins ampoulé, "Kompromat" s’en sort parfois avec quelques honneurs. Certes, l’héroïsme finit par tourner à la caricature en fin de parcours – par exemple lors de la scène de combat contre un sbire du FSB aux faux airs de Vladimir Poutine. Mais cela n’empêche pas le long-métrage de divertir et d’intriguer ici ou là, même si cette évasion d’Irkoutsk fait bien pâle figure en comparaison de celle d’un Michel Strogoff. Dommage que tout le dernier chapitre de "Kompromat" – y compris l’étreinte façon "Titanic" ou encore l’arrêt sur image final –, lesté par une écriture bâclée, une caméra virevoltante intempestive et une musique pénible, vienne ternir le tableau.