- Auteur : Arnaud Cabasson
Un cadavre et sur son corps des centaines de magnifiques papillons... C’est le point de départ des Furieuses d’Armand Cabasson, super roman qui se déroule sous Napoléon.
Bepolar : Retour sous le premier Empire. Comment est née l’idée de ce nouveau roman, Les Furieuses ?
Armand Cabasson : Je suis médecin psychiatre depuis presque 30 ans. Je me suis spécialisé dans quelques domaines : les troubles de l’enfant et de l’adolescent, l’autisme, les troubles anxio-dépressifs, les troubles post-traumatiques et les mécanismes psychologiques de la violence.
Ce roman est né de deux idées.
La première : immerger le lecteur dans une pensée complètement « autre », différente, celle du tueur. Au fil des pages, on finit par percer à jour les mécanismes particuliers de sa psychologie biaisée. On a alors accès à la compréhension de son parcours meurtrier.
La seconde : je voulais mettre en scène un « profileur » avant l’heure, un pionner dans ce domaine qui sera conceptualisé un siècle et demi plus tard. Il s’agit d’un aliéniste (un psychiatre) obsédé par une quête : comprendre les racines de la violence.
Bepolar : Vous avez écrit plusieurs livres dans cette période. Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans ces années ?
Armand Cabasson : L’époque napoléonienne est une période de grands changements. La Révolution vient de faire sauter les digues, de nouvelles idées déferlent en France. On innove, on expérimente, on tente d’aborder les problèmes sous des angles différents… La médecine, la science des aliénés (la psychiatrie et la naissance de la psychothérapie), la justice, les tactiques militaires, le rôle des femmes dans la société : on libère la parole, on décloisonne les pensées et on innove !
J’aime cette ébullition mentale, cet optimisme forcené (beaucoup de gens croient que l’on va tout améliorer, que la société va évoluer vers un monde idéal à la hauteur de la Déclaration des Droits de l’Homme…). Tout cela va aboutir au meilleur, mais aussi hélas au pire : les guerres sans fin, le dévoiement de certains idéaux…
Bepolar : On découvre deux nouveaux personnages, l’inspecteur Candelet et Gabriel Dalvers, un médecin psychiatre. Est-ce que vous pourriez nous les présenter ? Qui sont-ils ?
Armand Cabasson : L’inspecteur Candelet est très influencé par son époque. Sa conception du crime a été façonnée par la vision d’avant la Révolution. C’est une pensée manichéenne : les criminels sont le mal incarné, ils récidivent toujours… Mais ses lectures (Voltaire et Rousseau), les nouvelles idées libérées par la Révolution, son intelligence : tout cela l’amène à se remettre en question. Même si, au début, sa coopération avec Dalvers lui est imposée, il va s’intéresser à cette façon de penser, si différente de la sienne…
Dalvers est un personnage complexe et énigmatique. Il s’est lancé dans une croisade : comprendre les mécanismes de la violence. Mais il s’entraîne au combat au couteau avec un maître d’armes, il porte toujours une lame sur lui… Il combat la violence et, en même temps, il l’abrite aussi en lui. Ses amis disent qu’il a « un soleil noir dans la tête », c’est sa part d’ombre… Au fil des pages, on va découvrir ce qui l’a conduit à devenir l’homme qu’il est aujourd’hui…
Bepolar : L’affaire qu’ils ont à résoudre n’est pas banale, puisque le corps de la première victime est entouré de centaines de papillons. Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de mettre en scène ces insectes ? Vous aviez envie d’une sorte de contrepoint presque poétique à l’horreur des meurtres ?
Armand Cabasson : Je voulais que le roman débute par une scène de meurtre très « particulière », déroutante, ce qui amènerait les policiers à se dire : l’assassin pense d’une manière totalement inhabituelle, « décalée ». Une telle mise en scène de la mort rend logique l’idée de faire appel à un aliéniste.
Comme vous le soulignez, ce crime associe l’horreur et la poésie. En mettant le doigt sur ce point, on commence déjà à s’immerger dans la psychologie du tueur. Celui-ci associe « poésie », « romantisme » et « mort ». Vous voilà prêt à pénétrer dans le labyrinthe de sa pensée criminelle…
Bepolar : Est-ce que c’est le premier « profileur » de l’histoire ?
Armand Cabasson : Il est impossible de déterminer qui a été le premier « profileur » de l’histoire. On cite habituellement un psychiatre qui a aidé le FBI dans sa longue traque du « Unabomber ». Mais, avant lui, il a eu le juge Emile Fourquet qui, en 1897 (!!!), a mis en œuvre une stratégie de profileur pour démasquer un tueur en série (le film « Le juge et l’Assassin » est tiré de cette histoire vraie).
Bref, comme pour les tueurs en série, il est impossible de déterminer qui a été « le premier ».
