- Réalisateur : Patxi Amezcua
Un thriller raté ?
Infiesto
De : Patxi Amezcua
Avec : Isak Férriz, Iria del Rio, Antonio Buil, Luiz Zahera
Genre : policier, thriller
Pays : Espagne
Par-dessous son air pompeux et bouffi d’orgueil, "Infiesto" cache un pseudo thriller totalement insignifiant et digne d’un mauvais téléfilm. Juste pensé pour attirer le chaland nostalgique des grandes heures des thrillers 90’s, ce film espagnol se révèle comme une longue bande-annonce désastreuse et interminable…
Malgré la pandémie de coronavirus tout juste déclarée qui bouscule leurs existences, deux enquêteurs traquent sans relâche les responsables d’un enlèvement aux étranges ramifications…
À chaque fois qu’un nouveau film se réclame du thriller d’épouvante avec un serial-killer à la clé, on assiste presque toujours au même phénomène – sorte de mimétisme irrésistible. Par obsession ou plus vraisemblablement par paresse, un même schéma se reproduit ad nauseam : le pillage stérile des deux chefs d’œuvre intemporels que sont "Le Silence des Agneaux" (Jonathan Demme, 1991) et "Seven" (David Fincher, 1995). Il faut dire que ces deux bijoux de mise en scène, traques diaboliques sublimées par les partitions macabres du canadien Howard Shore, n’ont depuis leur sortie jamais vraiment trouvé d’adversaire à leur mesure. En caricaturant à peine, ne restent guère parmi les prétendants que quelques esthètes comme David Fincher – encore lui – (avec "Zodiac","Gone Girl"…), Michael Mann ("Collatéral") ou encore Denis Villeneuve ("Prisoners"). Autant de cinéastes qui apparaissent plus ou moins comme les seuls ayant continué de donner au genre ses lettres de noblesse. Malheureusement plus sensible aux potentialités lucratives offertes par Netflix (terrain de jeu où le marketing l’emporte souvent sur la qualité) qu’un tant soit peu déterminé à créer une œuvre honnête, le réalisateur d’"Infiesto" Patxi Amezcua va droit au but et c’est un naufrage.
Sous prétexte d’une énième histoire de meurtres et d’enlèvements, le tout en marge du tout premier confinement imposé en Espagne pour freiner la propagation du coronavirus, "Infiesto" s’approprie avec fracas et grandiloquence les mimiques les plus tapageuses de ses prédécesseurs. Dans une atmosphère de fin du monde (eh oui "Le Silence des Agneaux" et "Seven", forcément, mais en version ultra discount), évoluent deux enquêteurs désabusés – bien entendu. Parce que le metteur en scène ne dispose d’aucune imagination et se contente de copier les figures les plus illustres, tout ici doit nécessairement paraître glauque et inquiétant. De fait, la colorimétrie mise tout sur la tonalité sépia, présente partout, pour accentuer le caractère sinistre des événements. Comme un éternel automne, avec des morts comme autant de feuilles mortes. Sauf que dans "Infiesto", le filtre numérique fait tellement toc que le spectateur peine à y croire une fraction de seconde. Pâle copie des grandes compositions sordides des thrillers d’horreur, la musique du long-métrage enlise pour sa part le film dans les stéréotypes. Mais un seul élément pourrait à la rigueur instiller le doute dans l’esprit d’un spectateur peu regardant ou somnolant : la photographie et la réalisation. Car sur ce point, "Infiesto" évite la catastrophe absolue : les cadrages et les mouvements de caméra ne relèvent pas de l’amateurisme. Rien de remarquable pour autant à l’horizon, mais rien de rédhibitoire non plus, le film s’échinant à dissimuler ainsi minutieusement ses lacunes.
À bien y regarder néanmoins, "Infiesto" sent le réchauffé et la bêtise à tous les étages. Archétypes par excellence des personnifications du verre à moitié plein et à moitié vide, ses deux protagonistes centraux – les deux policiers – s’avèrent aussi crédibles que du carton-pâte. C’est que le scénario du long-métrage n’envisage à aucun instant de leur donner de la consistance. Ex-alcoolique, Samuel est torturé sans que l’on comprenne pourquoi. Quant à sa coéquipière Castro, elle porte le même masque d’incrédulité et de détachement quelle que soit la situation vécue – discussion, violences. Et Inutile de compter sur la direction d’acteurs pour permettre de redresser la barre. Du côté du récit, on s’aperçoit bien vite que toute la poudre aux yeux de la mise en scène – pourtant déjà assez pitoyable – ne mène à rien. Même les tueurs, au même titre que les rebondissements inexistants du film, affichent une platitude inouïe. Quelques acteurs de qualité, comme Luis Zahera ("As Bestas"), n’apparaissent que quelques minutes pour meubler. Résultat, le spectateur suit l’intrigue insipide d’"Infiesto" comme il regarderait une mauvaise bande-annonce. Les mêmes tableaux (routes sinueuses bordées de bois, intérieurs de voiture, rues crépusculaires, scènes de crime…) s’enchainent sans aucune logique. Ne pas chercher dans cette marmelade indigeste et soporifique l’ombre d’une métaphore : film fantôme, "Infiesto" balade son dénuement d’un plan à l’autre tel un somnambule.
Le film possède (en version dilettante) la couleur, l’atmosphère, mais aussi la mélodie du thriller, mais certainement pas le goût. Comme si l’équipe technique d’"Infiesto", son tâcheron de metteur en scène, son casting et tout le reste, n’avaient en définitive servi qu’à tromper l’utilisateur de Netflix au moment opportun. Inutile en somme cette fois de perdre son temps en suivant la recommandation de l’algorithme de la plateforme : le film de Patxi Amezcua est bien un nanar déguisé en premier de la classe. Circulez, il n’y a rien à voir - sinon la mystification et le calcul ! Et si "Infiesto" préfigurait en creux ce que donne le cinéma une fois régi par une intelligence artificielle ?
"Infiesto" est disponible sur la plateforme Netflix depuis le 3 février 2023.