Avec Le Murmure des Hakapiks, Roxanne Bouchard nous entraine dans le monde spécial de la chasse aux phoques. Un thriller étouffant et passionnant !
Bepolar : Qu’est-ce qui fait un bon polar selon vous ?
Roxanne Bouchard : Excellente question.
Je ne suis pas d’emblée une lectrice ni une autrice de polars. J’ai étudié la littérature française et j’enseigne la littérature québécoise depuis des années.
Quand j’ai écrit le premier tome de la série Moralès, je n’avais pas conscience d’écrire de la littérature policière ; je voulais écrire un roman marin. C’est l’histoire d’une jeune femme, Catherine, qui cherche des réponses à une vide existentiel qu’elle ressent et qui va en Gaspésie, à presque 10 heures de route de Montréal, sur le bord de la mer, pour rencontrer sa mère biologique, Marie, qui est marin. Or, deux jours après l’arrivée de Catherine, un pêcheur remonte le corps de Marie dans son filet de pêche. Comment Catherine va-t-elle réussir à trouver les réponses qu’elle est venue chercher ? Pour moi, c’était ça, l’histoire de Nous étions le sel de la mer. Mais bon. Puisqu’il y avait une morte, ça me prenait un enquêteur, alors j’ai inventé Moralès.
Nos livres vont rarement où on croit qu’ils iront. Une fois l’impression lancée, ce ne sont plus nos livres.
Une maison d’édition de Londres, Orenda books, a acheté les droits anglophones de ce roman. Je ne m’y attendais pas du tout, je me disais : « Comment ça se fait que cette histoire de petit village gaspésien peut intéresser des lecteurs du Royaume-Uni ? » Mon éditrice, Karen Sullivan, m’a répondu qu’elle aimait l’ambiance, qui lui rappelait les polars nordiques, les villages de pêche, l’enquêteur désorienté, et elle m’a dit : « Je n’achète pas un roman policier ; j’aimerais que tu m’écrives une série. » C’est là que, pour la première fois, mon roman a été classé dans le polar.
C’est là aussi que j’ai commencé à lire avec plus de sérieux des romans policiers, à en comprendre les codes et à identifier ce que j’aime des polars : la souplesse narrative de Dennis Lehanne, la description de l’Afrique postapartheid de Deon Meyer, la lente tension d’Andrée A. Michaud, les intrigues juridiques de Connelly. Au fond, c’est moins l’histoire de l’enquête, mais l’histoire de l’enquêteur et de son univers qui m’intéresse. J’ignore si c’est ça, un bon polar, mais puisque c’est ce que j’aime, c’est ce que j’essaie de raconter.
Bepolar : Le Murmure, c’est un livre dur, avec des personnages plutôt bruts, dans un climat pas forcément favorable, celui du Grand Nord en hiver. Vous aviez envie de bousculer un peu vos lecteurs et lectrices ?
Roxanne Bouchard : Mon deuxième roman de cette série, c’est vraiment un roman d’enquête : Angel Roberts meurt dans les premières pages, Joaquin Moralès enquête dans le reste du livre.
Quand j’ai eu publié ce « vrai » roman d’enquête, je me suis demandé ce que je pouvais écrire d’autre, qui s’apparentait à l’univers du roman noir, et j’ai eu envie de faire un thriller, voir si j’étais capable de créer un rythme haletant. C’est un peu le contraire du roman d’enquête dans la mesure où ce n’est pas l’histoire de l’enquêteur qui cherche, mais de la victime qui est en danger. Comment créer l’angoisse chez le/la lecteurice ? Il fallait m’éloigner d’une certaine poésie présente dans les deux premiers tomes pour aller vers une efficacité narrative chirurgicale, une précision des gestes, un travail minutieux sur le décor. Je voulais que ça soit étouffant.
Bepolar : Comment est née l’idée de ce nouveau roman ?
Roxanne Bouchard : Il faut dire que, côté étouffant, c’était l’époque de la pandémie. Pendant le confinement, les gens se sont retrouvés face à leurs choix, face à eux-mêmes. Beaucoup de mes connaissances ont changé d’emploi, de maison, de ville ; ont divorcé.
J’ai eu envie de mettre en scène un personnage qui se coinçait volontairement dans une situation impossible et qui devait tout affronter : les intempéries, les autres, la solitude. Un personnage qui devrait (s’)avouer qu’il avait fait des choix douloureux par entêtement.
C’est peut-être ça, un thriller, dans la vraie vie…
Bepolar : On découvre aussi ce personnage fascinant de Simone Lord, agente de Pêche et Océans, qui doit se faire accepter des pêcheurs et des chasseurs, qui est-elle ?