Concernant mon roman, pour cette idée d’un « profileur » à l’époque napoléonienne, je me suis basé sur « la commission des accusés en démence ». Juste après la Révolution, pour améliorer la Justice, on a voulu tenir compte de « l’intériorité des accusés » (leur psychologie). On voulait déterminer l’état d’esprit du criminel, afin de différencier les « insensés » (ceux qui avaient agi sous l’emprise d’une maladie mentale) des criminels « sains d’esprit ». Certains accusés étaient donc expertisés par des aliénistes.
En bref : des psychiatres rencontraient des criminels, pour tenter de comprendre et pour aider la Justice à les juger. A partir de là, il n’y avait plus qu’un pas à faire pour se dire : « Et si des aliénistes « rencontraient » le crime, pour tenter de comprendre le criminel et pour aider la Police à l’arrêter ? » C’est ce pas que Dalvers franchit, ce qui fait de lui un des pionniers du concept de profileur.
Bepolar : C’est aussi l’occasion d’aller en Espagne, aux mains des Français. Vous aviez aussi envie de parler de l’occupation française de certains pays pendant cette période ?
Armand Cabasson : Plusieurs idées se sont percutées pour aboutir à cette partie du roman.
Je voulais creuser ce thème d’un personnage qui est happé par son enquête au point de négliger le monde qui l’entoure. Dalvers va se précipiter en Espagne sans prendre le temps de réfléchir à ce qui s’y passe. On peut oublier le monde un certain temps, mais, tôt ou tard, la réalité vous rattrape…
Je souhaitais aussi aborder l’un des points-clés de cette période : les belles idées qui dégénèrent… Comment la France a-t-elle pu basculer des idées lumineuses de la Révolution (les Droits de l’Homme, la Liberté, l’Egalité…) à la Terreur ? Et ensuite, alors que nombre de Français rêvent de diffuser les idéaux républicains dans toute l’Europe, comment en arrive-t-on à un « Empire républicain » (Napoléon se fait couronner « Empereur de la République française »…) qui va devenir de plus en plus impérialiste ?
Par ailleurs, je voulais une cassure dans l’intrigue. On démarre à Paris, on suit l’intrigue, et puis voilà que l’enquête prend un virage qui l’expédie en Espagne ! Par la suite, plus on progresse dans la compréhension de la psychologie du tueur, plus cette cassure apparaît « évidente ».
Enfin, j’adore l’Espagne.
Bepolar : Comment avez-vous construit votre roman ?
Armand Cabasson : Avec beaucoup de café…
Plus sérieusement : avant de commencer à écrire, je prends le temps de construire un plan très détaillé qui déploie toute l’histoire. Ma façon d’écrire ressemble donc à un vaste plan de bataille dans lequel « tout a été prévu ».
Ensuite, quand je me jette dans l’écriture, bien entendu, des imprévus surgissent (une idée intéressante, un personnage secondaire qui affirme sa présence…). Bref, ça déraille ici ou là (exactement comme sur un champ de bataille…).
Donc tous mes romans sont construits sur un paradoxe : tout planifier et maîtriser, à égalité avec lâcher prise et accueillir la spontanéité.
Bepolar : Quels sont désormais vos projets ? Sur quoi travaillez-vous ?
Armand Cabasson : Je commence un nouveau roman policier historique. Mais ce ne sera pas la suite des « Furieuses ». Nouveaux personnages, nouvelle époque… On y retrouvera cependant mes thèmes fétiches : la psychologie, les scènes épiques, le plaisir des mots, un meurtrier complexe et insaisissable…
Bepolar : Et puis dernière question, qu’est-ce qui fait selon vous un bon polar ?
Armand Cabasson : J’ai envie de vous répondre : n’importe quoi du moment qu’il y a quelque chose.
Je m’explique. Ce que j’aime dans tout roman, c’est ce que j’appelle le carré d’as : personnage, intrigue, style, quelque chose en plus (un supplément d’âme : un style vraiment inhabituel (quand l’auteur a « une voix »), une profondeur dans la réflexion sur la nature humaine, une belle cause brillamment défendue…).
Mais, finalement, des polars prennent d’autres chemins et me percutent avec le même impact que ceux qui visent le carré d’as. J’adore le « Nature Writing » (je suis un « passionné de Nature »), j’aime aussi être dérouté, déboussolé par une histoire qui prend des chemins atypiques, je recherche l’originalité et j’apprécie aussi beaucoup l’inverse : retrouver les codes classiques du genre…
Donc j’ai envie de vous dire : la seule chose qui compte pour faire un bon polar (un bon film, une belle recette de cuisine, un bon « tout ce que vous voulez »), c’est que l’auteur soit animé par une conviction. Il faut qu’il ait un sujet qui le passionne, qu’il se jette dedans à corps perdu (à mots perdus) et qu’il vous entraîne avec lui.
Bref, je veux qu’un roman soit brûlant, ou bien glacé, givré, frénétique, exaspérant, bouleversant, déstabilisant : n’importe quoi mais tout sauf une boisson tiède et sans saveur !