- Acteurs : Boyd Holbrook, Aunjanue Ellis, Vondie Curtis Hall
- Séries : Justified : City Primeval
Exit le Kentucky, Raylan Givens reprend du service dans le Michigan du côté de Detroit. Toujours aussi indolent et anachronique, le cowboy ressort son colt pour en découdre avec les pires malfaiteurs. Et de "Justified" à "Justified : City Primeval", la série continue d’éblouir.
"Justified : City Primeval"
Avec : Timothy Olyphant, Vondie Curtis-Hall, Aunjanue Ellis, Boyd Holbrook
De : Dave Andron, Michael Dinner
Genre : policier, drame
Pays : Etats-Unis
Année : 2023
Huit ans après avoir quitté le Kentucky, l’US marshal Raylan Givens s’est installé à Miami, où il jongle maladroitement entre son travail et son rôle de père. Une rencontre hasardeuse sur une route de Floride le mène à Detroit, où il croise Clement Mansell, dangereux sociopathe qui ne cesse d’échapper aux autorités...
Comme son aîné "Justified" (2010), "Jutified : City Primeval" s’avance avec humilité, l’air de-ne-pas-y-toucher. De prime abord, la série semble ainsi n’afficher aucune ambition de jouer dans la cour des grands, ou ne serait-ce que flirter avec le génie de "Sur écoute" (2002-2008) ou des "Soprano" (1999-2007) – pour ne citer qu’eux. Mais derrière son apparente simplicité, pourtant, "Justified : City Primeval" dissimule un savoir-faire parfois redoutable sinon virtuose. Tout comme son prédécesseur créé par Graham Yost, la série dispose d’un atout essentiel pour distiller son caractère moitié désuet, moitié irrésistible : Raylan Givens. Avec son stetson qu’il redresse inlassablement, son holster et ses santiags, cet US marshal totalement hors du temps paraît tout droit sorti d’un western d’Anthony Mann. Et pour cause : "Justified : City Primeval" reprend la plupart des codes inhérents au genre, dopés par le jeu très James Stewart de l’acteur Timothy Olyphant. Mimiques auxquelles s’ajoutent bien sûr les conventions du polar. N’oublions pas que la série tire une nouvelle fois son intrigue d’un roman d’Elmore Leonard, « La Loi de la cité ». Mais les scénaristes ont l’audace de plonger Givens dans une intrigue de l’écrivain datant de 1980, soit treize ans avant la création du personnage.
Sans chercher à révolutionner quoi que ce soit de "Justified" ou presque, "City Primeval" n’en perpétue pas moins la nonchalance et la fragilité foudroyantes de Raylan Givens. Parce que l’intelligence prodigieuse de la série ne s’expose toujours qu’en contrebande, il faut une fois encore familiariser son regard au rythme arrêté et sans emphase de "Justified". Ici, le verbe et les études de caractères – tous les protagonistes bénéficient d’une écriture incroyable – l’emportent largement sur l’action. Losers absolus à leur manière, les personnages dressent tout un tableau pointilliste de l’Amérique contemporaine, espace complexe, tourmenté, désenchanté et irréductible. La comparaison avec le cinéma de Tarantino, dans sa rétention logorrhéique de violence ne manquant jamais à un moment ou un autre d’exploser, pourra sembler facile. Reste que le motif du calme avant la tempête – vestige du cinéma de Sergio Leone, entre autres – demeure toujours une pierre de touche dans "Justified : City Primeval". D’ailleurs, Quentin Tarantino aurait eu une importance décisive dans la genèse de la série.
Juste avec quelques personnages ciselés, un épineux jeu du chat et de la souris, des dialogues inouïs et une atmosphère envoûtante, "Justified : City Primeval" fascine. L’économie de moyens et l’apparente modestie du dispositif prennent le risque quelquefois d’assommer le spectateur sous les conventions, mais un état de sidération en découle au néanmoins. Chaque nouvelle figure, même secondaire, prend des proportions dantesques de par son épaisseur. Comme s’il y avait en chaque visage croisé suffisamment de matière pour bâtir un spin-off. L’on croit un temps voir arriver un personnage trop stéréotypé, mais très vite, de nouvelles facettes captivantes apparaissent progressivement. Parce que chacun par essence s’avère hanté à la fois par le bien et par le mal – c’est peut-être l’une des grandes constantes d’Elmore Leonard –, inutile de chercher à classer les individus de la série selon un quelconque axe moral. Car ici tout le monde a ses raisons et ses torts.
Les scènes les plus mémorables de ce retour de "Justified" se trouvent sans doute du côté des plus anecdotiques en apparence. Parmi elles, citons notamment cet instant hallucinant et vertigineux, lorsque Sweetie et Clement Mansell attendent dans une voiture devant la demeure d’une proie à faire chanter. Là encore, émerge tout l’art du contrepoint à la Tarantino. Sweetie aperçoit deux hommes noirs en charge du jardin de la propriété. Il jette sur leur soumission, qui renvoie en creux au fantôme de l’esclavage, un regard éploré, lui le noir américain qui rêvait jadis d’affranchissement. Puis il rebondit et raconte à Clement comment, du temps de sa carrière de musicien professionnel, il joua toute une nuit avec Miles Davis, tutoyant alors sa virtuosité. Le temps de quelques minutes de dialogue, le personnage se libère et s’abandonne à la nostalgie d’un monde meilleur. En quelques phrases, la série livre alors un portrait stupéfiant de l’Amérique contemporaine, prisonnière de ses contradictions et du fantasme de l’égalité. Rarissime se révèle ce genre de scène, qui plus est sécrétée de façon interlope, dans les séries policières. Ce qui rend "Justified : City Primeval" d’autant plus précieuse.
Séquelle de la série "Justified" (2010-2014), "Justified : City Primeval" est adapté du roman « La Loi de la cité », tiré de la saga littéraire d’Elmore Leonard. Cette suite est disponible sur Disney +.