Roxanne Bouchard : Ce personnage, donc, c’est Simone Lord.
Elle apparait dans La Mariée de corail. Elle a fait partie de la garde côtière, jadis, et a sauvé des hommes. Sauf qu’elle y a subi de l’intimidation (parfois, il y a des crétins même parmi les sauveurs !) et qu’elle est devenue agente des pêches.
Au début du Murmure des hakapiks, l’agent Érik Lefebvre, son ami, la décrit comme une éternelle « première de classe » parce qu’elle refuse de l’accompagner en vacances et qu’elle préfère accepter d’être observatrice sur un navire de chasse aux phoques. Il lui dit qu’enfant, elle devait faire ses devoirs plutôt que d’aller jouer dehors, que, maintenant, elle se donne elle-même des devoirs, mais que personne ne lui en demande autant. Que personne ne lui demande de tout prendre en mains. Il ajoute que, devant son propre peloton d’exécution, elle serait du genre à crier : « feu ! »
On parle souvent (ici, du moins) de la charge mentale des femmes. C’est un peu ça que je voulais illustrer. Simone est un personnage tendre, qui rêve que Joaquin la rappelle, mais qui ne va pas au-devant, qui ne s’abandonne pas au bonheur parce qu’elle doit faire non pas ce qu’on lui dit de faire, mais pire : ce qu’elle s’impose à elle-même.
J’aimerais beaucoup vous dire qu’elle ne me ressemble pas.
La chasse aux phoques, c’est un bel univers, pour un thriller
Bepolar : Le cadre, c’est notamment un trafic illégal sur un chalutier. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aborder ce sujet ?
Roxanne Bouchard : C’est donc cette femme, forte, mais soumise à ses propres ordres, qui s’embarque, à titre d’observatrice, sur un chalutier qui, au pire temps de février, part à la chasse. Le chalutier est prêté par le propriétaire à son neveu, un jeune coké, qui a choisi un équipage louche : un violeur, un braconnier, un criminel.
La chasse aux phoques, c’est un bel univers, pour un thriller, car elle est dangereuse pour les hommes (je ne connais pas de femmes qui la pratiquent) qui doivent marcher sur la glace au péril de leur vie, mais aussi parce que les images de sang rouge sur la banquise blanche ont fortement marqué notre imaginaire. J’ai rencontré une quinzaine de chasseurs de phoques des Îles-de-la-Madeleine. Leurs histoires sont formidables et tellement méconnues !
Bepolar : Comment les lieux ont influencé votre histoire ? Quelle place ont-ils eu dans l’écriture ?
Roxanne Bouchard : C’est une chasse qui se pratique en lieux isolés : ici, le chalutier part des petites Îles-de-la-Madeleine pour se rendre dans un détroit où la tempête risque de se lever, où la glace peut emprisonner l’embarcation, où les communications seront difficiles, voire impossibles.
Simone s’embarque donc sur un chalutier qui part dans la pire saison faire une chasse méconnue, mais dangereuse, avec un équipage terrible. Tous les éléments me semblaient réunis pour un thriller dans lequel le paysage glacé pourrait soutenir l’effroi.
Bepolar : On y suit Joaquin Morales dans son enquête qui est-il ?
Roxanne Bouchard : C’est un enquêteur de 52 ans originaire du Mexique, mais installé au Québec depuis une trentaine d’années. Il a récemment déménagé en Gaspésie et subit un divorce qui le jette dans le silence. Embarqué avec son ami, l’agent Lefebvre, dans un bateau de touristes qui descend le fleuve St-Laurent en vue de faire des escales de ski, il sera lui aussi coincé sur un fleuve glacial, autant physique qu’émotif.
on se tue parfois soi-même, en silence
Bepolar : Qu’est-ce que vous aimeriez que vos lecteurs et lectrices retiennent de leur lecture ?
Roxanne Bouchard : Qu’on se tue parfois soi-même, en silence.
Bepolar : Quels sont vos projets, sur quoi travaillez-vous ?
Roxanne Bouchard : Ma seconde pièce de théâtre, 5 balles dans la tête, sera à l’affiche cet automne à la Cinquième salle de la Place des Arts, à Montréal, et sera publiée chez Leméac.
J’écris les scénarios d’une télésérie (adaptation de Nous étions le sel de la mer) pour les productions Sovimage (toujours à Montréal).
Et j’écris le quatrième tome de la série Moralès.
Je cherche encore à définir ce qui fait un bon polar.