L’expression est devenue proverbiale : "faire son Tchao Pantin", pour un acteur comique, c’est amorcer un virage à cent quatre-vingt degrés en choisissant un rôle sérieux, voire franchement grave. Il s’agit de conquérir une légitimité critique qui n’est pas historiquement liée à tout ce qui produit le rire, Aristote nous l’enseignait déjà dans La Poétique. C’est dire si la problématique remonte à la plus haute Antiquité.

Bref, lorsqu’il accepte de travailler sous la direction de Claude Berri et de tourner l’adaptation du polar écrit par Alain Page, Coluche est avant tout une immense vedette de l’humour, qui n’a privilégié que des comédies oubliables. Certes, on a bien senti qu’avec La femme de mon pote, réalisé par Bertrand Blier, le rire devenait amer. Mais de là à imaginer que quelques mois plus tard, l’artiste surprendrait tout son monde en acceptant le rôle d’un personnage alcoolique, il y avait un monde. Et ce monde est justement un enfer que vit Lambert, pompiste traumatisé par la mort de son fils, puis par le départ de sa femme. Sa solitude nocturne et éthylique, qui coïncide avec l’exercice de son emploi, est bientôt interrompue par l’arrivée d’un jeune dealer, Bensoussan, pour lequel le héros va se prendre d’affection, jusqu’au drame...

Tchao Pantin a pour cadre le dix-huitième arrondissement de Paris, que transcende le mythique décorateur de Marcel Carné, Alexandre Trauner, donnant à la station service où travaille Lambert des airs de vaisseau fantôme. Dans une lumière bleutée que n’estompent pas la pluie et la nuit, la menace peut surgir à tout moment, à la fois sous la forme d’une moto agressive lancée à la poursuite du jeune Bensoussan, mais aussi sous les traits d’un étrange voisin, accoudé au garde-corps de son balcon. Il deviendra malgré lui le témoin de la tragédie et son témoignage pèsera lourd.

Polar poisseux et déprimant que densifie la performance de Coluche dans le rôle d’un homme brisé, le film de Claude Berri bénéficie aussi de l’interprétation d’Agnès Soral dans le rôle d’une jeune punk devenue amoureuse, celle de Richard Anconina dans la peau du jeune dealer impulsif, celle de Philippe Léotard, commissaire nerveux, le mouchoir à la main, prêt à éponger la sueur que lui inspirent les événements.

Le long métrage de Claude Berri remporta un important succès public et critique. Il rafla cinq Césars, dont celui du meilleur acteur pour le futur créateur des Restos du cœur.