- Réalisateur : Babak Anvari
- Acteurs : Kelly Macdonald, George Mackay, Hugh Bonneville, Varada Sethu, Percelle Ascott
Un soupçon de lutte des classes, un zeste de conflit intergénérationnel et de survival… vous obtenez le thriller "I Came By". Signé par le prometteur Babak Anvari, ce suspense hitchcockien vaut-il le coup d’œil ?
On avait découvert Babak Anvari en 2016 avec "Under the Shadow", beau film d’épouvante sondant les traumas de la guerre Iran-Irak de 1988. D’une justesse absolue et sans jamais tomber dans la gratuité, le recours à l’horreur – articulé par le truchement d’une présence démoniaque dans un appartement en clair-obscur – fourmillait d’allégories. Une manière de renvoyer ingénieusement aux angoisses découlant des bombardements sur Téhéran, de symboliser l’attente désespérée d’une femme dont l’époux ne revient pas du combat. Dès ce premier long-métrage, le réalisateur britanno-iranien Babak Anvari imposait son identité atypique, à la fois politique et en plein dans le cinéma de genre.
Cette recette soignée, et ambivalente, car flirtant avec le divertissement sans jamais s’y soumettre complètement, se retrouve dans le thriller "I Came By". Oublions d’entrée de jeu l’affiche ratée du film pour mieux se concentrer sur sa substance, plus retorse qu’elle en a l’air. A priori, le synopsis ne fait pas dans l’originalité : un jeune street-artist nommé Toby, adulescent en crise en conflit ouvert avec sa mère, a pris l’habitude de pénétrer dans les demeures des personnalités londoniennes le plus méprisables pour y tagger le slogan "I Came By", en guise d’avertissement latent. Mais un soir, il fait une découverte révulsante en explorant le sous-sol d’un ancien juge très apprécié pour son progressisme et au-dessus de tout soupçon. Sauf que sans le savoir, Toby vient de mettre sa vie en jeu, et celle de ses proches par la même occasion. Grâce à de bonnes idées, Babak Anvari va cependant dépasser cette matière classico-classique de thriller-polar pour proposer une expérience singulière et protéiforme.
La tension, ce petit jeu machiavélique du chat et de la souris, ressort sans surprise comme une constante dans "I Came By". Le scénario ménage ses surprises, joue d’abord la carte de l’évidence pour mieux déjouer subtilement les attentes. Tous les ingrédients du thriller, entre effroi et enquête façon polar, sont de la partie pour le plus grand plaisir, coupable ou pas, du spectateur. Mais Babak Anvari rehausse son long-métrage d’une série de sous-textes qui se révèlent essentiels. On pense initialement que le metteur en scène cherche à distiller un propos social, afin par exemple de pointer les biais d’une société en proie aux inégalités. S’il y a bien une telle dynamique dans "I Came By", cette dernière reste très tempérée et ne tombe jamais dans la surenchère ou la caricature (ou très peu) – une bonne chose. Au contraire : Toby apparaît comme un idéaliste qui se brule bien vite les ailes, lui qui s’imagine pouvoir à lui seul mettre à nu les manquements et corruptions de tout le système.
C’est en revanche à travers la dénonciation du racisme sous-jacent, en déconstruisant les réflexes xénophobes des puissants et toute la démagogie politiquement correcte qui l’accompagne, que le cinéaste brille le plus dans "I Came By". Ainsi, de nombreux protagonistes du long-métrage, de premier comme de second plan, font partie des minorités et souffrent de discriminations liées à leur origine. Pire : ces personnages s’avèrent pour la plupart des victimes impuissantes, lesquelles se voient contraintes de garder le silence par-delà l’intolérable pour espérer continuer à mener un semblant d’existence. Croquemitaine peu habituel, le juge à la retraite Hector Blake incarné avec un certain brio par Hugh Bonneville ("Downtown Abbey") se pose comme le gardien du temple de ce conservatisme jusqu’au-boutiste. C’est par l’intermédiaire de cette figure perfide, notamment présentée comme proche de Tony Blair et consorts, que Babak Anvari en profite pour tailler en pièces les faux semblant des personnalités politiques – en premier lieu celles se réclamant du socialisme pour mieux s’acquitter des pires ignominies rétrogrades en coulisses.
Outre ce double-fond résolument corrosif, "I Came By" se distingue par un récit que n’aurait certainement pas boudé l’Alfred Hitchcock de "Psychose". Car sous couvert d’une histoire en apparence ordinaire, le film n’hésite pas à trancher dans le vif avec un naturel déconcertant voire étourdissant – quelques ellipses d’anthologie participent de cet effet. Ici, n’importe quel personnage peut en effet tirer sa révérence soudainement, laissant ainsi le spectateur médusé et se demandant qui prendra le relais de la narration. Certains n’y verront que de la facilité – et il y en a un peu, certes –, d’autres loueront cette logique effrayante qui fait le sel de tout bon thriller noir. Une chose est sûre : en dépit d’une mise en scène légèrement ronflante et qui manque parfois de relief, "I Came By" se démarque aisément par ses qualités de toutes les innombrables productions Netflix sans âme. Mention spéciale côté casting pour George MacKay, héros du "1917" de Sam Mendes, et surtout pour son acolyte rédempteur Percelle Ascott.
"I Came By" est disponible sur Netflix depuis fin août 2022. Babak Anvari cite parmi ses principales influences des thrillers sud-coréens tels que "Mother", "Old Boy" ou encore "The Chaser".